Dans notre société où tout va vite, nombreux sont ceux qui sont tentés de réduire les arts martiaux à une consommation fast-food grand public. C’est d’ailleurs en partie le sport et sa compétition qui, en dévoyant une partie des arts martiaux (judo, kendo, karate, taekwondo, etc.), ont ouverts une voie royale à ce type de comportement (lire Sport et Budo, les deux opposés). C’est ainsi que l’on voit de plus en plus de disciplines se créer chaque décennie, des solutions ludico-combatives (le chambara), voire des entraînements insensés pour ménagères de moins de 40 ans (le body combat) dans les clubs de gym. Toutes ces formes ont un point en commun : faire croire que l’apprentissage d’un budo est facile, cool et rapide.
Le kung-fu c’est trop facile !
La première erreur est de croire que l’apprentissage d’un budo, de quelque origine qu’il soit, est facile. Il suffit de regarder le dernier Karate Kid à la sauce Jacky Chan (pourquoi ce titre alors qu’il s’agit d’un chinois qui enseigne le wushu, sportif qui plus est ?) pour y croire. La réalité, tous les pratiquants sérieux le savent, est tout autre. Il faut minimum 10 ans d’entraînement régulier pour acquérir les bases d’une discipline martiale. Obtenir une ceinture noire en 5 ans, n’est pas bon signe sur le jugement d’un professeur. Il faut transpirer des décalitres de sueur, transformer son corps, la façon de se mouvoir, travailler son mental, expérimenter chacun de ses muscles pour commencer à comprendre ce qui se cache dans un kata, une technique ou un simple geste. Après cela, il faut travailler son mental, comprendre et affronter ses peurs les plus intimes, calmer son esprit, être capable de se mettre réellement en danger pour s’ouvrir une nouvelle dimension dans la réalisation d’une technique. Et ce n’est pas fini. Il est nécessaire ensuite de désapprendre, d’oublier les acquis, de transcender une gestuelle artificielle pour la rendre naturelle. On pourrait citer encore bien des étapes dont la seule perspective nous oblige à penser en dizaines d’années de pratique.
Le Qwan Ki Do ça va vite !
Cette idée de la vitesse est dangereuse. Croire que l’on peut intégrer rapidement un budo et maîtriser ses techniques est une illusion. Je rejoins ici quelque peu mon premier point d’explication, mais il faut bien comprendre ce qui se cache derrière cette notion de vitesse. Il y a certes des personnes qui apprennent vite, un nouveau venu au dojo qui comprend tout du premier coup, ce qui froisse toujours des susceptibilités du type « j’étais là avant, je suis plus ancien, il faut pas que je le laisse faire sinon je serai ridicule ». Qu’importe. La personne qui apprend vite est chanceuse et il faut l’encourager et se féliciter d’avoir un si bon élément à côté de soi. En général cette personne rejoindra le gros des troupes dans l’effort sur la durée. Autre point, la notion de vitesse dans l’apprentissage est généralement synonyme de piètre qualité. Du coup, la mise en application de ses techniques dans un combat devient franchement dangereuse. N’oubliez pas que dans la vie il y a toujours plus fort que soit. Alors, puisqu’on ne sera jamais les plus forts du monde, pourquoi vouloir aller vite ?
(Eloge de la lenteur en taijiquan)
Les profs sont hyper-cools !
Cette affirmation touche une corde sensible qui va en gratter plus d’un à la lecture. Les arts martiaux ne sont pas des sports. Il n’y a donc pas de professeurs de gymnastique dans un club. Les arts martiaux sont pratiqués dans des dojos qui sont régis par une étiquette comportementale. Le dojo est dirigé par un enseignant, lui-même supervisé par un maître, lui-même sous le contrôle de toute la lignée des ancêtres dans sa discipline depuis le fondateur. L’enseignant est responsable de ses élèves, y compris de leur façon de parler, de marcher, de se tenir à table, et encore plus de leur bonne conduite en société. Avec cette pression, l’enseignant n’est pas cool. Il est responsable de l’éducation d’individus qui sont ses élèves. Ce qui l’amène à être exigeant, parfois dur, parfois même injuste ou cassant s’il estime que c’est nécessaire dans un cas précis. Les élèves doivent obéissance et respect pour leur enseignant (senseï en japonais, shifu en chinois), non pas par bêtise ou abandon de leur volonté, mais parce qu’ils se rendent compte que leur maître est un exemple en soi. Cela n’empêche pas hors du dojo de rire et de s’amuser avec lui, mais pendant la pratique son sourire ne signifie pas qu’il existe une quelconque permission au laisser aller. Non, les enseignants ne sont pas cools et c’est tant mieux. (Photo : Minoru Akuzawa Senseï)
Les karatekas sont des gros nazes !
La comparaison avec son prochain est une perte de temps. C’est un reste de velléité primate à vouloir le dominer. Lorsqu’on est parent on enseigne aux enfants tout ce qui est nécessaire à son développement, et ce dans un seul but : qu’il soit équilibré. Comment peut-il trouver cet équilibre ? En oubliant son désir de domination (c’est moi le chef !) pour devenir son propre chef. Il en va de même pour les pratiquants qui se comparent entre eux. Cela créée une compétition qui tourne rapidement à la jalousie puis à l’hostilité. Même topo pour ce qui est de la comparaison entre les disciplines. Bien souvent sans rien connaître de la profondeur de l’engagement des pratiquants, un jugement rapide sur la forme vient apposer une image définitive sur eux en les classant dans la catégorie « nuls, bourrins, dangereux, bouffons », j’en passe et des meilleurs. Ce catalogage ne respecte rien, mais surtout aveugle la personne qui s’y adonne sur sa propre discipline et sur son propre travail. Certes la critique est bonne, mais à deux conditions. 1- qu’elle soit constructive et 2- d’être capable d’assumer ses propos, quitte à se battre autrement que par des mots. Rappelez-vous, vous êtes dans le monde des arts martiaux et pas du sport. Un combat signifie un certain nombre de douleurs qui peuvent être plus ou moins graves. Mieux vaut être critique envers soi pour se pousser à progresser. Pour ce qui est de la critique envers sa discipline, posez des questions avant de juger, même si l’on ricane dans votre dos. Il faut toujours lever un doute, questionner plus en profondeur pour ne pas parler à tort et à travers. Mais surtout il faut travailler, encore et encore pour comprendre tout ce qui ne peut pas se transmettre par les mots. (Photo, Takemi Takayasu Senseï)
Mon kimono en jette un max !
On peut pleurer ou rire, c’est selon, en voyant les tenues dans certaines disciplines ou certains dojos. Encore une fois le sport est passé par là avec son cortège (je devrais dire avec sa caravane) publicitaire. A l’origine, les tenues étaient aussi variées qu’il y avait d’élèves. Puis le keikogi (et non pas le kimono, lire Kimono et keikogi) est arrivé avec l’idée d’uniformiser la tenue au sein du judo. Cette uniformisation avait deux buts : être le plus sobre et simple possible (tout blanc sans rien d’autre) et gommer les différences sociales entre les élèves afin que cela n’entrave pas les relations au sein de l’école de Jigoro Kano. Aujourd’hui les keikogis ont des marques, des bandes, des logos et j’en passe. J’incite au passage les enseignants à les faire découdre par leurs élèves, c’est une bonne leçon d’humilité. Mais plus attristant encore, la tenue de travail (c’est le sens littéral de keikogi) est redevenu un sémaphore ambulant, phénomène soutenu par les sports martiaux. Qui n’a pas son écusson sur la poitrine, un logo de plus sur la manche ou un dragon dans le dos, des lettres immenses et des slogans qui font peur. Depuis quand les keikogi sont-ils des supports publicitaires ? Sans doute depuis le moment où le judo, encore lui, a inventé les ceintures de couleurs pour distinguer les grades. Ces couleurs, les barrettes de couleurs pour les enfants, n’ont fait qu’introduire insidieusement la notion de compétition entre les membres d’un même dojo, ce qui est déplorable mais pas étonnant dans l’optique sportive. En revanche, cette habitude tend à se répandre au sein des disciplines non compétitives, ce qui est inquiétant quant à la perception de l’enseignant sur son rôle. En effet, l’enseignant doit tout faire pour que les relations entre ses élèves soient les plus solidaires possibles, afin que les plus anciens émulent les plus jeunes. Ce n’est qu’ainsi que l’on progresse techniquement mais aussi humainement.
(Y'a encore de la place sur les jambes...)
Au judo on gagne plein de coupes
Les coupes sur une étagère sont vraiment l’expression la plus visible de la beaufitude d’un pratiquant. Pour avoir des coupes, il faut faire des combats dont le seul but est de gagner. Dans les arts martiaux il existe trois types de combats. Le combat d’entrainement (shiai) qui vise à développer les réflexes et le sens du timing entre autres choses. Le combat amical pour tester ses capacités avec un adversaire qu’on estime, mais aussi et surtout pour apprendre de l’autre ses propres faiblesses. La défaite est alors une excellente façon de s’améliorer, d’autant qu’elle n’est pas mortelle. Le combat agressif, qui ne peut se terminer que par la mise hors service de l’un des protagonistes (K.O., blessure incapacitante, mort). Le combat est avant tout une école d’apprentissage, mais dans les arts martiaux cette expérience peut être fatale. On ne combat donc pas à la légère, car c’est au minimum le bon fonctionnement de son corps qui est en jeu, au pire c’est sa vie. Le reste, les médailles, les coupes, n’ont jamais distingués que les pauvres d’esprit qui courent après l’apparence et tout ce qui brille.
(Admirez les oreilles du judoka, ce qu'il a dû subir pour avoir son trophée)
Les techniques de la mort qui tue
Qui, étant gosse, n’a pas rêvé de posséder des techniques mortelles au bout des doigts ? C’est très bien pour la fantasmagorie des enfants. Mais en grandissant nous sommes censés devenir adulte, c'est-à-dire être capable de faire la part entre un principe de désir et un principe de réalité. Le principe de réalité est que l’apprentissage de telles techniques dans une société en paix n’a pas franchement de sens. Elles ne sont donc qu’un plus à apprendre, pour étoffer son catalogue personnel de techniques, mais sans plus. Pourquoi ? Parce qu’elles sont généralement les moins intéressantes. Tuer autrui n’est jamais intellectuellement passionnant, ne fait pas grandir (bien au contraire), et de plus est à la portée de n’importe qui. Sans parler d’étudier les kyushô (points vitaux), une batte de base ball ou un club de golf fait très bien l’affaire pour défoncer le crâne de quelqu’un. C’est la raison pour laquelle les techniques mortelles arrivent généralement tard dans le cursus d’un budo, lorsque le maître est sûr que son élève a dépassé son désir de mort. C’est aussi la raison pour laquelle un budo insiste toujours sur les techniques de base, car ce sont celles-là qui vont s’enrichir tout au long de la pratique et feront réellement progresser les élèves. Enfin, les techniques secrètes des écoles n’ont jamais été des techniques mortelles. Enseignées très rarement à un futur maître ou à l’héritier d’une école, ces techniques réexaminent généralement les techniques de base, mais sous un angle nouveau qui va relancer le futur maître sur des années d’études approfondies et captivantes.
Les katas, c’est la classe internationale
Les compétitions martialo-sportives sont rarement intéressantes et ne démontrent pas grand-chose. Regardez un match de judo où deux types s’arrachent leurs slogans publicitaires (pardon, leur keikogi) et obtiennent un effet débraillé assez misérables et demandez-vous où est la voie de la souplesse. De plus, devant l’absence de techniques spectaculaires, les chaînes de télévision se sont penchées plus en détails sur les arts martiaux pour voir ce qu’ils pourraient bien exploiter. Et là, eurêka, ils trouvent les katas du karate. Regardez, là encore c’est de l’art. Mais très vite les katas ne font plus recette, d’autant que tout se passe à l’intérieur du pratiquant et que les techniques ne sont pas vraiment impressionnantes. Le kata artistique était né. Sauts, casses de planches, coup de pied vers le ciel, pirouettes et cacahouettes, voilà qui impressionne les pré-pubères et remplit les dojos. Un tel kata qui en met plein la vue parce que l’on crie très fort en faisant des galipettes, reste un spectacle affligeant. Et que ce type de spectacle soit devenu une compétition en soi en dit long sur la considération des pratiquants sur leur art. Un kata se pratique seul ou en petit groupe, dans le calme, avec concentration et recherche du détail (dans le sens de polir la pierre que nous sommes), sous l’œil acéré de son maître. Celui-ci corrige un détail à la fois et attends que l’élève intègre sa correction. Il faut des années pour exécuter correctement un kata, bien plus encore pour le vivre de l’intérieur.
(Et hop-là ! C'est beaaauuu les katas. Le karaté ? C'est quoi ça ?)
Champion du monde, c'est trop de la balle
Pauvres champions de sports martiaux ! Quelle tristesse de voir des gamins de 20 à 30 ans exploser de larmes de joie lorsqu’ils gagnent une rondelle de métal argentée ou dorée. Quel vide intersidéral le sépare du budo ! Ce spectacle serait fascinant s’il n’était déplorable. Déplorable parce que les champions sont réellement persuadés d’avoir gagné alors qu’ils ont perdus la voie du budo depuis longtemps et offrent leurs meilleurs années à un but vide de sens et de bénéfices. Déplorable parce qu’en étant médiatisés ils font croire que le judo, le karate ou le taekwondo, c’est de la compétition et que les arts martiaux, c’est le combat contre un autre. C’est avant tout un combat contre soi qui ne peut se montrer, mais qui s’en soucie chez les champions. Déplorable parce qu’ils seraient battus en une seule passe dans n’importe quel combat par un vieillard pratiquant le budo depuis sa prime jeunesse. Déplorable parce qu’ils donnent à croire que l’on peut tout apprendre et maîtriser à leurs jeunes âges. Alors que je n’ai jamais vu un budoka avec 30 ou 40 années de pratique oser dire qu’il en savait assez pour se confronter en combat singulier. Déplorable parce qu’ils sont usés bien avant l’âge mûr, alors que toute la beauté du budo est de vieillir avec lui sans jamais s’arrêter de pratiquer.
(Se taper dessus pour une médaille... une grande motivation dans la vie)
L'aïkido c’est pas pour les danseurs
J’ai souvent entendu cette expression « ici on n’est pas chez les danseurs » ou encore « les techniques c’est pas fait pour les danseuses ». Cette façon stupide de comparer un budo à ce qui n’est pas comparable est proprement exaspérante. Généralement lâché par un mâle en manque de domination, l’expression est censée faire comprendre à son auditoire que le budo pratiqué dans ce dojo est viril, voire violent, en tous cas pas pour les âmes sensibles. On peut facilement rétorquer qu’un budo ne peut s’étudier sans sensibilité. D’ailleurs l’âme de la pratique ne peut s’acquérir sans une profonde sensibilité à son corps, à celui du partenaire, à son environnement. La sensibilité ouvre à la compréhension subtile du mouvement, et donc à la profondeur des techniques. Par ailleurs le besoin de se faire valoir au travers d’expression est généralement la marque d’un fort en gueule plutôt incertain sur les capacités de son art. Un budoka réellement fort ne dit rien et essaye surtout de se faire le plus discret possible. Il n’a pas besoin d’étaler sa science. Mieux, il est conscient de ses possibilités et fera tout pour ne pas s’en servir et risquer de blesser quiconque. Enfin et pour conclure, j’aimerai à titre personnel que tous les apprentis budoka aient l’entraînement physique des danseurs. La plupart d’entre eux ne le supporterait pas tant il est difficile et musculairement exigeant.