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Fante & Son

Publié le 04 octobre 2010 par Pagman

 

... Génial. Pour une fois, je n'ai rien à faire si ce n'est vous faire partager ce magnifique article écrit par Emeline Ancel-Pirouelle qui est allée à la rencontre de Dan Fante lors du Festival America à Vincennes la semaine dernière. Alors comme j'aime sa façon d'écrire et que ce blog lui est toujours ouvert, je me tais et je fais passer.

Rencontre avec Dan Fante : De l'alcool dur, de la famille et du génie

Il y a des dimanches pluvieux de septembre qui ont plus de saveur que d'autres, même dans une quelconque salle polyvalente de la banlieue est. En effet, ce n'est pas tous les jours qu'une idole, elle-même descendante d'une autre idole, quitte son désert arizonien pour venir tailler le bout de gras avec ses admirateurs français. Et pourtant, ce gentleman farmer bedonnant et rigolard qui se tient sous nos yeux s'appelle bien Dan. Dan Fante, même. Son père, John, est une telle légende qu'on a presque du mal à croire qu'un morceau de lui a fait le voyage jusqu'à Vincennes pour participer au Festival America, manifestation annuelle dédiée à la littérature d'Amérique du Nord. Cette année, l'attraction principale se nomme Bret Easton Ellis, et sous les lettres écrasantes de son patronyme qui inondent le programme, on aurait presque pu rater celui, plus court et plus modeste, mais tellement plus émouvant, de Dan Fante. Dan Fante. C'est lui, sur la scène, sous ce chapeau en feutre, lui l'alcoolique autodestructeur devenu auteur respectable, lui le fils écrasé par le souvenir du père, qui nous demande d'un air malicieux si on est effrayé de le voir en vrai. Un peu.

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Photo © Nicolas Guerbe

Condamné qu'il est à traîner à vie le fantôme de son père accroché au poignet comme un ballon Bob l'Eponge gonflé à l'hélium, Dan n'est pas vraiment là pour parler de ses livres à lui, ou seulement en filigrane : si l'organisation du festival l'a invité, c'est - forcément - pour évoquer ses relations avec le grand John. Le talent pour une certaine écriture, vraie et vulgaire, semble se transmettre de père en fils dans la famille, et ça intrigue. Mais Dan choisit de commencer par nous parler du fléau génétique n°1 chez les Fante, l'alcoolisme. Cette tare aussi se transmet de générations en générations, et l'écriture semble presque en découler. Les ancêtres de Dan viennent d'un minuscule village perché très haut dans les Abruzzes, en Italie - si haut qu'il est paralysé par la neige neuf mois par an. Pendant ces périodes d'inactivité, Grand-Père Fante n'avait rien de mieux à faire que de passer ses journées à se soûler en racontant des histoires à ses compagnons de boisson erratiques. C'est de ce talent de conteur que John a hérité - une tradition orale, comme dans les plus vieilles civilisations, que le Père a été le premier à graver dans le papier.

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Photo © Nicolas Guerbe

Cette transformation miraculeuse a eu lieu à des milliers de kilomètres de l'Italie, et c'est tout aussi loin de la terre d'origine des Fante que le flambeau est passé à la génération suivante. Il y a une vingtaine d'années, dans le garage de la maison de la veuve de John, à Los Angeles, le Fils met la main sur un trésor : la vieille Underwood de son père, celle sur laquelle il a tapé ses derniers romans. A l'époque, Dan subit la malédiction familiale : il est suicidaire et alcoolique, fauché, à la rue. Le prodige qui se produit ce jour-là dans le garage ressemble presque à la scène de rédemption du héros d'un mauvais film : on y voit Dan mettre une feuille, au ralenti, dans la machine à écrire toute rouillée de son old man et, touché par le Saint-Esprit, se mettre à taper frénétiquement son premier chef-d'oeuvre sur les touches usées. Pour la première fois de sa vie, il ne pense plus à lui-même et à sa colère mais à une histoire. En réalité, l'accouchement a été un peu plus douloureux que ça : utiliser l'Underwood sur laquelle John Fante avait écrit ses derniers chefs-d'oeuvre n'était pas un geste anodin, et Dan en a bavé. Pendant toute la durée de la rédaction de ce premier jet, il sent le fantôme menaçant de son père derrière son dos, veillant au grain : « La ponctuation est mauvaise ! Surveille ton orthographe ! » « Horrible », précise Dan. Une fois libéré de cet esprit pesant, il a entièrement réécrit l'ouvrage, et celui-ci est devenu son premier roman, Les Anges n'ont rien dans les Poches (1996) - son préféré, toujours aujourd'hui, car celui qui l'a sauvé de la folie. Le poids de l'héritage est lourd dans certaines familles : chez les Fante, il faut toucher le fond pour découvrir que l'on est un écrivain.

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Photo © pas Nicolas Guerbe

Si aujourd'hui, Dan porte chemise et cravate, l'anneau qu'il a gardé dans le nez témoigne d'époques moins glorieuses. Il a jadis été le genre de freak à fréquenter les voyantes de Venice Beach à la nuit tombée. C'est grâce à l'une d'elles, qui lui affirme que son père est dans la pièce (« Haha, bien sûr ! »), qu'il découvre dans les dossiers de ce dernier le manuscrit rescapé d'un roman que John avait écrit à 20 ans et qu'il n'avait jamais voulu publier car il ne le trouvait pas représentatif de son travail. Ce livre, c'est Sur La Route de Los Angeles, publié depuis et considéré comme l'une de ses plus grandes réussites. Pour Dan, il est même meilleur que Demande à la Poussière. Morale de l'histoire, Dan ? « Il faut toujours croire sa voyante. »

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Photo © Marcello (pas Wallace) Mencarini

Alors qu'il n'était pour moi qu'un monstre de papier, Dan parle de son père comme d'un être humain - un sacré d'ailleurs, du genre insupportable. « Vivre avec mon père, c'était comme vivre avec Picasso. Il avait deux sortes d'humeur : il était soit en colère, soit très en colère. » Comme son double et héros Arturo Bandini, John est un homme passionné, difficile à vivre et extrêmement critique envers lui-même et les gens qui l'entourent. Pendant de longues années, Père et Fils ont d'ailleurs eu une relation plus qu'orageuse - ils ne pouvaient pas rester cinq minutes ensemble dans la même pièce et ne communiquaient qu'en hurlant. Amour, Haine et Désespoir était le feuilleton quotidien. Pourtant, John n'a pas eu la vie difficile qu'on lui avait imaginée. Il écrivait des scénarii pour Hollywood et en vivait très bien ; il avait des amis et jouait au golf plusieurs fois par semaine. Malgré cela il était en colère, très en colère. En effet, il détestait écrire des films, mais ses romans ne lui rapportaient pas un rond. Il se haïssait de ne pas pouvoir écrire davantage de livres et c'était un triste spectacle pour sa famille. D'ailleurs, Dan ne manque pas de préciser qu' « il était moins que charmant envers ses fils. » 

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Photo © je sais pas qui mais sûrement famille Fante

Son entourage doit en effet supporter toutes ses lubies : sa passion pour les Dodgers mais aussi celle, plus encombrante, pour les vieilles voitures. Dans Mon Chien Stupide, toujours aussi tendre envers sa progéniture, il fait même dire à son double : « [Ma femme] m'avait donné trois fils et une fille, dont j'aurais joyeusement échangé n'importe lequel, voire les quatre, contre une Porsche neuve, ou même une MG GT '70. » Le père indigne est connu chez tous les concessionnaires de Santa Monica Boulevard (« Hey, Johnny ! »), qui savent qu'ils pourront lui fourguer une nouvelle poubelle tous les mois. Pour John, les voitures sont jetables, et une fois qu'il les a usées, il les entasse au fond du terrain familial à Malibu. Chez les Fante, on se débarrasse difficilement de ses réflexes de loser.

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Dan et John Fante

Naître dans cette famille n'était pas un cadeau, mais aujourd'hui Dan est un homme heureux et reconnaissant. Il est bien conscient que son père n'aurait pu lui léguer de plus beau présent que sa passion pour l'écriture et, contrairement à lui, il ne considère pas que la vie est une salope et trouve la sienne extraordinaire. « Apprendre à être son propre meilleur ami est probablement la chose la plus difficile du monde ; mais c'est fantastique. » Il évoque sa femme, son deuxième fils de six ans, Michelangelo Giovanni (« J'ai hâte qu'il aille à l'école et qu'il soit obligé d'écrire son nom sur sa copie, il va être tellement furieux contre moi ! »), et de leur vie à Sedona, Arizona (« You must Google it ! »), où la mer lui manque tant : « Un jour, j'ai ouvert la fenêtre et l'océan n'était pas là. Je ne peux plus vivre comme ça. » Une voile de tristesse passe dans les yeux du bonhomme quand il parle de son frère Nick, mort d'alcoolisme beaucoup trop tôt. Cette histoire est d'ailleurs gravée sur son bras droit, et ce tatouage sonne à la fois comme une pierre tombale et un garde-fou : « NICK FANTE / DEAD FROM ALCOHOL » Les joies et les peines qui font toute famille lambda, finalement, mais que Père et Fils ont su si honnêtement mettre par écrit avec un sens aigu de la vérité toute nue.

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Photo © c'est écrit dessus comme le Port-Salut.

Le rapprochement entre les deux hommes aura somme toute lieu, huit années avant la mort du vieux. Quand le moment fut venu d'écrire la dernière page de l'histoire, c'est Dan qui l'a emmené à l'hôpital, qui l'a installé dans une chambre de l'aile Warner (John détestait les frères Warner), et c'est Dan aussi qui lui a tenu la main pendant que ce dernier, qui avait été enfant de choeur dans son enfance, rendait son dernier souffle entouré de trois infirmières qui s'appelaient toutes Marie. Au nom du Père, du Fils, et de la Poisse.

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P.S de PA : Pour en savoir un peu plus sur la dynastie Fante, vous pouvez aussi jeter un œil à différents articles que je leur avais consacré il y a quelque temps et qui sont disponible en cliquant simplement ici Mon Chien Stupide ou encore là Bons baisers de la grosse barmaid.  ou encore ici De l'âme de Dan. Bref, chez les Ancel-Pirouelle ou les Gillet, vous l'aurez compris, on aime les Fante qu'ils soient Nick, John ou Dan. Ou même Rocco.


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