Magazine Côté Femmes

Comment Facebook m’a fait comprendre que je n’étais qu’une sous-merde

Par Petra Von Shmendrick

Nate (c’est mon père, mais je me souviens pas l’avoir jamais appelé papa, même quand il changeait mes couches) s’inquiète souvent pour moi, rapport au fait que j’ai pas beaucoup d’amis et que j’aime bien me tenir compagnie à moi-même (ou alors passer du temps avec Vladimir, qui est notre chat borgne et priapique).
Sans blague.
Un jour, rien que pour voir sa tronche, je lui présenterai les filles de ma classe, qui ont du mal à terminer un Hannah Montana en moins de trois semaines et qui écoutent Tokio Hotel (c’est Indochine et New Kids On The Block mélangés, avec trente ans de retard) en boucle sur leurs Ipod rose bonbon.
Je lui annoncerai pour déconner que je sors avec l’un des débiles mentaux du bahut, n’importe lequel, de toute façon ils se ressemblent tous: anorexiques, blancs comme de la craie et tout le temps occupés à remettre du bordel dans leur coiffure soit-disant négligée (comme si personne ne savait qu’ils passent trois heures dans la salle de bains chaque matin à se vider un tube de gel dans les cheveux et à sculpter trois malheureux épis pour se donner un air de rebelle de Monoprix…)

Comment Facebook m’a fait comprendre que je n’étais qu’une sous-merde

J'hésite entre l'envie de me pendre et celle de commettre un crime crapuleux.

Pour faire plaisir à Nate, il y a quelques semaines, je me suis créé un compte sur un réseau social. Et puisque ce genre de conglomérat de no-life et d’âmes en peine était censé faire de moi un être supérieur, ben j’ai carrément tapé dans le haut du panier et j’ai choisi Facebook.

Déjà, quand j’ai voulu m’inscrire, ça a tout bien foiré comme il faut, parce que j’avais donné ma vraie date de naissance. Apparemment, Facebook, c’est un truc pour adultes majeurs et consentants, même si l’essentiel de l’activité qui s’y pratique chaque jour relève plutôt de la cour d’école maternelle (par contre, tu remarqueras que sur les sites pornos avec des bites en gros plan et la paire de nichons de Maïté en page d’accueil, ben tu dois juste cliquer sur le bouton « j’ai plus de 18 ans, juré-craché » avant d’accéder à un catalogue de quinze millions de films de cul. Ben oui, évidement que j’ai essayé, tu connais beaucoup de mômes de douze ans qui n’ont PAS essayé de se connecter à un site de cul?)
Au deuxième passage, j’ai donc triché un peu sur mon âge et hop! Je faisais partie des deux milliards d’individus exceptionnellement cools et branchés qui ont un profil Facebook.
Là où j’étais bien embêtée, c’est quand on m’a demandé de rechercher des amis.
D’abord, j’ai pas beaucoup d’amis, comme je te le disais à la première ligne de ce billet. Et puis ensuite, les amis que j’ai, ils ont un gros défaut, c’est qu’ils ont une vie relativement satisfaisante, et que donc, forcément, ils ont pas que ça à faire d’aller envoyer des pokes à Marie-Edwige (la rouquine avec l’appareil dentaire en titane perdue de vue depuis le CP) et de raconter à deux cent personnes qu’ils viennent d’aller faire caca.
Mais alors c’est là que Facebook (c’est-à-dire la communauté internationale, à peu de choses près) m’a bien fait comprendre que je n’atteindrais jamais le niveau d’évolution d’une guenon trisomique, pas même celui d’un phasme (à la rigueur celui d’une amibe, et encore, d’une amibe souffrant d’hydrocéphalie), parce que grâce aux feeds, tu es averti en temps réel à chaque fois que quelqu’un fait quelque chose. Et ça donne des trucs du genre « Zoé a mis Louane dans son top friend, Louane a laissé un commentaire à Zoé, Zoé a poké Louane, Louane a envoyé un bisou à Zoé » (et donc logiquement, là elles se kiffent grave et elles vont décider de se prêter leurs Hannah Montana, leurs disques de Tokio Hotel et leurs DVD de Barbie Princesse…ah ben non, zut, elles ont trente-cinq piges, dis donc).
Mais du coup, mon activité à moi avait l’air pathétiquement proche du zéro absolu, à côté des grandes léchouilles de Louane et Zoé, de Sébastien qui venait de s’acheter une baguette Tradition à la boulangerie du coin, ou de Marie-Edwige qui annonçait qu’elle avait dépensé cent-trente euros pour un pull chez Esprit.
Au bout de quelques minutes, ça peut donner l’impression que Facebook, c’est la teuf du siècle à laquelle le monde entier s’éclate pendant que tu restes assise, seule, sur un banc, comme une merde.

Quelque part, heureusement que j’écoute pas Tokio Hotel et que je préfère American Psycho au Carnet secret d’Hannah Montana.
Sinon, je serais super emmerdée de pas avoir 250 amis virtuels sur Facebook.
Tiens, et à part ça, je vais demander à Nate de m’emmener au cinéma.

Comment Facebook m’a fait comprendre que je n’étais qu’une sous-merde



Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Petra Von Shmendrick 3 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte