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Taupe

Publié le 06 octobre 2010 par Jlhuss

taupe.1286117410.jpg « Petit mammifère fouisseur aux yeux très petits, à beau poil sombre, dont les membres antérieurs aux doigts réunis par une membrane forment une sorte de pelle, et qui vit sous terre en creusant de longues galeries décelables à la surface du sol par des monticules de terre rejetée. La taupe vit dans l’obscurité, mais n’est pas aveugle. »
Ici, l’ami Robert se lâche un peu. Difficile de s’en tenir strictement aux mots, quand on a du cœur ! L’insistance « petit », « très petit » trahit une tendresse paternelle. Plus loin on flaire l’humaniste sans oeillères qui, pour contrer le dénigrement dont pâtit la noiraude, mise successivement sur la bourgeoisie avec la fourrure et sur la classe ouvrière avec le terrassement. Nos chers malvoyants même à la fin ne sont pas oubliés dans ce travail d’empathie. On devine les taupiers passibles de procès pour génocide.

Hélas, on a beau se dire que la taupe, oui, est utile en son genre, qu’elle fait ce qu’elle peut avec ce qu’elle a, joue non sans zèle sa partition dans la grande symphonie, aère le sol, lui donne relief et profondeur : c’est plus fort que soi, elle agace. Il fait rarement bon pour elle d’être surprise à pousser son soupirail. Bref, on trouve les taupes excellentes chez le voisin, comme les espions du KGB dans les années soixante.

Dans l’Arche même, c’était la croix et la bannière pour dissuader les deux fouisseuses de creuser dans la soute. Invitées à jouir du grand air sur le pont, on les retrouvait immanquablement affairées à forer une galerie dans la cale. Noé dut se rendre à l’évidence du déterminisme génétique, et, l’appliquant à l’homme en ses individus, fut moins sûr de la justice des blâmes et des récompenses. Il osa s’en ouvrir à Yahvé, mais le Très-haut ne daigna point répondre.

Je me souviens, jeune propriétaire, d’avoir exhumé une taupe d’un coup de pioche aux petites heures, comme elle pointait le nez par la cheminée d’une HLM érigée chez moi sans permis de construire. Je l’ai saisie bien vivante, à peine sonnée, qui tentait boulotte d’aller voir dans la haie si je n’y étais pas. Pas si vilaine, ma taupe, comme tout ici bas dès qu’on y regarde de plus près. « Noire comme un ramonat », dit Jules Renard dans Poil de Carotte ; mais il faut être bien malheureux, comme son héros, pour éclater la pauvrette contre une pierre. Bref, c’était moi la bête à présent, incapable de haïr à mort après avoir tant détesté. Je l’ai promenée perplexe dans le jardin, agaçant d’un doigt ses petites pelles. Elle m’a même mordue. « Qu’est-ce qu’un carré de gazon, me disais-je, un rang de carottes, au prix de la vie polymorphe infusant de partout le limon primordial ? » (J’étais en ce temps-là très emphatique.) J’ai balancé la taupe dans le pré, de l’autre côté de la route. Elle a dû retomber sur ses pieds, car ma clémence m’a valu trois jours plus tard une grande reconnaissance de la rescapée, probablement aidée du cousinage : dix monticules dans ma pelouse au lieu de trois.

*

Proverbe du jour : Il est moins malaisé d’enterrer une taupe myope qu’une vie de garçon d’étage.


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