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Bonjour. La cordiale caissière hausse le sourcil puis plisse le...

Publié le 06 octobre 2010 par Fabrice @poirpom
Bonjour.
La cordiale caissière hausse le sourcil puis plisse le...

Bonjour.

La cordiale caissière hausse le sourcil puis plisse le nez. De sa main gauche, elle chasse une mouche invisible qui traîne devant son pif avant de saisir les articles sur le tapis roulant.

Haleine fétide probable.

Boisson gazeuse par packs entiers, merde en boîte et en barres consommable instantanément. À la fin de la transaction, elle baisse enfin son sourcil avant de se tourner vers la cliente suivante.

Bonne journée.

Retour à la maison, dans la grisaille, en boitant. Genre Prince de Bel Air. Cause genou droit en bouillis et plante des pieds limée jusqu’au sang. Courbatures qui donnent envie de pleurer. Cernes creusées jusqu’à l’os. Bave aux coins des lèvres. Corps frissonnant.

La cordiale caissière réagit ainsi parce qu’elle ne sait pas. Comment on peut finir comme çà. Comment on peut démarrer sa journée dans cet état. En réalité, tout s’explique.

La veille, à trois heures du mat’, la brochette de semi-remorques de Fly By Nite déboule Porte de Pantin. Un sleeper bus, avec des roadies chiropractés entassés, leur emboîte le pas. Toute cette grosse famille s’installe sur le parking pro du Zénith.

Entrée réservée au personnel.

Les chauffeurs descendent de leurs cabines, s’étirent et déconnent.

I NEED BEER!

À trois heures du mat’, la journée commence bien. Blagues salaces et rires gras. Après les premières gorgées, un concours de rots s’improvise. Du lourd. 7.6 sur l’échelle de Richter.

Les endormis du bus émergent. Roadies au réveil. Yeux gonflés, gueules boursouflées de sommeil. Craquements d’os.

Lentement, le ballet des poids lourds prend forme. Ils s’alignent les uns à côté des autres. Leurs grandes portes arrières s’ouvrent sur tonnes de matériel rangé dans des centaines de flight-cases, méticuleusement alignées dans chaque remorque. Le tout sanglé, calé au millimètre. Et numéroté.

Un gardien appuie sur un bouton vert. Vrombissements et grincements. La grande porte d’accès à la salle s’ouvre. Sur le parking, des roadies grimpent dans les remorques et commencent à décharger. Quatre mecs pour décharger les flight-cases, puis deux autres pour les pousser jusqu’au pied de la scène. Sur le bitume, le bruit des roulettes est assourdissant. Puis vient le son velouté sur le sol plastifié de la salle. Le matos est déballé, les flight-cases entassées dans un coin. Un grand coin. 

À huit heures et demi, après cinq de heures de déchargement et d’installation, les chiropractés carburent au RedBull. La journée est lancée mais loin d’être terminée.

Sur le parking, à côté des semis, sleeper bus et autres camions régie, le petit utilitaire blanc passe pour un chaton dans une cage aux lions. Quelques bricoles à sortir. À peine. Déchargées en vingt minutes. En solo.

Fastoche. Les mecs se marrent sur le parking.

Choupette appelle.

Y’a pas un taxi ce matin à Paris. Je bad-tripe.

Le métro est un transport public urbain de masse qui perm…

J’ai mon matos. Plus le matos de Leen-C. Plus des trucs. Plus encore d’autres trucs. Le métro, y’a pas moyen.

Il est neuf heures. Et Choupette, quelque part dans Paris, est déjà à point.

Dehors, une pluie fine et froide s’abat sur la traînée de sueur chaude dans le dos.

Choupette rappelle à son arrivée.

J’suis dans notre bureau de prod. Ils nous ont filé une loge à côté du catering.

Porte à code, barre de lupiotes au dessus d’un grand miroir.

On a même un radiateur. Qui marche en plus. La classe, non?

Elle déplie son ordi qu’elle pose face au miroir.

J’suis complètement en détente. C’est dingue.

La journée de la fine équipe parisienne peut commencer. Journée qui a nécessité sa petite tonne de préparation en amont. En plus de la tonne de taff à abattre pour réaliser tous les projets. Parce qu’il a fallu la remplir cette putain de salle. Alors il a fallu allonger les journées et bosser le week-end. Il a fallu organiser, crier, planifier, hurler, coordonner, criser puis s’effondrer et dormir avant de tout lancer. 

Bienvenue au Zénith de Paris un jour de concert.

Dans la salle, les éclairages sont posés, les visuels tractés à des dizaines de mètres du sol, fixées à des armatures sur lesquels des technicos jouent les ballerines en Caterpillar.

Au sol, au milieu de la fosse, deux machinos posent un rail de travelling. Niveau à bulles et cales en bois en mains, ils affinent le boulot. Ils s’enfuient. Deux molosses déboulent alors avec des barrières de sécurité pour protéger le travail.

Sur le côté, trois mectons déplient lentement une louma, un gros bras en métal monté sur pivot permettant de piloter une caméra. Étalé sur la plateforme en bois qui accueille la bête, MacBook Pro sur les genoux, l’un des techniciens configure l’engin.

Sur le parking, quelques roadies déroulent du câble au kilomètre. Ils dévident des bobines grosses comme des pneus de camion. Quinze à vingt minutes par bobine, sans la pause clope obligatoire. Puis les mecs prennent le tout sur l’épaule et filent sous la scène.

La fine équipe parisienne arrive progressivement. À onze heures, la brochette réquisitionnée pour faire office d’artiste-liaison est calée autour d’une grande table, au catering. Coca et eau plate pendant le brief de la p’tite anglaise, artiste liaison en chef.

Être à côté mais invisible, anticiper les besoins pour éviter les cri-crises, répondre aux demandes pour éviter les scandales. Être sympa et courtois, ne pas prendre ses aises. Éviter toute forme de contact physique amical mais intrusif. Trouver du gingembre frais, des citrons de Floride, de la glace à la goyave, des putes, de la coke, une masseuse de pieds. Secouer un cocotier pour faire tomber des bananes. Vite et bien.

Une heure de brief pour en apprendre autant que possible sur le taff. Une journée pour ne surtout pas se louper.

Pas facile tous les jours comme boulot. Mais si la starlette se lève du bon pied, tout peut bien se passer.

Autour du bâtiment, la course commence. Dispatcher les visuels selon les zones, s’accorder sur le nombre, repérer les points d’attache éventuels, courir à l’autre bout du site pour poser les tentes d’accueil de la presse. Sous les tentes, deux tables et quelques chaises. Sur ces tables, un peu plus tard dans l’après-midi, deux chips, trois cahuètes et quelques rafraîchissements. Pour faire patienter les journaleux. Chacun son tour pour l’interview des stars en fin de journée, un peu avant et au début du concert. Une autre tente sera calée à l’entrée, pour l’accueil des invités.

Pause au catering. Celui du Zénith est aussi bon qu’un resto étoilé du Guide Michelin. Jou-Jou a pas mal bataillé avec la salle pour s’assurer que toute la fine équipe y ait droit. Installés à table, Jo-Jo et Lucho, deux colombiens qui bossent pour la boîte chargée d’aider à l’installation des visuels. Après s’être gavés, Jo-Jo taille. Et avec l’ami Lucho, touffe de cheveux hirsutes, commence la course de fond. D’abord le hall pour les affiches rétro-éclairés, puis les grilles à l’extérieur, pour les banderoles. Et ainsi de suite, partout dans la salle ou tout autour. Et ce putain de téléphone qui sonne toutes les deux minutes. Réglages, confirmations, annulations et modifs de dernière minute à la pelle avec Jou-Jou et Choupette. Vu la taille du bâtiment, être équipé de moyens modernes de communication est pas mal. Mais prenant.

Mais tou es oune vrai ministro. Bazy, répond. Yé bé finir ça tout sol.

Au dessus des caisses à l’entrée, dans les méandres pour la réception VIP, dans la salle, dans le hall encore. Armés de bouts de ficelle, de serres-câbles, de scotch et de cutters, une après-midi pour poser tout le bazar un peu partout. 

Parfois, Choupette est dans la même zone. Alors elle s’approche. Pour régler, confirmer, annuler, modifier…

Pour chaque truc, j’ai besoin de valider avec quinze personnes. Du coup, ça complique un peu l’affaire. Désolé, les gars.

À chaque intervention en chair et en os de la donzelle, Lucho laisse tomber la ficelle. Et bloque. Elle part. Toujours bloqué. Une minute s’écoule, il reprend enfin ses esprits.

La Choupette tiene un culo increíble…

Un joli cul de brésilienne. Tout le monde est d’accord. Mais tranquilo, muchacho. Il reste des panneaux à accrocher.

Course folle et bilingue. À 17 heures, tout le matos est posé. L’ami Lucho récupère son vélo posé sur les flight cases et taille la route.

Hasta luego, hombre.

Reste moins de trois heures avant le concert. Backstage, la population a décuplé. Des allures de correspondance aux heures de pointe. Du monde qui grimpe, qui descend, qui va, qui vient, qui cherche, qui ne trouve pas, qui repart en courant.

Dans l’après-midi, nos amis les stars défilent sur scène pour faire les balances - pousser la chansonnette gentiment pour régler les niveaux au mieux pour leur passage dans la soirée.

Dans le hall, les employés des buvettes préparent les sandwichs, font le plein de boissons, nettoient leurs comptoirs, sortent les chariots.

La foule se forme progressivement à l’entrée. La sécu s’installe.  

Leen-C, arrivée en fin de matinée, est en train de manger son cinquième stylo bille. Apparemment goûtues, ces petites choses.

Plus jamais je m’occupe de la liste d’invités. Le truc le plus relou que j’ai fait de toute ma vie. Hardcore jusqu’à la mort.

En duo avec K-rotte, elle prépare, sur son ordi, la liste des gens importants, super importants, hyper importants et autres pontes à la con. Petites enveloppes, petites invit’, petits bracelets VIP. Des gens qui vont venir, ou pas, ou bien. Qui s’en foutent mais qui font les pisseuses. Et Leen-C, les pisseuses, elle tolère modérément. Alors elle mange des stylos.

Vers 18h20, dîner au catering avec Jou-Jou, Leen-C, K-rotte, Choupette et Sam-Ya, arrivée un peu plus tôt. À 18h30, un événement complètement dingue survient.

J’suis ouf, c’est le bordel. On n’est pas prêt du tout.

L’ami Jou-Jou est sévèrement secoué par l’incident.

La France va mal, les mecs. Super mal.

Tout le monde y va de sa petite remarque.

La sécurité a ouvert les portes. Le public est autorisé à rentrer. Ce qui arrive dans toute salle de concert. Mais la fine équipe le vit intensément.

Tant pis pour la graille. Quelqu’un pourra m’amener une assiette un peu plus tard?

Leen-C taille direction l’entrée, sous la tente réservée à l’accueil presse, VIP et autres pisseuses. Et elle ne pense pas aux mots violence, torture ou fusil à pompe. Elle distribue des invit’ et des accrédit’ en souhaitant une excellente soirée à tout ce joli petit monde.

De l’autre côté, devant l’entrée des artistes, briefing des technicos en chef à une heure du début officiel. Une flopée de chanteurs et de zikos, des instruments à la pelle, des écrans géants, des spots… Un sympathique bordel qui les incite à s’accorder du temps pour être  sûr que personne ne se marche dessus ni n’oublie rien.

Quelques minutes après le brief, un DJ s’installe aux platines pour chauffer gentiment les premiers arrivés.

Début des hostilités à vingt heures.

Leen-C continue son accueil pisseuses, les VIP déjà arrivés sifflent une coupette ou deux et les artistes attendant leur passage répondent aux journaleux à l’arrière, dans la salle de presse au fond du parking.

K-Pu et son crew arrivent en fanfare. Allumés comme des cierges dans une église hérétique. Du fluo, du rose, des motifs, des casquettes affreuses, de la fourrure. Carnaval de déglingués. Hip-Hop Deschiens.

La classe intergalactique.

Toute la fine équipe est maintenant dans la place, trémousse son cul dans la fosse, s’enquille les bibines dans le hall, crapote son mégot. 

Retour au charbon à partir de vingt et une heures. Démonter et plier en 90 minutes tout ce qui a été monté dans la journée. Sur fond de vrombissement. Celui du gros bibendum argenté qu’est le Zénith.

Sur le parking, une régie technique est installée sous un barnum. Une demi-douzaine de MacBook tournent à plein régime. Connectés aux bestioles, des racks de ports USB avec des clés connectées. Sur chacune d’elles, en cours de copie, interviews des artistes et images du concert de ce soir. Tournées, montées, compressées dans la foulée pour être copiés. 5000 clés USB qui seront distribuées à la sortie.

90 minutes plus tard, retour au catering. Toute la graille est pliée sauf quelques restes, laissés sur une table, pour les petites hypoglycémies soudaines.

Le public est à bloc. Hurle méchamment.

Faut faire un truc, là. J’vais m’évanouir sinon.

Jou-Jou regarde autour de lu, hébété. Courte hésitation avant une pause kiwi cuillère, affalé sur une chaise.

Remerciements. Cris hystériques. Salutations. Extinction des feux. Et cadavres de kiwis à la poubelle.

Catering et loges dégueulent de monde. Tous ceux qui étaient sur ou autour de la scène déboulent d’un coup. Une correspondance un jour de grève. Genre un train sur quatre.

La patronne déboule, déjà bien pompette, après passé la soirée à siffler des coupettes en zone UVIP - Ultra VIP. Oui, il y a des degrés dans ces choses-là.

J’vais vite filer à l’after-show. Sinon j’vais m’effondrer.

La fin du son annonce le début du pliage. À l’extérieur, du monde s’active. Les trimballe-stars font chauffer les moteurs et allument la clim. Gris métallisé, jantes sport, vitres teintées, les fourgonnettes s’alignent à l’entrée des artistes, qui devient la sortie. Lorsque une fourgonnette a fait le plein de superstars, le chauffeur enclenche la première, file à la grille et disparaît dans la nuit.

Les roadies finissent leurs RedBull avant de remplir et sortir les flight cases, moins de vingt minutes après la dernière note de musique. Lorsque les feux de la rampe s’éteignent, les frontales s’allument derrière la scène.

Un premier poids lourd manoeuvre et bouscule les fourgonnettes pimp qui tremblent et s’entassent.

K-Pu et Fresh-Fraîch’ rejoignent Jou-Jou et filent à l’after, fignoler deux trois détails. Départ du site vers 23h30. Aller retour à Bagneux, déposer l’utilitaire, récupérer le 650. Retour au bercail, hygiène corporelle de rigueur puis direction l’after-show à la Bellevilloise, privatisée pour l’occasion.

Et toute la fine équipe est au rendez-vous. À siroter coupettes et cocktails colorés, aux frais de la princesse. Tout ce petit monde a décidé de s’en prendre une belle. L’open bar se fait gentiment maltraiter. 

Ça se bouscule, se câline, se bécote, se chatouille. Les garçons sourient aux filles qui sourient aux garçons et parfois aux filles. Et inversement.

Des corps éreintés sur un dancefloor limé jusqu’au petit matin. Des verres enquillés, d’autres renversés. Derrière le bar, le petit personnel fout le feu. Derrière les platines, les deux furieux maintiennent la pression. La fine équipe se déchaîne, se frotte. Des vestes tombent, des chemises tombent. Des gens tombent. Mais se relèvent et repartent, titubant, au milieu de la bande qui se trémousse, endiablée.

Évacuation de la tension, propre et radicale, jusqu’au petit matin. 

Et la couette est une bulle.

Haleine fétide probable.

La cordiale caissière hausse le sourcil puis plisse le nez. Si seulement elle savait…


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