Magazine Médias

Secret Story 4 - légitimer l'immoralité ? (2/2)

Publié le 08 octobre 2010 par Coline
S'il fallait noter une période ou une émission charnière dans l'évolution de la télé-réalité depuis 10 ans, il me semble que cette quatrième saison de Secret Story, actuellement diffusée sur TF1, en serait le parfait artisan.
Là où il y a quelques mois, Dilemme a échoué dans sa redéfinition de la "réalité" télévisuelle par l'épuration à l'excès de son récit, Secret Story a pris une direction radicalement opposée en cherchant, au contraire, à contrôler la quasi-totalité des événements qui rythment le jeu. 


Abus de faiblesse

Si la propension à manipuler les candidats est un des éléments fondateurs de la télé-réalité, il me semble que jamais jusqu'alors, les producteurs de l'un de ces jeux ne l'avaient maniée aussi librement, décomplexée et systématique, jusqu'à flirter avec un totalitarisme effrayant. Plus mesurée au début de cette saison du jeu, il semblerait que, les semaines passant et l'audience diminuant, la production se soit petit à petit autorisée à utiliser chacun des travers et des traits de caractère des candidats, afin de donner une apparente légitimité à ses idées les plus révoltantes.
C'est ainsi qu'elle n'a pas hésité à éliminer de manière quasi arbitraire une candidate en lui demandant de choisir entre son élimination et la nomination d'une de ses adversaires, méprisant avec brio la règle du jeu selon laquelle c'est le vote du public qui décide de l'élimination ou non d'un candidat, et se moquant donc à la fois des candidats et de tous ceux qui envoient des sms surtaxés pour soutenir leur préféré. Habileté du montage (c'est certain) ou véritable aberration quant à la capacité de jugement et de recul des participants (peut-être aussi ?) : à aucun moment nous n'avons vu les candidats remettre en cause ni même s'interroger sur la légitimité de cette élimination comme, plus globalement, de tout ce qu'on leur impose.
Veuillez installer Flash Player pour lire la vidéo
A de nombreux autres reprises, on l'a vue utiliser les faiblesses de chacun, suscitant la jalousie excessive d'unetelle en mettant son copain dans les bras d'une autre fille, forçant un autre à feindre d'être en couple avec la fille qui l'a justement quitté la veille, mettant en scène l'espionnage des candidats par d'autres candidats afin de leur permettre d'observer l'éventuelle hypocrisie des autres à leur égard... Par la volonté du jeu, l'un d'eux a par exemple été tour à tour père de l'enfant d'une autre candidate, tricheur ayant dissimulé un téléphone portable, responsable de la (fausse) élimination d'une autre candidat pour valider l'argent qu'il avait gagné... fabriquant du faux scandale et des trahisons factices pour maintenir un remous permanent. Ce climat de tension et de suspicion constante est sans doute celui qui a permis à la production de pousser son influence sans rencontrer la moindre résistance, jusqu'à la mise en scène qui suit.

Petits procédés de manipulation mentale

Encore plus stupéfiant, la production est allée jusqu'à créer le climat, propice offrir l'opportunité puis la mise en scène (et même une pseudo-contestation) de la concrétisation d'un mariage au cours de l'émission, en seulement deux semaines ! Au départ, il y a un couple, Amélie et Senna, formé il y a quelques semaines à l'intérieur de la "maison". Après leur avoir offert l'accès à une chambre spéciale,  vulgairement accoutrée de draps en satin, coussins en forme de coeur et et isolée des autres pièces, afin de leur permettre de consommer en tout tranquillité (sous le regard, bien sûr, de caméras...) leur amour naissant et leur passion grandissante. Quelques semaines après, la production décide de séparer pour une semaine les deux amants, dans deux maisons différentes, avec comme unique lien, la transmission de messages via les deux candidats les plus aptes à déformer leurs propos. Amélie d'un côté, accompagné de sa jalousie extrême et de ses accès d'hystérie (au sens le plus freudien du terme), et Senna de l'autre, accompagné de son ex copine. Un climat parfait pour cultiver tensions, crises, peurs et donc besoin impératif de réassurance. C'est comme ça qu'a germé l'envie, d'un côté de la maison comme de l'autre, de s'engager pour prouver leur amour face au scepticisme général (autres candidats, amis, familles...). A la fin de la semaine, la production avec installé le décor pour qu'au moment de leurs retrouvailles, Senna puisse faire sa demande de fiançailles. Une fois chose faite, alors même qu'il avait déclaré à un autre candidat qu'il allait la demander en fiançailles et voir ensuite comment leur relation évoluerait à l'extérieur du jeu, la production leur annonce que le mariage aura lieu la semaine suivante, en direct ! Dans le même temps, celle-ci demande à deux autres candidats de faire tout ce qu'ils peuvent pour tenter de provoquer l'annulation de ce mariage. Une semaine plus tard, le mariage a finalement lieu, offrant à TF1 une belle remontée d'audience et au couple, le risque de vivre la sortie du jeu et la retombée de l'excitation médiatique comme une dramatique descente de coke, un peu comme le réveil qui suit un mariage éthylique à Las Vegas. Mais l'histoire ne finit pas là, les deux jeunes mariés, complètement abrutis depuis deux ou trois mois par l'effet puissamment narcotique de la télédiffusion de leur vie quotidienne, en viennent à sérieusement envisager l'idée de faire des enfants immédiatement. Du coup, poussant le ridicule à son paroxysme (et profitant de l'aubaine pour mettre un pied dans la veine "éducative" que tentent de prendre la télé-réalité et la télé-coaching depuis quelques temps), la production a confié au couple, pour une semaine, la garde d'un poupon en plastique avec faux pleurs enregistrés. Heureusement, la stratégie a marché et l'idée de mettre un enfant au monde s'est éloignée de leurs priorités. Mais c'est malheureusement aussi une aubaine pour TF1 qui gagne, du coup, une apparente légitimité à sa revendication éducative.

Une responsabilité fantôme

L'exemple, qui témoigne de la puissance de la télé-réalité, est terrifiant, car il montre combien la manipulation de deux personnes grisées et affaiblies par une potentielle célébrité* (qu'il ne connaissent même pas encore puisqu'ils ne sont pas sortis de la maison), la peur de ne pas gagner (la plupart des candidats repartant a priori presque sans argent), et des tensions permanentes, est facile et qui plus est, jamais remise en cause, que ce soient par les candidats à l'intérieur ou par le monde extérieur, sous prétexte qu'il s'agit d'un jeu auquel ils sont volontaires.
Ce que j'aimerais maintenant comprendre, c'est ce qu'il se passe dans la tête du présentateur Benjamin Castaldi, dont le jugement est toujours bien planqué derrière un petit sourire ironique, et surtout des personnes à l'origine de ces idées, qui conçoivent ces scénarios et exploitent les faiblesses des candidats sous couvert d'un contrat bétonné et de quelques vagues revendications morales. Si l'on a depuis longtemps compris combien les participants (rarement brillants, qui plus est) à un jeu télévisé ou une émission de télé-réalité sont passifs et manipulables jusqu'à l'extrême par l'autorité que constitue le dispositif télévisuel, on s'interroge encore bien peu sur la responsabilité de ceux (sensés a priori être plus éduqués et réfléchis que leurs cobayes) qui manipulent et exploitent la naïveté des candidats à loisir, avec l'insouciance et le mépris de ceux a qui on a confié un pouvoir sur l'humain, un pouvoir, donc, politique. 

*Si les mécanismes ne changent pas réellement, que les personnalités des candidats sont sensiblement les mêmes d'années en années (des filles souvent jolies, pédantes et caractérielles, des garçons souvent benêts, qui se perdent dans la beauté des filles ; des mannequins, playmate, acteurs en herbe... bref autant de profils types de personnalités potentiellement attirées par une célébrité rapide et sans nécessaire fondement), on a bien compris maintenant que l'idée d'anonymat, comme celle de réalité, n'avaient plus tellement leur place en téléréalité. Mais à partir du moment où elle est devenue un objet courant et commun, il est logique que les participants aient cessé de l'appréhender comme une expérience humaine qu'ils vivent, pour en faire leur propre laboratoire de célébrité. La maison de Secret Story est désormais une antichambre du show-business.

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Coline 9 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines