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Les propos de Montebourg ont eu une certaine audience. J&...

Publié le 10 octobre 2010 par Francoisjost

Les propos de Montebourg ont eu une certaine audience. J’ai dénoncé ici ou là leur caractère très approximatif, sans remettre en cause que TF1 méritait d’être critiqué. J’ai répondu à maints commentaires du post précédent. Mais je sens bien qu’ils ne sont pas assez concrets. Alors, pour exemplifier la différence, selon moi, entre l’analyse et la critique intuitive, je reproduis ci-dessous l’extrait d’un article que j’ai écris il y a quelques années,

« La politique des émissions non politiques », Controverses n°6,Paris, éd. de l’Eclat, novembre, p. 161-169. Le lien se trouve dans la colonne de gauche.

” Parmi toute cette variété de programmes de prétendus services, il en est quelques-uns dont la promesse est d’agir sur la société elle-même. Soit pour aider à s’insérer dans le système de la libre entreprise, en créant par exemple un restaurant (Oui, chef !) , soit en trouvant des solutions à des problèmes que l’état ne sait pas résoudre. J’en donnerai deux exemples.

D’abord, Le Grand Frère. L’émission repose sur le schéma suivant : des scènes montrent un adolescent en conflit avec sa famille : disputes, insultes, fugue. Personne ne peut lui faire de remarques (« je parle comment j’veux à ma mère, putain ! »). Arrive alors Pacsal, le Grand frère. Il s’installe dans le foyer, couche dans la chambre de l’ado et, en quelque temps, il le transforme, lui inculquant des valeurs de respect. La force argumentative de ce programme tient d’abord au fait qu’il repose sur ce que j’ai appelé la feintise : les scènes d’altercation parents-enfant sont filmées comme si elles étaient prises sur le vif, la caméra est proche de ses sujets, la trace des projecteurs bien visible. En d’autres termes, elles feignent de faire vraiment référence à la réalité. Et pourtant… Comment imagine-t-on que ce family viewing se fasse à l’insu de ses protagonistes ? Comment penser qu’ils ne jouent pas pour la caméra ? Comme dans tous les phénomènes de feintise, cette inférence sur le jeu de l’acteur est inégalement perçue selon la formation du téléspectateur à l’image… Quoi qu’il en soit, TF1 n’hésite pas à baptiser son éducateur-coach du nom que l’on donne aux médiateurs des banlieues et à prétendre que le « grand frère » « est capable de se faire entendre d’un adolescent en désaccord avec la société »… La journaliste chargée de préparer l’émission n’hésite d’ailleurs pas à prendre un pseudo (feli2079) pour recruter sur un site destiné aux femmes en vantant le rôle social de son programme : « Plusieurs de vos enfants (entre 16 et 20 ans) sont en crise d’adolescence: rébellion, manque de respect, fugue, échec scolaire … Vous ne savez plus comment réagir ? Pascal, éducateur spécialisé peut vous venir en aide: sa mission est de rétablir le dialogue à la maison et trouver une orientation professionnelle ou scolaire. Contactez Caroline au 01 55 26 70 32». Ce qui entraîne la réaction positive de téléspectateurs crédules : « Posté par lori le 08 Jan 2007, 14:48. bonjour jaimerais savoir si c seulement pr la france….je vis en belgique et jai un frere de 17 ans qui nen fait qu’a sa tete… » (sic).
La structure de l’émission, quant à elle, répond aux critères de la séquence narrative minimale, d’une façon on ne peut plus respectueuse de la narratologie : après la scène brutale de conflit, l’éducateur arrive et, grâce à son savoir-faire, résout le conflit. En d’autres termes, en promettant une action du côté du monde réel, le programme procure pour ceux qui le regardent un plaisir qui est plutôt du ressort du récit classique. Ce faisant la télévision se présente comme le recours ultime à la déliquescence des institutions, alors même qu’elle utilise toujours les mêmes recettes, éprouvées, pour construire des scénarios divertissants, transformant les problèmes sociaux en aventures individuelles liées aux caractères des uns et des autres… Tout en prétendant tenir une promesse exorbitante (rien de moins que résoudre les problèmes auxquelles la société se heurte), la télévision offre à son téléspectateur un simple divertissement.
Régulièrement, on me demande jusqu’où s’étendra l’empire de la télé-réalité. N’étant ni Pythie ni devin, il ne m’est pas facile de répondre à cette question. Une chose est sûre, néanmoins : c’est que cette vision du monde où il suffit de se retrousser les manches pour résoudre tous les problèmes de la société a migré bien au-delà des chaînes privées d’où elle était partie. Malgré son refus affiché de céder aux sirènes de ces nouveaux formats, le service public n’a-t-il pas proposé aux téléspectateurs, en juin dernier, La Brigade des jardiniers ? Une émission qui promettait de resocialiser des jeunes à la dérive en leur faisant refaire, gratuitement, le jardin d’un grand château, en leur imposant une discipline sévère ? Et l’on put voir exactement les mêmes scènes que dans le Grand frère, notamment celle-ci, qui est devenue un passage obligé, un topos, de ces programmes : une jeune fille qui refuse de sortir de sa chambre, qui insulte l’adulte qui vient voir comment elle va, la fiche à la porte avec quasiment les mêmes mots que sur TF1…
Certes, les solutions de TF1 et de France 3 ne sont pas tout à fait les mêmes : l’intervention d’un homme qui ressemble plus à un coach qu’à un éducateur d’un côté, la rééducation militaire par le travail de l’autre. Les programmes politiques diffèrent sensiblement. Mais il m’importe peu ici de savoir si telle chaîne penche plutôt à droite ou plutôt à gauche. Ce qui me retient, c’est que l’une et l’autre font comme si la télévision pouvait jouer un rôle dans l’amélioration de la société. En cela, elles s’accordent sur les bases d’un télépopulisme qui cherche l’origine des problèmes actuels dans l’éloignement produit par les médiations : de l’agence de l’emploi, des mesures gouvernementales, etc. Le spectacle de la réalité ne montre-t-il pas qu’il suffit d’encadrer directement les jeunes pour résoudre leurs problèmes ? Ce sophisme était déjà au cœur des reality shows de l’intime (comme L’Amour en danger), qui tiraient leur légitimité de leur vertu thérapeutique : regardez comme j’améliore devant vous le sort de quelques personnes (une, deux ou trois, pas plus), or ce que je fais devant vous, je pourrais le faire pour tous, donc je pourrais le faire pour vous. Syllogisme, qui n’est  évidemment qu’un paralogisme, qui postule une généralisation impossible, puisqu’elle aboutirait seulement à remplacer au sens propre la télécratie par la démocratie.
Ce programme est très caractéristique du double discours d’une grande partie de la télévision d’aujourd’hui : prête à revendiquer son rôle dans le débat public, plus déterminant selon elle que celui des institutions ou des hommes politiques, et à plaider le divertissement quand ses programmes provoquent des débats qui la mettent en difficulté. Ce glissement du monde réel au monde ludique a été élevé depuis Loft Story au rang d’une stratégie. La plupart des émissions de télé-réalité entrent dans l’espace public grâce au thème du service ou de l’action sociale ou politique et s’en retirent sur la pointe des pieds du divertissement qui, toujours, s’avance masqué.”

comprendrelatele

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