Demain va commencer une grève reconductible motivée par la réforme des retraites. Le mouvement syndical entre dans une
phase très différente. Jusque-là il s'agissait principalement de mobiliser pour des manifestations. Elles étaient étalées dans le temps et alternaient semaine et samedi pour éviter
l'essoufflement et permettre à une large population de manifester. Une grève reconductible, c'est très différent. C'est un bras de fer, et ce qui compte c'est plus d'avoir une grève importante
que directement le nombre de manifestants. Les grèves les plus importantes sont celles qui paralysent des pans essentiels de l'économie et qui durent, forçant le patronnat ou l'Etat à faire
machine arrière.
Les centrales syndicales n'y étaient pas favorables. Elles se sont laissées entraîner dans ce mouvement par leur base dans le secteur
public, et par la concurrence de SUD Rail. Pourquoi les dirigeants syndicaux étaient réticents ? Parce qu'ils ont compris les risques de cette stratégie, bien sûr. Une grève
reconductible c'est une guerre d'usure, et dans cette guerre les syndicats ont toutes les chances de perdre. Parce que les jours de grève ne sont pas payés, parce que les entreprises refusent
d'étaler sur plusieurs mois ces retenues de salaires, parce que le gouvernement n'est pas prêt à reculer, ... Et parce que cette réforme, contrairement à tout ce que dit le
gouvernement, est une petite réforme d'adaptation. Les réformes qu'on a vu être retirées sous la pression de la rue et des grèves étaient des réformes idéologiques (le CPE de Villepin,
les retraites par capitalisation de Juppé, ...) mais celle-ci est une réforme plus technique qu'idéologique. Le gouvernement n'attend que ça, le durcissement du mouvement. C'est
le meilleur moyen pour lui de montrer sa fermeté et son efficacité malgré les difficultés.
La grève reconductible, ce n'est pas seulement le risque de perdre le combat. C'est aussi le risque de perdre le
soutien de l'opinion. Les gens qui sont bloqués pour aller travailler, les pénuries d'essence ou les coupures électriques, ça ne rend pas très populaire ! Or on sait qu'au début du
mouvement, dans un contexte marqué par l'affaire Woerth-Bettencourt et la répression contre les Roms, l'opinion soutenait les protestations populaires sur la forme. Sur le fond, elle estimait
aussi que l'âge de la retraite ne pouvait pas être conservé malgré l'allongement de la durée de la vie. Le risque que prennent les syndicats est qu'elle ne soutienne même plus les mouvements
sociaux de protestation.