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La pueri/culture

Publié le 12 octobre 2010 par Yann Frat / Un Infirmier Dans La Ville

lapinou_et_ours

Paul mccarthy "bear and rabbit"

Pour finir sur le thème de mon année formidable en puériculture ( thème dont je n'avais pas prévu de parler au départ mais je ne sais pas... cela fait 10 ans pile cette année alors?), trois anecdotes typiques de mon décalage total avec tout le monde cette année là me reviennent...

NOTE : Je sais que certaines notes sont limites melon (pourrait-on croire que MOA j'ai le melon? ;)) ) mais je vous rappelle que je n'ai jamais eu mon diplôme de puer alors que toutes mes collègues oui...  donc, ça compense ;))

De la psychotechnique:

Petit blabla autour d'un café entre deux cours... Personne ne me parle vraiment mais ma présence est tolérée comme celle d'un animal familier auquel plus personne ne porte vraiment attention... Je suis une aberration ici, tout le monde l'a bien intégré et le vit bien:
"- Nan mais pour le test psychotechnique de recrutement (ndlr celui du concours qui nous a recruté... ) il parait qu'ils notent en prenant le meilleur a qui ils mettent 18 et puis après ils classent en décroissant suivant le nombre de réponses...
- Ah ouais?
-Si,si, enfin il parait... Enfin t'imagine, 18 !! Moi j'ai gratté comme une folle et j'ai eu a peine 14...
-Ah ben vi et moi j'ai eu 12 et j'ai répondu a pleins de questions alors 18...
-Ouais non t'as raison en fait si ça se trouve c'est 18 au niveau national et ils comparent après... Attends 18 je ne vois pas qui ici aurait pu avoir 18 à ce test..."

Petite voix étouffée de l'animal de compagnie...
"ben... moi."
...

Pouic pouic pouic. Pouic pouic pouic.

Note: puisque des profs passent ici il faudra m'expliquer un jour : pourquoi je cartonne en général aux tests psychotechniques (j'en ai fait une bonne dizaine) alors que j'ai fait une scolarité globalement lamentable mmm?

Du discours:

A la fin de l'année de puer on devait faire un mémoire (ou un TFE pour Travail de Fin d'Etude)... Ok jusque là tout va bien...
Dès le début de l'année moi je voulais faire un mémoire sur le suicide des enfants. D'abord parce que c'est un sujet pointu qui m'intéresse énormément (une théorie a posé que les enfants ne peuvent pas se suicider car "ils ne peuvent pas encore conceptualiser la mort". Pour aller vite disons que je suis sûr du contraire... Rappelons aussi que jusque dans les années 60 les mêmes "têtes pensantes" avaient décrétés que l'enfant en dessous d'un an ne pouvait pas ressentir les douleur et donc opéraient les enfants de cet âge sans anesthésie... CQFD?). Ensuite car cela faisait la suite de mon mémoire infirmier sur le suicide des adolescents donc pédagogiquement tout ça me semblait cohérent.

Sauf qu'une fois passé le premier mois et le choc du "Anne Geddes spirit", je me suis rabattu tactiquement sur un sujet beaucoup plus consensuel: "Le coucher de l'enfant de trois ans hospitalisé" (sujet bateau s'il en est mais qui au bout du compte s'est révélé passionnant en fait... D'ailleurs saviez vous que dans la mythologie latine Hypnos et Thanatos sont frères et que la chambre à coucher a toute une histoire qui lui est consacrée...Si, si... Ok evidemment personne à l'école ne comprenait vraiment le lien mais moi je sais qu'il y est (dans l'interface :sommeil/angoisse/mort/changement d'état/confiance) ;)) ).
Bref pour une fois tout aurait du être simple donc...

Sauf que j'avais une amie qui sortait de la fac de philo et qui m'a demandé le titre de mon mémoire... :
"-Ben... "Le coucher de l'enfant hospitalisé"... c'est bien non, c'est simple?
-Mais non enfin ce n'est pas possible !!! Ce que tu produis c'est du discours, c'est pas un coucher gourdasse!!! (oui mes amis m'appellent parfois "gourdasse"... ou "Sue Hélène" aussi mais c'est un autre débat). Si tu veux un vrai titre il faudrait écrire "Du coucher de l'enfant de trois ans hospitalisé", evidemment... Attends, si un de me prof de la fac voyait ça il déchirerait ton mémoire directement sans le lire...
-Ah vi, evidemment..."

Et evidemment j'ai appelé mon mémoire comme ça : "Du coucher de l'enfant de 3 ans hospitalisé"

Et evidemment le fameux jour de la soutenance, après ma sortie sur Anne Geddes, mon enseignante m'a posé la question inévitable...

"- Mais pourquoi ce titre?
- Parce que on ne peut pas mettre "le coucher de l'enfant" : ce qui est produit ici c'est du discours et non un coucher...
- Ah bon? un discours? Mais vous allez le lire en public ?"

Pouic pouic pouic. Pouic pouic pouic.

De l'art contemporain...

Pile l'année de ma formation, le centre d'art contemporain de la ville où je faisais mes études a proposé une expo internationale sur "l'enfance et l'art contemporain" (grosse expo avec énorme relais presse en 6 langue etc...). J'y suis allé (car oui madame je vais aux expos d'art contemporain même quand je n'ai pas de fille à draguer ;)) ) et j'ai totalement adoré... Enfin, pour une fois, les artistes montraient l'enfance telle qu'elle est vraiment c'est a dire aussi violente, "sexuelle" (dans le sens d'une sexualité non génitale evidemment), anticonformiste, drôle, ironique, aux portes de la folie parfois, dérangeante aussi... Bref l'antithèse de Anne Geddes et des lapinous bleus de mon quotidien...

Alors entendons nous bien : non je ne pense pas que l'enfance n'est que violence et sexualité MAIS elle n'est pas non plus que bisounours et petits poneys, alors a un moment il faudrait arrêter le délire qui instrumentalise les enfants et les enferme dans la vision morbide qu'ont les adultes de leur propre enfance perdue... (bon, ça c'est dit ;)) )

En particulier j'avais adoré deux œuvres : la première qui était visible depuis l'entrée représentait un énorme ours (2 a 3m de haut quand même...)  en peluche bleu qui enculait joyeusement un lapinou bleu de la même taille totalement hilare... (cf photo). Cette œuvre fût pour moi carrément une libération: le pouvoir transgressif de l'enfance enfin évoqué...   

La seconde était une vidéo diffusée dans une petite cabane pour enfant où l'on voyait un Pinnochio affublé d'un un long tuyau à la place du nez "subir" les repas (la nourriture était enfoncée dans son grand nez), le bercage, le coucher... Et tout le coté parfois violent de ces gestes quand ils sont faits sans être pensés ou portés intellectuellement éclatait... En fait cette vidéo était une illustration exacte du concept de "holding/ handling/object presenting" de Winnicott et encore une fois elle était totalement libératoire et me semblait parfaitement pertinente...   

pinochio

Paul mccarthy "la maison de Pinochio"

(désolé pour la qualité de l'image je n'ai pas trouvé mieux)

Bref, en un mot comme en cent, j'ai "kiffé ma race" à cette expo et bien sûr une idée m'est venue : il faut absolument qu'on aille voir ça avec l'école, qu'on s'organise une rencontre avec le commissaire de l'expo, il faut que ces gourdasses filles que je ne comprends pas voient ça, il faut qu'enfin on évoque enfin cette vision là de l'enfance et le rapport très étrange qu'on a / qu'on peut avoir avec les enfants, avec l'enfance... Donc ni une ni deux je me présente à une prof avec mon exemplaire de "Beaux Arts magasine" et tout mon enthousiasme pour dire que oui que il faut y aller, que c'est trop bien etc...

La prof (qui pourtant m'aimait bien) m'a alors regardé en souriant gentiment (animal de compagnie etc...) et a gentiment ouvert le magasine... Pile sur la grande photo en deux pages du nounours qui encule le lapinou...

Pouic pouic pouic ; pouic pouic pouic...

Et non, bizarrement, on n'est pas allé voir cette expo... Et elle m'a rendu le magasine du bout des doigts quelques jours plus tard "cela vous appartient n'est-ce pas?"

;))

Ps1 : un grand merci à Valérie qui a retrouvé la trace de ces deux œuvres... Dont j'avais oublié l'auteur qui en fait est le même!!! (comme quoi l'art co quand ça parle, ça parle )

Ps2 : Accessoirement cette expo d'art à fait l'objet d'une attaque totalement délirante par nos amis de droite extrême qui sont toujours aussi ouverts à la réflexion et à l'humour (...) surtout quand on attaque leur autoroute qu'est l'enfance  (ca aussi il faudra en parler un jour...) et le commissaire, à ce jour, n'est toujours pas été complètement relaxé...10 ans après...

Ps3 : Et sinon, dites moi : je suis le seul que cette peluche met carrément mal à l'aise?

peluche_geddes

 


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