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Retraites : non à la réforme Sarkozy-Jospin

Publié le 13 octobre 2010 par Edgar @edgarpoe

Je n'ai rien écrit sur les retraites. Pour plein de raisons mais principalement parce que c'est un sujet compliqué...

Quelques écueils à éviter à mon sens, ou quelques préalables que je n'ai pas remplis :

- trouver des chiffres de référence. Je ne sais pas ce que valent ceux du COR, mais j'ai tendance à suivre Gérard Filoche qui trouve la situation pas réellement dramatique à long terme ;

-  comme il y a tout de même quelques déficits, j'ai l'impression que l'on pourrait trouver des solutions plus intelligentes que celles que propose Sarkozy, comme d'allonger la durée de cotisations sans toucher à la limite d'âge, ou étaler le départ à la retraite par un mi-temps. Mais tout cela est une mécanique compliquée dont je ne maîtrise pas le détail et je n'ai pas le goût de me plonger dans un sujet aussi complexe.

Par ailleurs, il me semble également que la situation ne serait pas aussi dramatique si notre appartenance à l'Union européenne n'avait pas cassé notre industrie et notre croissance - euro fort aidant.

Enfin, je sens confusément que derrière cette réforme on trouve encore une politique européenne.

Il me manquait des références. Je les ai trouvées par hasard.

On peut donc partir de cette décision du Conseil européen de Barcelone de mars 2002, point 25 :

" Soucieux de relever le défi que constitue le vieillissement de la population, le Conseil
européen demande que la réforme des régimes de retraite soit accélérée en vue de garantir tant
leur viabilité financière que la réalisation de leurs objectifs au niveau social; dans cette
optique, il souligne l'importance du rapport conjoint de la Commission et du Conseil sur les
pensions qui sera présenté au Conseil européen du printemps 2003 et qui sera établi sur la
base des rapports sur les stratégies nationales prévus pour septembre 2002."

Le rapport conjoint mentionné en 2002 (Rapport conjoint de la Commission et du Conseil, du 6 mars 2003, sur des pensions viables et adéquates) est encore en  ligne sur le site de l'Union européenne. On peut valablement penser que les grandes lignes en étaient déjà connues un an avant.

On trouve notamment ce passage clé :

"Prolonger la vie active — À l’heure actuelle, la plupart des Européens prennent leur
retraite avant d’avoir atteint l’âge légal de départ. S’il était possible de relever d’un
an l’âge effectif du départ à la retraite sans augmenter les droits à pension,
l’accroissement prévu des dépenses de pension baisserait de 0,6 à 1 point de
pourcentage du PIB en 2050. Ainsi, un relèvement d’un an de l’âge effectif de la
retraite permettrait d’absorber environ 20 % de l’augmentation moyenne prévue des
dépenses de pension en 2050. Les États membres se sont engagés à retarder les
départs en préretraite et réforment actuellement les régimes de préretraite et les
politiques en matière de marché du travail et favorisent le vieillissement actif (23).
Dans de nombreux cas, cependant, le rythme des réformes est trop lent pour atteindre
les objectifs de Stockholm et de Barcelone en ce qui concerne le taux d’emploi des
travailleurs âgés (50 % en 2010 contre 38,5 % aujourd’hui) et pour permettre de
relever de cinq ans l’âge effectif de départ à la retraite d’ici à 2010."

Dès 2002, Jospin présent, l'Union européenne préparait l'allongement de cinq années de la durée du travail, dans toute l'Europe. C'est beau de voir que Sarkozy essaie de faire passer cette réforme pile à la date imposée par Bruxelles sept années auparavant. Ce n'est sans doute pas un complet hasard.

On trouve toute la mécanique européenne dans cet enchaînement :

1. la décision initiale vient du Conseil européen. Les partisans de l'Europe expliquent toujours que, puisque les chefs d'Etat ont signé, c'est démocratique. Sauf que le texte initial est vague, et qu'ensuite c'est un rapport préparé par la Commission qui vient fixer les choses. In fine, la Commission fait à peu près ce qu'elle veut, sachant qu'en fixant en 2003 des objectifs pour 2010 elle sait que plus personne ne sera là pour contester.

2. Jospin a signé en 2002 et en 2003 il n'était plus là, mais peu importe. S'il avait été élu, il aurait signé pareil, discuté un ou deux détails mais de toute façon le texte serait passé tel que la Commission l'avait conçu.

3. A aucun moment Sarkozy n'a expliqué que la réforme des retraites est voulue par Bruxelles. Comme l'a relevé Bernard Cassen dans l'article qui m'a permis de remonter l'enchaînement des décisions , le poids des décisions européennes dans la vie quotidienne des français est le secret le mieux gardé par la classe politique, qui ne voudrait pas que l'on découvre le roi nu. Cassen cite Michel Barnier, pas un eurosceptique : "Ce grand secret [de la présidentielle, à l'époque], c’est d’abord et avant tout que la plupart des décisions que les candidats vont s’engager à prendre avec la confiance du peuple ne relèvent plus d’eux seuls. (...) Si nous voulons un débat honnête, il faut le dire : dans beaucoup de domaines, il faudra aux futurs élus passer d’abord par Bruxelles et Strasbourg". La réalité est pire, ce n'est pas qu'il faille passer par Bruxelles, c'est que Bruxelles vous passe dessus.

4. Je ne peux m'empêcher de penser, mais j'ai mauvais esprit, que la moitié de ceux qui appellent à manifester contre les retraites savent parfaitement que Sarkozy ou pas les réformes imposées par Bruxelles passeront - je pense au PS et aux fédérations syndicales.

Voilà pourquoi, le débat étant à la fois technique et biaisé, je n'avais jusqu'ici rien écrit sur les retraites. J'en pense que la réforme de Sarkozy est brutale, plate, sans doute parce qu'il l'a faite pour complaire à Bruxelles. J'en pense aussi que sans rompre avec l'Union européenne, on s'expose à ce qu'une victoire dans la rue qui serait acquise cette semaine soit rendue très vite inutile, parce que Bruxelles réimposera aux successeurs l'objectif de cinq années supplémentaires de vie active.

J'aimerais, pour conclure, terminer par une citation extraordinaire de justesse de Pierre Manent, un philosophe politique libéral, plus lu et discuté aux Etats-Unis qu'en France. Il écrit en 2006 à propos des raisons du non français de 2005 : "no one in his or her right mind would be willing to live in a smorgasbord of nations whose "common" policy is bound to be the haphazard result of processes nobody understands and which in truth "represent" nobody. Voters rightly felt that now was the time to stop the process of dispossession".

Je traduis à peu près : "aucune personne saine d'esprit n'accepterait de vivre dans un capharnaum de nations dont la politique soi-disant commune résulte de procédures aléatoires que par ailleurs personne ne comprend et qui ne sont représentatives de rien ni de personne. Les électeurs ont justement ressenti [en 2005] qu'il était temps d'interrompre le processus de dépossession [du gouvernement représentatif]."

Peut-être qu'en réalité c'est en 2010 que vient le temps du refus. Il est grand temps d'en finir avec Bruxelles.


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