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Abolition de la peine de mort : la constitutionnalisation française a-t-elle une vocation universelle en s’appliquant “par ricochet” ? (CE, 8 octobre 2010, Kamel Daoudi)

Publié le 14 octobre 2010 par Combatsdh

Transmission d’une QPC sur la conformité de la clause d’exclusion de la protection subsidiaire à l’abolition de la peine de mort en raison de sa constitutionnalisation postérieure à l’article 66-1 de la Constitution

par Serge SLAMA

abolition-2010.1287006354.jpg Dans l’affaire Daoudi, le Conseil d’État transmet au Conseil constitutionnel, au moment même de la semaine contre la peine de mort, une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité de l’article L. 712-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) à l’article 66-1 de la Constitution. Il juge que même si cette disposition a déjà été contrôlée par le Conseil constitutionnel la constitutionnalisation en 2007 de l’abolition de la peine constitue un changement de circonstances et confère un caractère nouveau à cette QPC, qui peut dès lors être transmise indépendamment de l’évaluation de son caractère « sérieux ».  En revanche, le Conseil d’Etat estime qu’il n’y a « pas matière » à poser une question préjudicielle équivalente à la Cour de justice de l’Union européenne sur la conformité de la directive de 2004 sur l’asile à l’article 2 de la charte de des droits fondamentaux.

Rappelons que Kamel Daoudi, ressortissant franco-algérien dénaturalisé en 2002 à la suite de sa condamnation à une peine de six ans de prison et à une interdiction définitive du territoire français pour avoir participé à un projet d’attentat terroriste, fit l’objet d’une procédure d’expulsion vers l’Algérie. La Cour européenne des droits de l’homme a toutefois demandé à la France, par une mesure provisoire, de surseoir à cette expulsion puis a condamné la France pour violation de l’article 3 « par ricochet » (Cour EDH, 5e Sect. 3 décembre 2009, Daoudi c. France, n° 19576/08 – ADL du 3 décembre 2009). Depuis la mesure provisoire, il a été assigné à résidence. Parallèlement, sa demande de statut de réfugié, et de bénéfice de la protection subsidiaire, fut rejetée successivement par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Même s’il est indéniablement éligible au bénéfice de la protection subsidiaire puisqu’il risque d’être exposé à la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants  (L.712-1 du CESEDA), elle lui a été refusée en application de la clause d’exclusion compte tenu de « son activité sur le territoire constitu[ant] une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l’Etat »  (L712-2 CESEDA). Or, ces dernières dispositions ne font pas exception du risque de peine de mort dans leur application – ce qui justifie la QPC déposée, par Me Spinosi, le 9 juillet 2010 à l’appui de son pourvoi en cassation contre la décision de la CNDA.

Suivant les (premières) conclusions de Sophie-Justine Lieber, le Conseil d’Etat admet qu’il y a lieu de transmettre cette question prioritaire de constitutionnalité. Certes, le Conseil constitutionnel a déjà examiné la constitutionnalité de ces dispositions en les déclarant conformes dans les motifs et le dispositif d’une décision (Cons. constit  n° 2003-485 DC du 4 décembre 2003). Néanmoins, le juge administratif constate que le juge de la rue Montpensier n’a « pu examiner la constitutionnalité de ces dispositions au regard de l’article 66-1 de la Constitution » dans la mesure où, postérieurement, la loi constitutionnelle du 23 février 2007 a inscrit dans la Constitution que « nul ne peut être condamné à la peine de mort » - abolition qu’il qualifie d’ailleurs à cette occasion de « principe ». C’est donc parce que le juge constitutionnel « n’a pas fait application à ce jour » de cette disposition constitutionnelle qu’il y a un changement de circonstances justifiant le réexamen.  En outre, cette constitutionnalisation postérieure confère aussi à la question « un caractère nouveau au sens et pour l’application de l’article de l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 » et ce à supposer même qu’elle « serait par ailleurs dépourvue de sérieux » - ce qui est « sans incidence sur la nécessité du renvoi ». Pour justifier cette position, le rapporteur public a rappelé le commentaire aux Cahiers du Conseil constitutionnel de la décision n° 2009-595 DC du 03 décembre 2009 dans lequel il est mentionné que « toute question de constitutionnalité invoquant une norme constitutionnelle que le Conseil constitutionnel n’a jamais eu à interpréter devait être qualifiée de « nouvelle » » car la nouveauté de la question « ne s’apprécie pas au regard de la disposition législative contestée (…), mais de la disposition constitutionnelle à laquelle elle est confrontée ». En outre, compte tenu du caractère alternatif de la condition de transmission figurant à l’article 23-5, le Conseil d’Etat s’estime contraint de la transmettre (« Le caractère nouveau de la question impose au Conseil d’Etat d’en transmettre l’examen au Conseil constitutionnel ») alors même qu’il l’estime non « sérieuse ».

Rappelons que la loi constitutiinnelle de 2007 a été adoptée afin de ratifier le protocole n°2 additionnel du pacte international sur les droits civils et politiques et le protocole n°13 à la CEDH car le Conseil constitutionnel avait jugé que le premier portait atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté compte tenu de son irrévocabilité (Cons. constit. n° 2005-524/525 DC du 13 octobre 2005, Engagements internationaux relatifs à l’abolition de la peine de mort).

   La question préjudicielle sur la conformité de l’article 17 de la directive 2000/83 du 29 avril 2004, au droit de l’Union, en particulier à l’article 2 de la Charte des droits fondamentaux a été suggérée, en défense, par l’OFPRA. L’article 2 de la CDFUE abolit en effet, lui-aussi, la peine de mort et doit être interprété conformément à la Convention européenne des droits de l’homme (v. not. Cour EDH, 4e Sect., 2 mars 2010, Al-Saadoon et Mufdhi c. Royaume-Uni, Req. n° 61498/08 - ADL du 3 mars 2010). Or, la charte a, elle-aussi, acquis postérieurement à l’adoption de la directive une valeur contraignante avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne (ADL du 1er décembre 2009). Dans ses conclusions, le rapporteur public s’est longuement demandé si la question préjudicielle devait avoir lieu avant ou après le renvoi au Conseil constitutionnel en analysant les décisions qui ont défrayé la chronique (Cass., QPC 16 avr. 2010, MM. Melki et Abdeli, n° 10-40002, ADL du 23 avril 2010 ; Cons. constit. n° 2010-605 DC du 12 mai 2010, « Jeux d’argent et de hasard en ligne » ; CE 14 mai 2010, Rujovic, n° 312305 ADL du 18 mai 2010 ; CJUE, 22 juin 2010, C-188/10  et C-189/10, MM Melki et Abdeli, ADL du 22 juin 2010). Mais le Conseil d’Etat ne tranche pas cette question puisqu’il botte en touche en jugeant qu’il n’y a « pas matière » à poser une telle question préjudicielle. En effet, tout en notant que les dispositions critiquées, adoptées en 2003, ont assuré (préventivement) « l‘exacte transposition » de cette directive et en visant la décision de la CJUE du 22 juin 2010, le Conseil d’Etat écarte le renvoi préjudiciel en estimant qu’il ressort « clairement » des dispositions de cette directive « qu’elles n’ont ni pour objet ni pour effet de conduire les Etats membres à prévoir des cas dans lesquels un demandeur d’asile, auquel la protection subsidiaire serait refusée, devrait être reconduit dans un pays où il pourrait être exposé à la peine de mort ou à des traitements contraires au principe de dignité de la personne humaine ». Autrement dit, il estime que l’interprétation de cette directive ne pose pas de difficulté sérieuse. Le rapporteur public avait relevé que ce ne sont pas les décisions de l’OFPRA et de la CNDA refusant la protection subsidiaire qui exposent l’intéressé à ces risques mais la mesure d’éloignement prise consécutivement.

Faut-il pour autant conclure que la décision du Conseil constitutionnel qui sera rendue sera dénuée d’intérêt ? Ce n’est pas certain. Certes, le Conseil s’est déjà déclaré incompétent pour examiner, dans le cadre d’une QPC, la conformité d’une loi à un engagement international ou aux dispositions inconditionnelles et précises d’une directive via l’article 88-1 de la Constitution (Cons. constit. n° 2010-605 DC du 12 mai 2010, préc. ; Cons. constit. n° 2010-4/17 QPC du 22 juillet 2010 M. Alain Cachard, ADL du 3 août 2010  (2)). Néanmoins, cette décision pourra être l’occasion de préciser si l’abolition de la peine de mort vaut également « par ricochet » en empêchant, si ce n’est de refuser la protection subsidiaire, au moins le renvoi d’une personne vers un pays l’exposant à la peine capitale – démontrant, par les effets extraterritoriaux de la norme fondamentale, la vocation universelle de l’abolition française de la peine de mort. Dans cette hypothèse, et de façon plus pragmatique, le Conseil désactivera alors indirectement et officieusement son refus de contrôler la conventionalité des lois. En effet, et ce faisant, il sera contraint in fine de procéder à une interprétation des dispositions constitutionnelle conforme aux exigences – très fermes à ce sujet – de la jurisprudence de Strasbourg.

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Le Conseil d’Etat transmet au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité, déposée par Kamel Daoudi, portant sur une disposition du code des étrangers ne prévoyant pas, lorsque l’OFPRA oppose la clause d’exclusion à certaines demandeurs d’asile en raison que crimes graves qu’ils ont commis de es protéger contre un renvoi vers un pays les exposant à la peine de mort.

Bien que le Conseil constitutionnel ait déjà examinée la disposition en 2003, elle sera de nouveau examinée car l’abolition de la peine de mort a été constitutionnalisée postérieurement (en 2007)

CE, 8 octobre 2010, 10è et 9è sous-sections réunies, Kamel Daoudi (n° 338505), au recueil Lebon

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Actualités droits-libertés du 13 octobre 2010 par Serge SLAMA

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