Une leçon venue du lointain Minnesota.Il y a longtemps que nous l’avons constaté, en matičre de transport aérien, les Etats-Unis continuent d’indiquer au monde entier la voie ŕ suivre. Forts d’un marché mature, d’un savoir-faire remarquable, d’esprits inventifs, ils multiplient depuis longtemps les initiatives les plus diverses en męme temps qu’ils constituent une inépuisable source d’inspiration. D’oů l’intéręt de ne pas les quitter des yeux : la maničre de faire américaine finit toujours par s’imposer ailleurs et, notamment, en Europe.
Dans cet esprit, les inquiétudes nées du projet de rachat d’AirTran par Southwest Airlines méritent la plus grande attention. Cette opération, qui devrait donner naissance ŕ une low-cost exceptionnellement puissante (100 millions de passagers par an), préfigure peut-ętre le stade ultime de la Ťconsolidationť. A savoir une situation dans laquelle le nombre d’intervenants serait réduit au strict minimum, aux dépens des consommateurs. La concurrence étant sérieusement érodée, les tarifs risqueraient en effet de subir un mouvement de hausse d’autant plus marqué que la loi du plus fort s’imposerait.
Déjŕ, les analystes américains estiment que le nombre de Ťmajorsť pourrait tôt ou tard tomber ŕ trois. Cette crainte est exacerbée par les fusions United-US Airways et Delta-Continental et pourrait bientôt inspirer d’autres intervenants ŕ la recherche d’économies d’échelle. Et voici que la męme évolution prend corps dans le domaine des low cost, le tandem Southwest/AirTran risquant, par ailleurs, d’entraîner une refonte profonde du modčle économique des compagnies ŕ bas tarifs.
Leurs coűt augmentent d’autant plus vite qu’elles abordent ŕ petites doses des marchés qui ne permettent pas de préserver leurs fondamentaux. Ainsi, Southwest nouvelle maničre devrait desservir quelques-uns des aéroports les plus encombrés des Etats-Unis : elle abordera lŕ un contexte opérationnel diamétralement opposé ŕ celui qui lui a permis de connaître le succčs. Un constat qui peut se résumer ŕ un exemple typique : New York-La Guardia n’a rien ŕ voir avec Dallas-Love Field. Dans le męme temps, la source de nouveaux entrants semble tarie : les Etats-Unis comptent ŕ peine sept Ťvraiesť compagnies low cost, moins que l’Europe. Qui plus est, Southwest occupe une position largement dominante qui va encore se renforcer si l’absorption d’AirTran est approuvée par le département de la Justice. Le renversement de tendance est impressionnant.
Aprčs avoir pris le temps de la réflexion, quelques politiques expriment leurs craintes, ŕ commencer par un élu trčs influent du Minnesota, James L. Oberstar. Vieux routier du House Transportation & Infrastructure Committee, il sonne l’alerte. Il craint, explique-t-il, que la moindre concurrence ne soit ŕ l’origine de tarifs en nette augmentation tandis que la qualité de service se dégraderait. Oberstar, on le notera au passage, témoigne ŕ l’occasion de cette intervention, d’une trčs grande compétence, ce qui conduit ŕ remarquer qu’il n’a gučre d’homologue dans un pays comme le nôtre. C’est un fin connaisseur du transport aérien, il connaît ses dossiers et, de ce fait, il est trčs écouté.
Sachant que les travers dénoncés par Oberstar sont susceptibles de s’étendre ŕ l’Europe, il s’avčre indispensable de suivre attentivement le débat qui s’ouvre ŕ Washington. Déjŕ, l’Europe ne compte que deux grandes compagnies low cost, Ryanair et EasyJet, le distant numéro 3, Air Berlin, étant en train de prendre ses distances avec un modčle économique qu’elle n’a jamais appliqué jusqu’au bout. Parallčlement, l’IATA tente d’accréditer un scénario selon lequel l’industrie des transports aériens devrait se regrouper autour d’une douzaine de méga compagnies. Le bien-fondé de cette logique est loin d’ętre démontré tandis que les risques de dérive sont considérables : ŕ force de donner la priorité absolue aux financiers, on finit par oublier les clients. C’est ce que dit, ŕ sa maničre, Jim Oberstar.
Pire, l’échec est consommé sans qu’on veuille bien l’admettre. En effet, les financiers sont incapables de faire bon usage de la situation exceptionnellement favorable au cœur de laquelle ils travaillent : le transport aérien affiche des résultats traditionnellement déplorables.
En poussant plus loin le raisonnement, on en vient ŕ un autre constat d’échec : notre classe politique est médiocre. Pire, dčs qu’il est question d’aviation commerciale, nos politiques sont inexistants. Bien involontairement, le bon Oberstar nous le rappelle depuis son lointain Minnesota.
Pierre Sparaco - AeroMorning
