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Robert Badinter, le seul honneur des socialistes dans l’interdiction de la burqa ?

Publié le 14 octobre 2010 par Sylvainrakotoarison

Les nombreux autres sujets d’actualité politique, économique et sociale de cette rentrée ont éclipsé la fin de la discussion sur l’interdiction de la burqa. Le projet de loi a en effet été définitivement adopté le 14 septembre 2010 et le Conseil Constitutionnel vient d'en valider la constitutionnalité. L'interdiction sera applicable à partir du 11 avril 2011 sur tout le territoire de la République française.

yartiBurqaSenat01Le politologue Thomas Legrand l’a rappelé sur France Inter dans sa chronique du 5 octobre 2010 : l’intervention d’un sénateur est passée complètement inaperçue le 14 septembre 2010. Ce sénateur est pourtant très connu puisqu’il s’agit de Robert Badinter, ancien Ministre de la Justice (et auteur de la loi sur l’abolition de la peine de mort) et ancien Président du Conseil Constitutionnel.
Déplacement de voix
Robert Badinter a réussi à convaincre une partie de ses collègues sénateurs socialistes à voter en faveur du projet de loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, autrement dit, interdisant le port de la burqa. En d’autres termes, son discours a changé l’intention de vote initial de certains socialistes.
  Rappelons la phrase exacte du projet de loi : « Nul ne peut, dans l'espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage. ».
À l’Assemblée Nationale, lors du scrutin en première lecture, le 13 juillet 2010, les députés socialistes avaient refusé massivement et "courageusement" de prendre part au vote, laissant le Parti socialiste dans une ambiguïté quasiment intenable. En effet, seulement 18 sur les 204 députés socialistes (ou assimilés) ont voté pour et aucun contre, les autres ayant été sans doute retenus par de plus "hautes" occupations. Ils critiquaient ainsi l’initiative de Jean-François Copé d’avoir amené un tel débat, sans toutefois vouloir s’engager sur le fond.

Au Sénat, les arguments de Robert Badinter ont réussi à convaincre lors du vote du 14 septembre 2010 une petite moitié de ses collègues, 46 sénateurs socialistes pour un groupe qui en compte 116 (un groupe qui pourrait devenir majoritaire en septembre 2011), les 70 autres n’ayant "courageusement" pas pris part au vote.

Il faut dire que, par sa stature et ses combats passés, Robert Badinter est inattaquable concernant la défense des libertés publiques et le soutien qu’il a apporté à cette loi a dû rassurer plus d’un parlementaire de gauche.


Pas de problème du côté de la Cour européenne des droits de l’homme

Dans sa courte intervention, Robert Badinter a d’abord basé sa position sur deux éléments juridiques. Il a rappelé que l’arrêt du 13 février 2003 de la Cour européenne des droits de l’homme a estimé compatible avec la Convention européenne des droits de l’homme toutes les mesures d’interdiction qu’avait prises le gouvernement turc. Il a aussi insisté sur le fait que l’arrêt du 23 février 2010 de cette même Cour européenne qui portait sur des tenues montrant l’adhésion à une fraction religieuse extrême ne prenait en compte que l’enjeu religieux.

Or, selon Robert Badinter (et le gouvernement actuel), le projet de loi ne concerne absolument pas la laïcité, son atteinte (ou pas) par la burqa, mais l’égalité entre les hommes et les femmes et la condition féminine.

C’est d’ailleurs en ce sens que son épouse, Élisabeth Badinter, avait lancé dans le "Nouvel Observateur" du 9 juillet 2009 une « adresse à celles qui portent volontairement la burqa »


Conflit de civilisations ?

Refusant de prendre en compte des considérations de politique intérieure (« N’étant pas naïf, je sais très bien quelles étaient les motivations à l’origine de ce besoin soudain de légiférer dans ce domaine. »), Robert Badinter n’a pas hésité à dramatiser la situation actuelle entre des États démocratiques et des États commandés par la charia : « Nous sommes bien là en présence d’un conflit majeur, en particulier pour les laïcs que nous sommes. ».
Pour lui, les mouvements islamistes cherchent, avec le port de la burqa, à défier les démocraties : « Ce principe [d’égalité entre hommes et femmes] est défié. Et ceux qui le défient le font, croyez-moi, en connaissance de cause, pour tester nos facultés de résistance. On ne peut pas transiger avec ce principe, s’accommoder d’un signe, d’un signal, d’une tenue. Car le voile est porté où, et par qui ? ».
Sa conclusion est clairement formulée : « En interdisant le port du voile intégral dans l’espace public, vous n’empêchez personne de pratiquer sa religion. (…) Mais vous ne tolérez pas que les éléments les plus intégristes et les plus fanatiques affichent et proclament leur vision, que nous ne pouvons pas accepter, d’une société où les femmes disparaissent de l’espace public et ne sont plus que des fantômes. ».
Risque d’inconstitutionnalité
Et en bon spécialiste juridique, il a conseillé fortement que ce soient les présidents des deux assemblées qui défèrent au Conseil Constitutionnel le texte adopté. En effet, le gouvernement n’ayant pas suivi l’avis du Conseil d’État, la possibilité désormais concrète (depuis mai 2010) de poser une question prioritaire de constitutionnalité risquerait de plonger l’application de cette loi dans « une sorte d’indécision juridique ».
Dès l’adoption (définitive) de cette loi, le 14 septembre 2010, Bernard Accoyer, Président de l’Assemblée Nationale, et Gérard Larcher, Président du Sénat, ont effectivement saisi le Conseil Constitutionnel en application de l’article 61 alinéa 2 de la Constitution.
C’est la première fois depuis le début de la Ve République qu’une loi est déférée concomitamment par les présidents des deux assemblées. Jusqu’à maintenant, les présidents des deux assemblées avait saisi le Conseil Constitutionnel seuls un très faible nombre de fois (six fois pour le Président du Sénat, notamment Alain Poher qui fit élargir en 1971 le rôle de contrôle de constitutionnalité, trois fois pour le Président de l’Assemblée Nationale).
Par sa décision n°201613 DC du 7 octobre 2010, le Conseil Constitutionnel a validé l’ensemble de la loi sous réserve qu’aucune interdiction ne soit applicable dans les lieux de cultes ouverts au public, afin de ne pas entraver la liberté du culte.
Cette saisie évacue tout risque ultérieur de question prioritaire de constitutionnalité puisque sa constitutionnalité aura été déjà confirmée. Cette loi vient d'être promulguée le 11 octobre 2010 par le Président de la République très prochainement et a été publié au Journal officiel du 12 octobre 2010 (Loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010).


Badinter, seul socialiste engagé ?
Nul doute que la force de conviction de Robert Badinter a permis de "réveiller" 40% du groupe socialiste au Sénat. Où sont donc partis les éléphants du PS dans ce débat pourtant sensible pour une société à l’identité fragile ?
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (14 octobre 2010)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :

La déclaration de Robert Badinter du 14 septembre 2010 au Sénat.
Quels sont les députés qui ont voté pour/contre l’interdiction de la burqa ?
Quels sont les sénateurs qui ont voté pour/contre l’interdiction de la burqa ?
Adresse d’Élisabeth Badinter aux femmes portant la burqa.
Décision du Conseil Constitutionnel sur la validité de la loi contre la burqa.
Loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public.
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