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Wikimédia : revue de presse (III)

Publié le 14 octobre 2010 par Pierrotlechroniqueur

L’événement de la semaine, c’est évidemment le décernement, à notre Gourou bienveillant, respecté et bien-aimé, du prix de l’Institut Gottlieb Duttweiler (du nom d’un ancien homme politique et entrepreneur suisse) mettant en valeur « des personnalités qui se sont distinguées par une contribution exceptionnelle à l'intérêt général ». Jimbo, lui, est plus spécifiquement récompensé pour sa « contribution à la démocratisation de l’accès au savoir » en ayant cofondé Wikipédia, nous explique Le Matin.ch, qui précise également que Jimmy Wales est ainsi en belle compagnie, des personnalités comme Vaclav Havel, Joschka Fisher ou Koffi Annan ayant également été récipiendaires ces dernières années. Une récompense pas seulement honorifique, mais aussi matérielle, comme le remarque ActuaLitte.com, puisque Jimbo recevra la coquette somme de 100 000 francs suisses, soit 104 000 dollars.

ActuaLitte.com qui a, ce matin, levé un beau lièvre avec les livres étiquetés "Livre Groupe" et édités par Books LLC. Collection très prolifique puisque l'auteur de l'article a relevé pas moins de 60 131 exemplaires mis en vente ces trois derniers mois sur Amazon, sur des thèmes très variés. Mais forcément, il n'est pas difficile de publier autant si on se contente de cliquer sur "copier" puis "coller". Ainsi, des passages de l'Histoire militaire de la Finlande de "Livre Groupe" sont une pure et simple reproduction de l'article Wikipédia dédié. Le plus drôle est que ce bijou de création est vendu 10,46 euros - pourquoi se gêner ?... Et on observera qu'il s'agit encore d'une histoire de plagiat (appelons cela comme ça même si le terme est juridiquement inopérant, comme l'explique très bien David Monniaux), et que cela commence à faire beaucoup en peu de temps. Pourtant, je le rappelle, les Wikipédiens sont des auteurs et doivent donc être considéres comme tels.


Le sociologue Dominique Cardon (oui, le lien n’aboutit à rien. N’hésitez pas !) a publié le 16 septembre dernier chez Seuil - collection « La République des idées » - une étude intitulée La démocratie Internet, dans laquelle il aborde entre autres le cas de Wikipédia. Dans cette interview au Monde.fr, il explique que la création d’Internet se situe dans le droit fil des contre-cultures développées dans les années 70. Plus précisément de celle qui souhaitait non pas révolutionner la politique, mais le système avant tout pour pouvoir ensuite mener une meilleure politique (de leur point de vue). Un projet de société complètement nouveau, bien plus qu’une contestation de l’existante, qui s’est concrétisé notamment par l’apparition du phénomène hippie, et qui a trouvé un prolongement dans l’arrivée (début des années 80 aux États-Unis) de l’informatique et des premiers réseaux. Pour Cardon, Internet a permis l’expérimentation de la constitution de nouvelles communautés, de nouvelles formes de sociétés, et même au-delà, d’une nouvelle expression démocratique, ou en tout cas libre - le lien entre Internet et libéralisme politique, voire même libertarisme, étant indéniable. Une analyse intéressante à transposer, il me semble, au Wikipédia de ces années 2000. Je l’ai déjà dit et je le répète, Wikipédia n’est pas un réseau social et encore moins un système politique, mais un projet collectif de rédaction d’une encyclopédie. Mais qui dit « projet collectif » dit malgré tout « communauté ». Donc organisation sociale au moins minimale, comme Wikipédia l’illustre. En ce sens, on peut se demander si Wikipédia, dans son organisation, a cherché à singer la vraie vie ou a bel et bien fait œuvre d’expérimentation (à visée interne cependant. Nulle volonté de changer le monde). Franchement, une étude anthropologique sérieuse du fonctionnement wikipédien ne manquerait pas de sel ! En réalité, l’aspect principal de Wikipédia ici est sa nature libre, elle est incontestablement une traduction de la volonté de se délivrer des contingences législatives, étatiques et administratives de la vraie vie pour penser autrement, et librement, l’accès à la culture. C’est tout de même cette nature-là de la « démocratie Internet » qu’illustre Wikipédia, bien plus qu’une expérimentation d’une nouvelle forme de société, aspiration des pionniers du Net de moins en moins visible (tant l’esprit Facebook, par exemple, me semble une démocratisation par le bas d’Internet, avec reproduction des travers et futilités de la société réelle. Et pourtant, je suis sur Facebook !).
Autre aspect étudié par Cardon, et signalé par HomoNumericus, la critique d’Internet par les vecteurs d’opinion traditionnels (éditeurs, journaliste et intellectuels) en passe d’être supplantés par cette nouvelle forme de circulation de l’information et d’expression de l’opinion qu’ils ne maîtrisent pas forcément et préfèrent donc « diaboliser » - selon le terme employé. L’article cite ainsi Wikipédia comme cible idéale de ces critiques. Critiques récurrentes, sur la fiabilité, le fonctionnement, le sérieux… En réalité, à en croire Cardon, il s’agit d’un réflexe défensif de la part de ces intermédiaires culturels débordés, une nouvelle expression du « je méprise ce que je ne comprends pas ». Wikipédia ne serait ainsi pas critiquée pour ses supposées défaillances, mais plutôt pour ce qu’elle incarne et qui défrise certaines personnes et institutions. Surtout, et plus prosaïquement, Wikipédia contribuerait à mettre à mal le vieux système de circulation de l’information, et c’est donc la peur de perdre leur influence (et donc leur gagne-pain) qui guiderait ses contempteurs. C’est d’ailleurs la même critique que l’on retrouve contre les sites gratuits d’information ou la mise en place d’une bibliothèque numérique par Google.
Mais on va finir sur une note optimiste, avec ce petit portrait, par le site des Inrocks, du nouveau Nobel de littérature Mario Vargas Llosa. Un portrait intégralement pompé sur Wikipédia car, selon le rédacteur, « c’est Wikipédia qui en parle le mieux » et il n’y a donc rien à ajouter. Comme quoi, Wikipédia est parfois reconnue comme de qualité, y compris par d’illustres intermédiaires culturels traditionnels.


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