Magazine Journal intime

Les apparences sont trompeuses

Par Isabelledelyon

Hier j'étais au CLB pour accompagner ma fille aînée J. voir la psy. Elle avait rendez-vous en tête à tête, sans ma présence. J'en ai profité pour avancer mon tome 3 d'Eragon que j'ai terminé aujourd'hui avec regret. Mais forcément, je suivais ce qui se passait autour de moi. Je suis quand même restée un peu plus d'une heure sur ma chaise. De nombreuses personnes ont attendu très longtemps et ce qui est caractéristique de ce lieu comme de l'hôpital où je suis suivie, c'est que personne ne s'impatiente, tout le monde prend son mal en patience, le temps ne semble pas avoir la même signification dans cet endroit, comme si on était hors du temps, hors de la vraie vie.
On a installé un monsieur en face de moi sur une chaise. Il était en pyjama, très maigre, relié à une poche de produit, tenant son arbre à perfusion d'une main sans le lâcher. Il n'avait plus beaucoup de cheveux sur le crâne, il avait l'air fatigué, le teint jaune, les joues creuses. Il se fondait dans le décor, ne faisait aucun bruit, ne s'agitait pas, il patientait comme s'il était en pause.
Je l'ai regardé discrètement. Il était ailleurs de toute façon, bien loin de cette salle d'attente.
J'ai d'abord vu le cancéreux, le malade portant tous les signes extérieurs de sa lutte contre le cancer, contre la mort. Et puis je me suis demandée ce qu'il faisait là, il devait attendre lui aussi un psy. Il devait avoir besoin de parler, d'être écouté, d'être rassuré. Il devait avoir une famille, des angoisses. J'ai vu l'homme, le père, le mari, celui qui se bat pour vivre malgré les traitements.
Le problème est que tout le monde n'a pas la même empathie que moi et qu'en plus, une minorité est passée par ces épreuves. La plupart des gens vont s'arrêter à l'image que renvoie l'apparence de cet homme, le cancer. Ils ne vont pas aimer le regarder, il leur rappellera trop ce que tout le monde tente d'oublier, notre condition de mortel. Ils ne seront vraiment pas nombreux à regarder au-delà de son apparence physique, à voir un homme qui souffre, qui a besoin d'affection pour tenir bon.
Je me suis rappelée comment on me regardait lorsque je portais des foulards sur la tête, on voyait la faucheuse, je faisais peur, on ne voyait pas la femme que j'étais, on faisait abstraction de ce que je pouvais ressentir. Je faisais peur, j'effrayais.
Je pense aussi que c'est notre apparence physique redevenue normale qui suscite les réflexions en décalage avec notre ressenti du style "Tu es guérie, quand est-ce que tu reprends le travail?". Dès que j'avais retrouvé mes cheveux et abandonné les foulards, je l'ai entendu trois fois dans la même journée alors que j'étais toujours dans mon combat, mais mes traitements étaient moins visibles, moins remarquables puisqu'il s'agissait des rayons.
Je pense qu'il n'y a pas de solutions pour faire changer le regard des gens. Les handicapés ont ce problème au quotidien. Leur différence dont personne ne veut effraie. Les gens regardent comme pour se rassurer et se dire qu'ils sont chanceux. Ils oublient qu'ils ne regardent pas un handicap mais un homme vivant avec son handicap, devant adapter sa vie en fonction de cet handicap.
Depuis une semaine, deux personnes dont je suis très proche ont eu besoin de me dire la chance qu'elles avaient d'être en très bonne santé, de n'avoir jamais besoin d'aller chez un médecin, de ne même pas savoir comment fonctionnait les remboursements. Je me demande encore si elles avaient besoin de se rassurer en se disant qu'elles avaient vraiment de la chance de ne pas vivre mon parcours du combattant ou si tout simplement elles avaient besoin d'étaler ce qui faisait leur fierté, leur santé, en ne pensant pas deux secondes que je pouvais me sentir ramener à ma condition de malchanceuse, de cancéreuse par ce décalage.
Moi aussi avant ce cancer, je n'avais jamais été hospitalisée, je n'avais jamais subi une seule opération de ma vie, je n'avais jamais rien eu de cassé, je n'avais jamais passé de radio, de scanner, d'irm. Je trouvais aussi que j'avais de la chance d'être en bonne santé mais je ne l'ai jamais étalée comme un trésor. Le problème avec la santé, c'est que la chance peut tourner du jour au lendemain sans crier gare, je sais hélas de quoi je parle même si fort heureusement, tout le monde ne se retrouve pas avec un cancer.
Grand Corps Malade en parle très bien dans cette chanson "Midi 20"


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