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Juricomptabilité, juricomptable et jurisprudence: Beaudoin c. Banque fédérale de développement – Partie 1

Publié le 16 octobre 2010 par Helenebouchard

Juricomptabilité, juricomptable et jurisprudence:  Beaudoin c. Banque fédérale de développement  – Partie 1Ce cas est intéressant pour la crédibilité des experts, dans ce cas-ci, les juricomptables.

Voici un bref résumé de la situation et par la suite, les textes du jugement qui touchent la crédibilité des experts.

M. Beaudoin a été engagé par la BFD comme président vers 1990. En septembre 1999, la BFD décide de congédier M. Beaudoin et une entente à l’amiable est signée entre les deux parties. M. Beaudoin quitte son poste le 1er octobre 1999. À la mi-octobre, un mandat est donné par la BFD à une firme de juricomptable ,KPMG, pour enquêter sur des prétendues malversations commises par M. Beaudoin. Les juricomptables de KPMG  font enquête, questionnent  des employés et arrivent à la conclusion que M. Beaudoin  aurait occasionné des dommages pour 123 000$ à la BFD  et qu’elle retient ce montant de la somme qu’elle avait à verser à M. Beaudoin. Par la suite, une plainte est logée à la Gendarmerie Royale pour fabrication et usage de faux  ( de la part de M. Beaudoin) et la BFD demande qu’une enquête soit faite pour appropriation illégale des biens de la BFD par M. Beaudoin. Après des saisies et une enquête, le procureur arrive à la conclusion qu’il n’y a pas matière à intenter des poursuites pénales contre  M. Beaudoin.

M. Beaudoin demande que l’entente soit homologuée mais la BFD soutient que l’entente est nulle car M.Beaudoin aurait été déloyal envers la BDC . Les arguments de la BDC se fondent sur le rapport émis par les juricomptables de KPGM.  M. Beaudoin a payé des avocats pour se défendre et engager lui aussi, une firme de juricomptables, pour critiquer le travail de KPMG. La firme: Richter. La BFD n’a pu démontrer le caractère frauduleux de M. Beaudoin. Une grande partie de cette affaire a pour origine deux témoins: les chauffeurs de M. Beaudoin: M. Bourque et M.

Voic les extraits pertinents du jugement ( j’ai mis en couleur les points intéressants):

[218]   L’expertise menée par la société KPMG ne rencontre aucun des critères de fiabilité, de rigueur scientifique, d’indépendance intellectuelle et d’éthique qui permettent à la Cour de l’utiliser à la solution du présent litige.

[219]   L’expertise KPMG est formée de deux rapports. Le premier du 7 décembre 2000[42] supporté de quatre volumes de documents et dépositions totalisant 1 138 pages. Le second, dit complémentaire, du 15 janvier 2002 (pièce I-8b) lui-même accompagné de trois volumes de documents et pièces justificatives portant les numéros de pages 1 139 à 2 175.

[224]   Dans un premier temps, la Cour entend M. Denis Gosselin, comptable agréé et membre de l’association des experts en juricomptabilité. Il a assisté M. Stephan Drolet, responsable du dossier chez KPMG dans « l’enquête de fraude » visant M. Beaudoin.

[225]   Témoignant sans notes, visiblement sans préparation puisqu’il ne croyait pas être assigné comme témoin, ses réponses sont approximatives et réfèrent continuellement au fait que M. Drolet saura mieux répondre que lui. Son témoignage n’apporte aucune aide au tribunal.

[226]   N’est pas sans intérêt cependant une certaine idée que le témoin se fait de sa tâche de juricomptable.

[227]   Toute l’enquête de KPMG repose sur les allégations de M. Bourque quant à des illégalités commises par M. Beaudoin. M. Gosselin explique que la tâche des enquêteurs (essentiellement lui, M. Drolet et M. Kevin McGarr) était de « valider » les révélations de M. Bourque auprès de tous les témoins rencontrés.

[230]   M. Gosselin révèle qu’il a un badge d’inspecteur, dont il ignore la provenance, mais qui lui permet d’enquêter à sa guise. Il a participé aux fouilles à la BDC hors les heures ouvrables de la Banque et se croit légitimé de fouiller à sa guise en autant qu’il a l’autorisation du client.

[234]   La Cour refuse de reconnaître au témoin le statut de témoin expert.

[235]   Entendu par la suite, M. Stephan Drolet est l’associé responsable de l’enquête Beaudoin chez KPMG. Il en supervise tous les travaux et signe l’expertise.

[236]   M. Drolet insiste pour préciser que lors d’une enquête en juricomptabilité, il faut toujours donner le bénéfice du doute à la personne sur laquelle on enquête. Cette personne doit toujours être rencontrée par les enquêteurs et un bon enquêteur doit faire preuve de scepticisme critique lors de la collecte d’informations.

[237]   Le juricomptable doit se demander constamment si le dénonciateur a intérêt à le faire. En tout temps, il doit être absolument indépendant durant l’enquête.

[238]   M. Drolet souligne que le permis d’enquêteur auquel a fait référence M. Gosselin n’a aucune utilité en l’instance puisque la BDC n’est pas une compagnie privée.

[239]   Le témoin explique que toute l’enquête part d’allégations du chauffeur Bourque que l’expertise a pour but de « valider ».

[241]   Dès le début de l’enquête, cinq des six reproches sont écartés parce que non fondés. Par exemple, deux enquêteurs vérifieront l’allégation de M. Bourque voulant que M. Beaudoin se soit approprié illégalement de la nourriture à la cafétéria. L’enquête montre qu’à quelques occasions, le président avait apporté des pâtés au poulet à la maison pour lesquels il aurait exigé des factures acquittées sur le champ.

[242]   Le rapport ne fait aucune mention de ces faits.

[243]   Le témoin ordonne la fouille des bureaux de la suite exécutive hors les heures de travail et une fouille informatique des ordinateurs un samedi. À ces occasions, on s’assure que la caméra qui filme en tout temps les allées et venues de la suite exécutive soit débranchée.[45]

[244]   M. Drolet souligne que lors des trois fouilles effectuées à la BDC hors les heures d’ouverture, les enquêteurs prennent tout : « on ne sait jamais ce qui pourrait servir ». Tout est photographié, photocopié, transféré sur disquette et remis à sa place pour que personne ne se doute de rien.

[245]   M. Morris qui représente la BDC dans chacune de ces excursions, explique notamment que le coffre-fort du bureau de Mme Tremblay a été ouvert et qu’on y a découvert des rapports d’impôts de M. Beaudoin. Les gens de KPMG les photocopient.[46] Comme le souligne M. Morris, l’employeur a tous les droits.[47]

[250]   … KPMG précise à 159 393 $ les sommes dues par M. Beaudoin à la BDC plus 26 000 $ établis par la Banque plus les frais d’expertise.

[259]   M. Drolet a lui-même suggéré de vérifier les comptes de dépenses de M. Beaudoin puisque son expérience lui montre que c’est là où les abus sont les plus présents dans ce genre d’enquête.

[260]   L’enquête de KPMG à ce sujet ne montre aucune irrégularité de la part de M. Beaudoin, mais M. Drolet soutient que ce fait n’apporte rien à la crédibilité de M. Beaudoin. Son rapport n’y fait aucune référence.

[261]   Le témoin insiste pour dire que s’il n’a noté aucun élément à décharge en faveur de M. Beaudoin dans son rapport, c’est qu’il ne voulait pas susciter de doute chez le lecteur.

[267]   M. Drolet conclut en affirmant que son approche juricomptable dans cette affaire est sans faille.

269]   Dans un premier temps, KPMG, section juricomptabilité, accepte un mandat d’enquête dont l’analyse des faits peut questionner, voire mettre en doute certains éléments de la vérification interne annuelle faite par KPMG, section vérification.

[270]   Ce n’est pas l’idéal et le danger de conflit d’intérêts aurait dû inciter KPMG à refuser ce mandat. M. Gosselin soulignait d’ailleurs que depuis le scandale Enron, cette dualité de mandat n’est plus acceptable.

[271]   Dans un deuxième temps, M. Drolet, l’âme de cette expertise, n’a pas su apporter à son travail la distance et l’indépendance nécessaires à l’expert qui présente à la Cour une étude impartiale qui l’aide à rendre jugement.

[273]   Tout au long de son témoignage, il s’est avéré clair que M. Drolet avait épousé la thèse de ses clients : démontrer la fraude de M. Beaudoin. Toute objectivité a été écartée. Tout élément à décharge gommé, tout élément possiblement incriminant, amplifié.

[274]   M. Drolet a négligé d’appliquer à l’enquête deux principes de juricomptabilité qu’il décrit pourtant lui-même comme cardinaux : le bénéfice du doute et le scepticisme critique.

[275]   La juricomptabilité, telle qu’appliquée à cette affaire, ne sert pas la justice.

[276]   L’hypothèse de travail même de l’expert fausse l’expertise : on ne cherche pas la vérité, on cherche à « valider » les dénonciations de M. Bourque.

[277]   Tout cela mène l’expert à des hérésies intellectuelles fondamentales : M. Bourque affirme que M. Beaudoin volait de la nourriture à la cafétéria. L’enquête montre que l’accusation est grossière. Malgré tout, jamais la crédibilité de l’accusateur n’est-elle remise en question.

La référence : http://www.canlii.org/fr/qc/qccs/doc/2004/2004canlii581/2004canlii581.html#_Toc63650729

Voir partie 2 pour la suite.


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