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Reforme des retraites, chômage des jeunes et Nobel d’Economie

Publié le 17 octobre 2010 par Davidmourey25

Un petit commentaire sur une contrevérité qui alimente les discussions sur les effets de l’allongement de la durée de cotisation et le report de l’âge de départ à la retraite.

De nombreuses voix s’élèvent pour affirmer que faire travailler les »vieux » plus longtemps va nuire à l’emploi des « jeunes ».

Les dangers du « bon sens » en économie

 

Ce type d’affirmation n’a aucun fondement et il est assez facile d’en démontrer le ridicule.

1 - Au début des années 80, le gouvernement en place réagit à la hausse rapide du chômage par la mise en place des départs à la retraite anticipés, les préretraites.

L’idée est qu’en incitant les « vieux » à partir plus tôt, les « jeunes » trouveront un emploi plus facilement et le chômage baissera.

Résultat : la croissance du chômage n’a pas cessé et le chômage est devenu massif.

2 – A la fin des années 90, le gouvernement Jospin-Aubry met en place les 35 heures en faisant le même type de raisonnement !

Résultat : la contribution de la RTT (réduction du temps de travail) à la hausse de l’emploi et à la baisse du chômage est plus que controversée et on admet que même pas ¼ des emplois crées l’ont été par les 35 heures. Le problème est qu’à long terme, il est également admis que le cout de cette mesure pèse sur l’emploi et le chômage.

3 – Aujourd’hui, sur la base d’un raisonnement analogue, certains commentateurs affirment à nouveau que l’emploi des uns menace l’emploi des autres. Si les « vieux » travaillent plus longtemps, alors les « jeunes » seront plus nombreux au chômage.

Donc, si on refuse d’allonger la durée du travail des « vieux », alors, le chômage des « jeunes » n’augmentera pas, voire il baissera.

Trois raisonnements  identiques mais Faux !

L’emploi total n’est pas un gâteau, dont la taille globale est donnée, qui se partage

Dans les trois cas, l’hypothèse implicite est qu’il existe un nombre d’emploi, donné, qu’il convient de partager entre un nombre d’actif donné.

Pour une durée du travail par individu, donnée, si le nombre d’actifs (personne qui occupe un emploi ou qui est sans emploi et en cherche un) augmente plus vite que le nombre d’emplois, alors, il convient de donner l’emploi aux uns (aux jeunes comme au début des 80ies) en incitant les autres (vieux) à entrer plus vite en inactivité (partir plutôt à la retraite). Dans ces conditions, le chômage ne devrait pas augmenter.

Une autre possibilité est celle sur laquelle repose la RTT. Pour réduire le chômage, compte tenu d’un nombre d’heures de travail donné, il suffit de réduire la durée de travail par individu pour que ceux qui occupent un emploi soient plus nombreux. Dans ces conditions, le chômage ne devrait pas augmenter et rester durablement plus bas.

 A court terme, cela peut fonctionner un peu ...  A long terme, c’est sans effet favorable, voire les effets sont pervers.

Pourquoi ne peut-on pas partager l’emploi ?

 

Pierre Cahuc et André Zylberberg ont très clairement expliqué ce point dans leur ouvrage « Le Chômage, nécessité ou fatalité » publié en 2004.

CAhuc Zylberberg Le chômage, fatalité ou nécessité
Dans le chapitre 2, « Le travail ne se partage pas », les auteurs s’appuient sur de très nombreuses observations (des données empiriques nombreuses) pour montrer que ces raisonnements sont des leurres, des arguments fallacieux (destinés à tromper la compréhension).

L’immigration n’est pas un facteur de chômage

Ils montrent, par exemple, que l’immigration n’est pas un facteur de chômage. Pourtant, via l’immigration, l’emploi des uns serait menacé par celui des autres…. Si l’on suit les mêmes raisonnements. Ainsi, preuves empiriques à l’appui, dans une société suffisamment réactive, augmenter le nombre de bras ne conduit pas à la hausse du chômage et diminuer le nombre de bras ne conduit pas à la baisse du chômage.

Par exemple, en 1962, le retour en France de centaines de milliers de  rapatriés d’Algérie en âge de travailler  ne s’est pas traduit par une hausse significative du chômage, bien au contraire. En 1962, 900 000 rapatriés d’Algérie en âge de travailler se sont installés pour l’essentiel dans le sud de la France. 

L’analyse de l’impact sur le marché du travail des migrations  contredit l’idée selon laquelle l’économie d’un pays, et a fortiori l’économie mondiale, dispose d’un nombre fixe d’emplois (et d’heures de travail) et que ces emplois doivent être partagés ente ceux qui cherchent à travailler afin de réduire le chômage. Au contraire, c’est la hausse de la population en âge de travailler qui va provoquer la hausse de la population active et celle de l’emploi. L’emploi est bien le fruit d’une recomposition permanente et massive de l’appareil productif induite par le processus de destruction créatrice (PDC).

Aux Etats-Unis, en 1990, David Card a analysé le cas de l’exode Mariel entre avril et mai 1980. Lorsque Fidel Castro à permis l’ouverture du port Mariel, environ 125 000 cubains ont quitté le pays pour rejoindre notamment Miami dont la population active a augmenté de 7%. Et entre avril et juillet 1980, le taux de chômage de Miami passe de 5% à 7,1%. David Card a comparé le contexte réel de Miami à une situation témoin, celle de villee aux caractéristiques économiques et démographiques proches (Atlanta, Los Angeles, Houston..), reproduisant le contexte réel sans l’élément perturbateur, l’exode Mariel.  David Card a donc pu comparer les évolutions moyennes du chômage et des salaires dans ces différentes villes et il en a conclu que la vague d’immigration fut sans effet significatif sur les salaires et l’emploi à Miami relativement aux situations témoins.

Certes, Pierre Cahuc, insiste dans une note de bas de page sur la marge d’incertitude qui affecte ce type d’analyse mais l’enseignement n’en est pas moins réel. L’afflux de migrants n’est pas un facteur puissant de chômage.

La réduction du temps de travail, l’emploi et le chômage

A la fin des années 1970, la réduction du temps de travail a pour objectif le partage de l’emploi existant entre un nombre plus élevé de bras afin de faire baisser le chômage. En France les Lois Robien en 1996 et Aubry en 1998 et 2000 répondent à cet objectif.

Dans un monde ou le niveau de production serait une donnée intangible, il faudrait un nombre fixe d’heures de travail pour permettre cette production. Dans un tel monde, le partage du travail et d’autant plus efficace que les travailleurs le sont moins, peu productifs, ils doivent être plus nombreux. Donc, moins ils sont productifs, plus cela permet d’embaucher les chômeurs.

Mais en vertu du processus de destruction créatrice, PDC, l’appareil productif est en perpétuelle mutation et l’emploi se redéploie en permanence entre les entreprise et les secteurs en fonction de leur compétitivité respectives. Dans ces conditions, les effets de la RTT sur l’emploi et le chômage dépendent des ses effets sur la compétitivité des entreprises et de leur capacité d’adaptation à ce nouvel environnement institutionnel. Pour ces raisons, les lois Robien et Aubry intègrent des dispositifs de baisse de cotisations sociales aux entreprises qui pratiquent la RTT.

Les analyses, de Jennifer Hunt, des conséquences de la RTT négociée par branches en Allemagne entre 1984 et 1994 concluent que le niveau d’emploi, et les salaires mensuels ont été stables. La RTT n’a pas contribué à la baisse du chômage. En France l’étude de la RTT de 1982, le passage des 40 heures hebdomadaires au 39 heures avec maintien du salaire, par Crépon et Kramarz, ne met en évidence aucun impact positif sur l’emploi, même à court terme.

L’évaluation des effets des lois Aubry qui mélangeaient RTT, réduction des cotisations sociales et horaires flexibles est fort délicate. Le chiffre de 350 000 emplois crée par le passage aux 35 heures est contestable dans la mesure ou celui-ci s’est accompagné de mesures de réduction de cotisations…  Donc à quoi imputer les créations d’emplois ?

En conclusion, croire qu’il suffirait de limiter l’immigration, de réduire la population active ou de partager le travail par les RTT, pour accroître l’emploi et réduire le chômage est une erreur.

 

La vérité est ailleurs…

 

PDC, croissance économie, emploi et chômage

 

C’est le processus de destruction créatrice qui va déterminer la croissance et l’emploi, donc le chômage. Les emplois sont fragiles dans la mesure ou ils s’inscrivent dans la dynamique d’un PDC, processus de destruction créatrice. Ce type de mesure de partage de l’emploi n’est pas susceptible d’améliorer l’efficacité de ce processus et donc la croissance économique et les niveaux de vie.

Le marché du travail est un marché dynamique, en recomposition permanente sous l’effet du PDC, c'est-à-dire des destructions et créations d’emplois, des réallocations d’emplois, des réallocations de main d’œuvre, …

Pour en savoir davantage sur le caractère dynamique du marché du travail, je vous renvoie à un texte simple ici : Appariements sur le marché du travail

Ampleur des destructions et créations d’emploi

Voir aussi Le « retour » de la « Politique économique », seconde édition, 2009 pour ce qui suit :

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Chaque année, en moyenne dans les pays développés, 1 emploi sur 7 est détruit et 1 emploi sur 7 est crée. Au cours d’une année donnée, dans le cadre d’un vaste processus de réallocation des emplois, et quelque soit la croissance économique, le taux de création nette d’emplois (taux de création d’emplois -  taux de destruction d’emplois) est d’un ordre de grandeur inférieur au taux de création et au taux de destruction. Le taux de création nette d’emplois mesuré par le taux de croissance de l’emploi sur un an,  est d’environ 10% en moyenne.

Le taux de  réallocation d’emplois (taux de création d’emplois +  taux de destruction d’emplois) est d’environ 20% en moyenne.

Mais ces chiffres, sont observés au niveau des entreprises en fin d'année. Ils masquent des mouvements plus importants encore de création et destruction en cours d'année, au sein des établissements et au niveau des postes de travail. En outre, ce sont des flux d'emplois et non des flux de main-d'œuvre. La création nette d'emplois sur l'année, grandeur pertinente au niveau macroéconomique, n'est que la résultante de ce grand brassage.

Le « déversement » de la force de travail des secteurs en déclin vers les secteurs en pointe est très lent, en comparaison des flux de création et de destruction d'emplois (Pour en savoir plus sur les créations et destructions d'emplois, voir Cahuc et Zylberberg (« Le Chômage, nécessité ou fatalité », 2004), chapitre 1.). L'évolution du chômage est évidemment liée à la différence entre créations et destructions d'emplois, mais elle n'en dépend pas principalement. En effet, les destructions d'emplois ne constituent qu'une faible part des flux d'entrée dans le chômage, qui sont dominés par l'entrée des nouvelles générations dans la vie active. De même, les flux de sortie du chômage ne correspondent pas uniquement à des créations d'emplois, mais aussi à une meilleure adéquation des chômeurs aux postes vacants, et au passage à l'inactivité (retraite, abandon de la recherche d'emploi).

 

L'appariement entre offre et demande de travail

Le bon fonctionnement du marché du travail ne se mesure pas seulement au taux de chômage mais aussi à sa capacité à assurer l'appariement des offres et des demandes d'emploi.

Pour apprécier cette capacité, on observe la relation entre le taux de chômage, qui mesure les demandes d'emploi non satisfaites, et le taux d'emplois vacants, qui mesure les offres d'emplois non satisfaites, exprimés tous deux en pourcentage de la population active (courbe de Beveridge).

Dans le cadre des modèles d’appariement entre offre et demande de travail, le nombre de chômeurs et le taux de chômage, ne sont plus seulement considérés comme des variables de stock. Cette approche permet de comprendre que le chômage résulte de l'accumulation de flux d'individus qui perdent leur emploi sans retrouver un autre emploi.  Il existe un processus d’appariement entre ces flux d’offre et ces flux de demande de travail, et une petite différence entre les deux flux est susceptible d'avoir un impact important sur le chômage, d'où l'utilité d'expliquer les flux et non directement le stock.

Le modèle d'appariement enrichit donc notablement la représentation du marché du travail. Il intègre les déterminants traditionnels du chômage et offre un cadre d'analyse des effets de politiques touchant à l'accompagnement des chômeurs, ou à la protection de l'emploi. Il constitue ainsi, de plus en plus, le cadre de référence des analyses modernes du marché du travail.

Prix Nobel d’Economie 2010 et processus d’appariement sur le marché du travail

Les travaux des prix Nobel d’Economie 2010, (« Prix Nobel d’Economie 2010 » pour Peter DIAMOND, Dale MORTENSEN et Christopher PISSARIDES), en termes d’appariements sur le marché du travail insistent sur l’existence de frictions sur le marché du travail et donc la coexistence de chômeurs et d’emplois vacants.

Ce processus d’appariement, ou matching, est soumis au PDC (processus de destruction créatrice porté par l’innovation).

On en déduit, que l’hétérogénéité et la variabilité du travail et de l’emploi rendent ce matching très complexe.

Dans ces conditions, penser et affirmer que l’emploi des uns (« vieux ») est une menace pour celui des autres (« jeunes), ou encore que la sortie de l’emploi des uns (« vieux) va libérer des places pour embaucher les autres (« jeunes ») est au mieux une méconnaissance, au pire un mensonge et une stupidité.

Incompréhension du fonctionnement du marché du travail et réforme des retraites

Pourtant, à l’aune d’un tel pseudo argument, des centaines de milliers de jeunes sont incités à aller dans la rue pour dénoncer une mesure phare de la réforme des retraites.

Il ne s’agit aucunement ici de défendre cette réforme (tel n’est pas l’objet), mais simplement de montrer que le « bon sens » conduit souvent à dire et à faire n’importe quoi …

A consulter :

Appariements sur le marché du travail

Conférence de Pierre CAHUC

Une nouvelle estimation des flux d'emploi et de main-d'oeuvre en France

Le « retour » de la « Politique économique », seconde édition, 2009

La discrète dégradation du débat économique

Travail, Emploi et Chômage 1/4

Travail, Emploi et Chômage 2/4

Travail, Emploi et Chômage 3/4

Travail, Emploi et Chômage 4/4

Le plein emploi 1/2

Le plein emploi 2/2


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