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Britannia, de l’utopie à la dystopie

Publié le 18 octobre 2010 par Lomig

Britannia, de l’utopie à la dystopieLe Labour en rêvait, les whigs et les tories l’ont fait : l’Equality Act, qui vise à imposer aux employeurs britanniques une tolérance zéro à l’égard des plaisanteries de bureau potentiellement « offensantes », a été entériné par la coalition de Nick Clegg et David Cameron. Une occasion pour les libéraux de réfléchir sur le lien entre socialisme et multiculturalisme d’une part, et entre libéralisme et homogénéité culturelle de l’autre.

J’ai longtemps été fasciné par l’Angleterre. Le jeune étudiant en histoire que j’étais il y a quelques années ne pouvait qu’éprouver une admiration teintée d’envie devant ce petit pays qui avait engendré malgré lui les Etats-Unis d’Amérique, mis la main sur le Canada français, évincé la France des Indes et ravi l’Australie à celle-ci alors que le « Down Under » avait été découvert par nos navigateurs (avant que la Révolution de 1789 ne les rappelât à Paris…).

Tous ces événements avaient préfiguré la passation de pouvoir entre la France et l’Angleterre en Europe, sur les mers d’abord (Trafalgar, 1805), sur le continent enfin (Waterloo, 1815).

Le XIXe siècle naissant était celui de l’Angleterre, triomphant dans l’ordre économique par la Révolution industrielle dont elle était le berceau, puis politique avec un Empire colonial sur lequel, comme l’Empire de Charles Quint au XVIe siècle, « le soleil ne se couch[ait] jamais ».

C’est tout cela que j’avais en tête quand je me suis rendu pour la première fois à Londres, en 2005. Les éditorialistes français parlaient alors beaucoup du « miracle » économique britannique, permis par des réformes libérales de Margaret Thatcher partiellement remises en cause par Tony Blair. Les jeunes diplômés français affluaient à Londres, devenu en quelques années l’une des premières villes françaises par la population. Même les journalistes de Libération ou du Nouvel Observateur louaient le caractère « libéral » du Royaume-Uni, avant de préciser que le poids de l’État-Providence y était sensiblement le même qu’en France.

Cette exaltation du paradis économique londonien ne réussissait pas, cependant, à dissiper le malaise que j’éprouvais devant cette Babylone où ne demeurait de « britannique » que ce qui était mondialisé : bars « lounge », restaurants « ethniques », sectes new age en tout genre…

Quelques mois après mon voyage, en juillet, Londres raflait l’organisation des Jeux Olympiques de 2012 à Paris. Je commençais à douter des raisons de mon malaise du printemps précédent : n’était-ce pas tout simplement de la jalousie, voire du ressentiment ?

Dès le lendemain de l’annonce de la sélection du projet londonien, je comprenais mieux mon impression initiale : le métro londonien était soufflé par des attentats faisant 56 victimes.

La prospérité à crédit

Trois ans plus tard, en 2008, alors que j’envisageais résolument l’expatriation, j’ai de nouveau pensé à l’Angleterre : le fils de ma belle-mère me proposait de venir séjourner chez lui. J’ai finalement été appelé à Paris, sans savoir que le « miracle » économique britannique n’avait plus que quelques mois devant lui : la crise financière, née de l’endettement des ménages, allait dévoiler le caractère totalement artificiel du dynamisme économique d’outre-Manche.

Ce brusque retour des réalités économiques appelait à celui d’autres réalités, indicibles jusqu’alors : l’Eden globalisé londonien s’était mué en quelques années en un véritable enfer.

On parle beaucoup du fait que la patrie de l’habeas corpus est devenue en quelques décennies celle des caméras de vidéosurveillance. On dit moins que dans un pays, et surtout une ville, Londres, où des terroristes peuvent appeler en toute quiétude au djihad contre l’Occident, ce flicage permanent de la société n’est pas un accident, mais une adaptation tout à fait logique.

Tout aussi logique est la panique des élites britanniques qui veulent préserver le peu de « vivre-ensemble » qu’il reste au Royaume-Uni par un renforcement de l’ingénierie sociale technocratique. Toute société multiculturelle étant, par la force des choses, conflictuelle, c’est grâce à l’accroissement du poids de l’État que Downing Street pense préserver l’ordre social.

L’humour « British » hors-la-loi

On apprenait ainsi récemment que le gouvernement de David Cameron a entériné l’Equality Act, rédigé au départ par un « Membre du Parlement » travailliste. Cette loi prévoit que tout salarié se sentant « offensé » par les propos d’un collègue peut porter plainte contre son employeur, quand bien même il n’aurait pas été visé. Il deviendra donc raisonnable pour tout employeur d’interdire de manière préventive les plaisanteries autour de la machine à café, afin d’éviter d’éventuelles poursuites judiciaires. Et cela arrive au pays des Monthy Pythons !

Il convient de noter que c’est au nom de l’« égalité » qu’est prise cette batterie de mesures. L’égalité qui, il y a cinq siècles, était le fondement de l’Utopie de Thomas More, saint patron des responsables de gouvernement et des personnalités politiques. Aujourd’hui, l’utopie collectiviste s’est muée en son contraire, la dystopie. L’égalité n’est plus la garantie faite à chacun qu’il aura les mêmes droits que tout autre, mais qu’il pourra demander à la société de le protéger contre les « offenses » qu’il prétend subir, même si celles-ci ne sont pas prouvées.

Dans la controverse outre-Manche autour de cette loi, les contre-arguments utilitaristes sur l’engorgement des tribunaux ou l’impact désastreux sur l’économie ne sont d’aucun poids : le gouvernement britannique assume le surcoût de cette mesure pour l’ensemble de la société. Et les justifications apportées par le ministre à l’initiative de cette loi, Theresa May, montrent que la visée est avant tout idéologique, indépendamment de l’étiquette de son gouvernement.

Car le plus significatif est que c’est la coalition réunissant les « libéraux-démocrates » de Nick Clegg et les « conservateurs » de David Cameron qui est parvenue à imposer une loi que les travaillistes de Gordon Brown n’avaient pas mise en place. Peu importe que les premiers soient en principe les héritiers du Parti whig, et les seconds du Parti tory. Dans une société multiculturelle, seul le socialisme semble apte à gérer les conflits qui surviennent en son sein.

Il me semble que les libéraux pour lesquels libéralisme et cosmopolitisme vont de pair devraient méditer ce paradoxe : dans une société culturellement homogène, la liberté individuelle serait plus grande, car il n’y aurait pas besoin d’appeler l’État à la rescousse pour prévenir la survenue de conflits culturels. On le voit, ce paradoxe n’est qu’apparent : une société ouverte n’est viable que si ses membres sont d’accord sur ses valeurs, qui sont pour une large part héritées. Comment espérer faire cohabiter autant de cultures en un espace aussi restreint, tout en comptant sur la bienveillance spontanée des unes à l’égard des autres ?

Comment croire que ce qui est réglé partout ailleurs par la coercition le sera ici par la liberté ?

Article paru sur Expression Libre, membre du Reseau LHC.


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