Le conflit des retraites envahit la sphère médiatique, la rue et les discussions de comptoir. Que comprendre dans tout ça, comment interpréter cette confusion ? Quel est le moteur essentiel de cette contestation ? Pas de réponse unique évidemment, mais plusieurs niveaux de lecture possibles.
Hypothèse n°1 : la force de l’habitude
Le conflit social est une tradition bien française. Mieux, c’est devenu une saine respiration de la démocratie française. Défendre dans la rue les acquis sociaux est une manière, pour le peuple, de se rassurer : oui, c’est bien lui qui, in fine, décide de la destinée du pays.Cette tradition a d’ailleurs été politiquement institutionnalisée : l’opposition du PS à la réforme est purement tactique, son soutien mesuré aux grèves également, et le jeu de rôles entre la majorité et les syndicats répond à la même logique.
Chacun tient sa place dans cette pièce de théâtre bien française.
Hypothèse n°2 : la revanche du peuple
Depuis la chute du Mur, c’est le triomphe des élites libérales. Mondialisation, intégration européenne, cure d’amaigrissement de l’Etat nous sommes engagés dans une trajectoire libérale, mais non assumée. Le pouvoir nous dit : s’il faut réduire l’Etat Providence, c’est à cause de la Chine, de l’Europe, des 35 heures ou des socialistes… ben voyons.
Le peuple de veut pas de ces évolutions, qu’il subit sans que ses dirigeants tiennent compte de son avis. Pire, l’arrogance du gouvernement Sarkozy et le climat politique délétère (magouilles de Woerth, notamment) incitent le peuple à se révolter. Non, cette fois ci l’idéologie libérale et le pouvoir des puissants ne passeront pas !
Hypothèse n°3 : l’injustice, encore et toujours
Finalement, ce sont toujours les mêmes qui paient. Face à l’allongement de la durée de la vie et au rétrécissement du rapport actifs / retraités, il va falloir travailler davantage. La réforme des retraites est donc inévitable. Le problème, c’est que dans le projet de réforme du gouvernement, les plus fragiles (travail pénible, parcours professionnels incomplets, travailleurs ayant commencé à 18 ans…) vont être pénalisés. Pendant ce temps, les revenus du capital ne sont pas assez mis à contribution. Cette injustice est inacceptable, d’autant plus en temps de crise.
Réformer : oui (les autres pays européens y sont passés avant nous), mais à condition que la réforme soit juste et que chacun contribue à l’effort.
Hypothèse n°4 : le miroir médiatique
L’hypermédiatisation de notre société change la nature du débat politique. Pour exister, il ne s’agit plus de développer des argumentaires ni des raisonnements construits, mais de produire des images, des formules, des symboles. Manifester, brûler des voitures, bloquer des terminaux pétroliers sont donc les moyens d’exister médiatiquement pour la France d’en bas.
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Le blocage du pays est donc un pur produit de la société de l’information.
Hypothèse n°5 : la symbolique de la désocialisation
Le travail est mal vécu en France. Pire, il est devenu une souffrance à l’heure du libéralisme et de la dérégulation. Autrefois structurant et socialisant, il est devenu désocialisant voire traumatisant : individualisation des carrières, stress au quotidien, angoisse du chômage, pression constante de la performance et de l’adaptabilité, individualisme encouragé… La retraite à 60 ans, qui permet d’échapper à cette angoisse permanente, est donc sacrée : s’y attaquer sans résoudre la question des conditions de travail, c’est commettre une faute symbolique lourde.
Défiler dans la rue est une manière symbolique de répondre à cette faute : se retrouver, défiler ensemble, partager un moment convivial, faire corps face à un adversaire commun… bref, c’est retrouver un « vivre ensemble » que le travail n’offre plus. Un message subliminal du peuple au pouvoir : rendez nous le travail d’autrefois, celui qui « faisait société » !
Hypothèse n°6 : le conflit des générations
La génération 1968, après avoir pris le pouvoir, s’être gavée et enrichie, arrive maintenant à l’âge de la retraite. Il faut réformer la retraite pour que le niveau des pensions ne diminue pas, et que cette génération dorée (babyboom, 30 Glorieuses, ivresse de 68) puisse continuer à vivre dans l’opulence.
Les plus jeunes disent : merci pour tout (crise, épuisement des ressources, chômage, déprime sociale), et en plus il va falloir travailler plus longtemps pour payer vos retraites ? Pas question, non à cette réforme !
Une nouvelle fracture s’ouvre dans notre société : c’est la guerre des générations, et elle ne fait que commencer.
Hypothèse n°7 : l’effroyable manipulation
La réforme des retraites est inévitable, d’ailleurs les autres pays européens y sont passés avant nous. Les syndicats et le PS ont conclus un pacte secret en vue de 2012 : pour se renforcer auprès de l’opinion (les syndicats) et gagner en 2012 (le PS), il fallait frapper fort et empêcher la droite de faire passer cette réforme.Alors on enfume les Français avec des arguments idéologiques, des attaques sur l’honnêteté du ministre Woerth, des chiffres, des grandes phrases sur les acquis sociaux qu’on démolit… et, à la grande stupeur de nos voisins européens, ça marche. Sur un dossier aussi complexe, peu de gens saisissent les véritables enjeux, le débat se limite à quelques invectives, et les positions se radicalisent entre les pro et les anti.
Des millions de gens défilent dans la rue, le pays est bloqué.