Elle écrit comme elle respire. C'est un bonheur de voir respirer une plume sur le papier. Drôle d'écrire ceci : une plume comme un nez. Assis dans un parc à Dax, je vois cette dame d'un certain âge. Je n'ose pas écrire vieille. Mais elle est âgée, plus de quatre-vingt ans...
Elle écrit, elle a sorti de son sac un cahier d'école "Claire-Fontaine" et elle écrit sans reprendre son souffle.
Je donnerai cher pour savoir ce qu'elle écrit ! J'aimerai avoir le courage de me glisser derière elle et de plonger mes yeux indiscrets sur son cahier. Ce qui est curieux c'est que ses pieds battent le rythme. Son pied droit plus exactement.
Écrit-elle de la musique ? Je ne bouge pas, je regarde, je suis à peine à une dizaine de mètres d'elle. Devant nous, un grand plan d'eau et sa berge cimentée qui accueille une volée de canards fatigués par la chaleur de cette fin d'après-midi d'été. Je relève les yeux de mon carnet. J'allais écrire qu'un vaste plan d'eau était devant moi, devant elle, et c'est alors que je la vois se lever et venir vers moi.
Elle me dit d'une belle petite voix : " Monsieur, je vois que vous aussi, vous écrivez". J'engage la conversation, l'invite à venir s'asseoir à côté de moi. Elle répond à mon invitation mais me dit qu'elle n'a pas beaucoup de temps. Sa soeur l'attend chez elle. J'ose lui dire ma pensée de tout à l'heure. Non, elle n'écrit pas de la musique, mais elle sourit à mon interrogation car pour elle tout est musique depuis longtemps.
Son fils est mort il y a trois ans et depuis trois ans elle écrit. Elle écrit tout ce qui lui passe par la tête. Et tout est joie, tout est musique. Ce parc qu'elle décrit. Ces enfants qui jouent, follement, merveilleusement. Leurs cris. Les oiseaux bien sûr, mais aussi les petits spectacles insignifiants qu'elle dépeint. Tous, toute la vie est musique. Elle me dit en se relevant que ses cahiers sont un peu comme ces instruments de musique dont elle ne sait pas jouer et dont elle aurait tellement aimé savoir le faire. Nous nous sommes salués...