Magazine Politique

Statues et idoles : à propos de la sculpture arabe

Publié le 24 octobre 2010 par Gonzo

Statues et idoles : à propos de la sculpture arabeSept ans déjà que des vandales iconoclastes s’en sont pris à l’une des très nombreuses statues de Saddam Hussein qui « ornaient » encore les rues de Bagdad à l’époque. Depuis, on en sait davantage sur l’authenticité de ce prétendu débordement populaire, en réalité largement orchestré pour les caméras occidentales fort heureusement logées à proximité, à l’hôtel Palestine (article Wikipedia en anglais). L’anecdote, si on veut l’appeler ainsi, a au moins le mérite de montrer que la croyance dans le pouvoir des images est en définitive assez bien partagée. Quand certains refusent que la Vérité (avec un grand « v ») de la création divine puisse être imitée par l’image, d’autres estiment que la vérité est dans l’image, et même que l’image fait la vérité. Les rites peuvent changer, les motivations aussi, mais au fond demeure la même foi dans le pouvoir symbolique de ces représentations particulières.

Il arrive d’ailleurs que les deux logiques se rejoignent en un même lieu. A Gaza par exemple, où le monument (voir ce billet de Gilles Paris, photo ci-dessous) érigé à la mémoire du soldat inconnu (un anonyme de la guerre de 1948) a d’abord été détruit par les Israéliens puis, quelques années plus tard, par une explosion attribuée aux nationalistes religieux extrémistes (peut-être du Hamas) ; les premiers croyaient abattre un peu du nationalisme palestinien en détruisant le monument élevé à la mémoire de la résistance, quand les seconds, selon une démarche tout aussi politique mais cette fois-ci vis-à-vis de leurs rivaux sur la scène locale, manifestaient plus fondamentalement leur refus du principe même de la représentation.

Statues et idoles : à propos de la sculpture arabe

En dépit de la réalité des pratiques qui plébiscitent une explosion de l’image sous toutes ses formes numérisées (cliquer dans la catégorie « image » à droite pour quelques exemples), certains, dans le monde arabe, s’obstinent à condamner toutes formes de représentation au nom de l’islam. Si la peinture (figurative) est bien entendu concernée, la sculpture l’est plus encore car le travail sur la matière qu’elle implique rend plus tangible encore dans nombre d’esprits religieux l’accusation d’idolâtrie évoquée dans le Coran, à propos d’idoles  (asnâm أصنام, plutôt des stèles que des statues à proprement parler).

Parmi bien d’autres, Ali Jum’a (علي جمعة : Ali Gomaa), alors Grand Mufti de la République égyptienne, s’est ainsi fendu d’une fatwa, en 2006, promettant l’enfer à ceux qui se livrent à cette pratique esthétique (article en anglais). Résultat, deux ans plus tard il ne’ se trouvait plus qu’un seul étudiant à s’inscrire dans cette spécialité à la faculté des Beaux-Arts du Caire ! Même si ce n’est pas la seule raison de cette désaffection pour la sculpture, le Grand Mufti aurait mieux fait de relire ses classiques, rappelle l’auteur de cet article dans Al-Akhbar (en arabe), et de s’inspirer des propos de Muhammad Abduh qui estimait, lui, que la loi divine interdisait les statues quand les hommes en faisaient des objets d’adoration, et que c’était donc cette forme de dévotion qui était condamnée et non pas la statuaire elle-même.

Ce religieux réformateur du début du siècle s’exprimait ainsi tandis que Mukhtar, le père de la sculpture égyptienne moderne, associait pleinement son art, comme la plupart des intellectuels de son époque, au combat nationaliste incarné à l’époque par le parti Wafd (voir le précédent billet). Par la suite imité par bien d’autres artistes – voir cet article, en arabe, sur une autre grande figure de la sculpture égyptienne, Adam Hunein (آدم حسين) –, Mukhtar renouait avec la tradition millénaire de la statuaire du temps des pharaons pour accompagner le « réveil de l’Egypte » (Nahdat Misr, le nom d’une de ses plus célèbres œuvres aujourd’hui visible à l’entrée de l’Université du Caire : voir ci-dessous).

Statues et idoles : à propos de la sculpture arabe

Conformément à la logique de la langue, un observateur arabe voit dans le personnage féminin de ce groupe la renaissance (mot féminin) plutôt que l’Egypte (mot masculin) représentée par le sphinx très viril couché au pied de la belle. Le « nouveau pays » (l’Egypte) est littéralement fécondé par le réveil de la modernité dans l’esprit de l’artiste, un homme, comme souvent dans cette forme d’art qui exige (surtout à cette époque) une réelle force physique.

Les techniques ont changé, certes, mais il est tout de même singulier qu’une des plus grandes figures de la sculpture arabe actuelle soit aujourd’hui une femme, Mona Saudi (منى سعودي). Née en 1945 en Jordanie, la « dame/maîtresse/patronne de la sculpture arabe » (سيدة النحت العربي) a aujourd’hui les honneurs d’une rétrospective à Londres mais ses œuvres, souvent des créations monumentales qui offrent de multiples variations sur le cercle, sont visibles dans bien des villes du monde. A Paris par exemple, sur le parvis de l’Institut du monde arabe, son « architecture de l’âme » (هندسة الروح) dialogue avec le bâtiment de Jean Nouvel .

Statues et idoles : à propos de la sculpture arabe
Malheureusement, les multiples hommages à Saddam Hussein sont loin d’être les seules statues menacées à Bagdad. Erigé au début des années 1960, le Monument de la libération du grand artiste Salim Jawad (سليم جواد) retrace les grandes heures du peuple irakien luttant pour sa liberté. Symbole de l’indépendance nationale (article en arabe, avec des illustrations, sur le site Elaph), il souffre aujourd’hui d’un tel manque d’entretien que des artistes irakiens se sont regroupés pour tenter d’empêcher sa disparition. Tout un symbole, là aussi, de l’Irak d’aujourd’hui !…

(Ci-contre, la pochette du DVD édité par la Iraqi Artist Association pour défendre la mémoire en péril de l’art irakien.)


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Gonzo 9879 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines