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ISF et bouclier fiscal : l’efficacité économique selon François Fillon

Publié le 25 octobre 2010 par Lecriducontribuable

Supprimer à la fois le bouclier fiscal et aménager l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) : la proposition des 125 députés UMP a fait son chemin jusqu’au Premier ministre François Fillon, qui le 17 octobre dernier sur TF1 s’est dit favorable à une profonde réforme fiscale dans le cadre du budget 2012 – réforme élaborée dans un souci de justice et d’efficacité. Mais ces préoccupations, loin de justifier la réforme annoncée, font peser de sérieux doutes sur l’orientation politique du gouvernement.

La petite phrase de Fillon peut faire sourire : si l’ISF, créé sous la présidence de François Mitterrand en 1989 pour succéder à un IGF enterré par le gouvernement Chirac en 1987, peut être légitimement regardé comme une invention des socialistes, le bouclier fiscal fait quant à lui partie des symboles de la « rupture » annoncée par le candidat Sarkozy durant la campagne présidentielle de 2007. En avril 2010, le député UMP Hervé Mariton mettait en garde le gouvernement contre l’erreur politique et économique consistant à supprimer le bouclier fiscal sous pression de la gauche.

Consacré par la loi TEPA du 21 août 2007, le principe d’une imposition plafonnée à 50% résumait à lui seul l’ambition de la majorité UMP, ambition forcément condamnable aux yeux d’une opposition qui dénonçait et dénonce toujours le « cadeau » fait aux « riches ». Si dans les rangs de la majorité personne aujourd’hui ne parle de « cadeau », les arguments de l’UMP en faveur d’une suppression du bouclier fiscal trahissent un raisonnement dangereusement similaire à celui des partis de gauche, dont le credo intime de prendre l’argent où il se trouve – au nom de l’égalité et de la fraternité, cela va sans dire. Pour Alain Juppé, il est normal d’exiger des plus hauts revenus un « effort de solidarité supplémentaire vis-à-vis de ceux qui souffrent ».

C’est sans nul doute pour faire l’unanimité que les députés UMP, dans leur amendement, puis le Premier ministre plus récemment sur TF1, ont invoqué le double impératif de justice et d’efficacité pour assainir les finances publiques. Malheureusement pour le gouvernement, ces deux motifs achèvent de convaincre les électeurs de Nicolas Sarkozy que la « rupture » promise n’aura pas lieu. La demande de suppression de l’ISF ne peut dissimuler – et à vrai dire personne ne s’en cache – le fait qu’en exigeant par ailleurs la suppression du bouclier fiscal, la majorité cherche avant tout à compenser – ne serait-ce que partiellement – les recettes fiscales, au mépris de toute considération éthique sur la propriété. La hausse annoncée de la TVA sur les offres « triple play », l’augmentation probable des amendes de stationnement (passent de 11 à 20 euros) ou le « coup de rabot » sur les niches fiscales sont autant d’expressions de cet esprit comptable. C’est dans cette optique que l’inspecteur général des finances Henri Guillaume s’est vu demander d’évaluer « l’utilité économique » de chacune des niches pour la mi-2011.

Parce que le gouvernement s’est donné pour objectif de réaliser 60 milliards d’euros d’économie sur son budget 2011, les Français devront donner davantage. En soi, la chose n’a rien de choquant : l’argent public, c’est le nôtre, et la collectivité ne peut se désolidariser des administrations chargées de prélever une part du PIB pour l’utiliser, l’investir, et le redistribuer. Ce qui en revanche est inquiétant, c’est que le gouvernement n’a pas l’intention de modifier substantiellement les habitudes des administrations publiques et se tourne malgré tout vers le contribuable pour réparer ses erreurs. C’est la justice et l’efficacité selon l’homme de droite.

Personne, semble-t-il, n’a remarqué que cette « efficacité » invoquée aujourd’hui par l’UMP pour justifier la suppression du bouclier fiscal ne servait jamais à expliquer des suppressions de postes dans la fonction publiques ou toute autre réduction des dépenses. Or, d’un point de vue strictement comptable – qui est normalement celui du gouvernement – geler les dépenses publiques n’est pas moins efficace que d’accroître les recettes fiscales. L’argument-massue de l’efficacité trahit d’une part la volonté de maquiller une marche arrière, d’autre part le mépris de la propriété. La majorité parle de « manque-à-gagner » pour les finances publiques là où l’opposition dénonce un « cadeau fiscal », ce qui revient exactement au même, puisque d’un côté comme de l’autre, le principe de propriété passe après le critère de l’utilité économique.

En d’autres termes, la propriété est regardée non comme un droit naturel, mais bien comme un droit positif, modifiable à tout moment par l’État qui détient une créance sur le PIB. Les socialistes ont donc raison de critiquer le « cadeau » fait aux riches, car le gouvernement n’a jamais vu autrement ce dispositif permettant aux ménages de conserver ce dont l’Etat, s’il le voulait, pourrait les déposséder. D’ailleurs, jusqu’en 2009 le fonctionnement du bouclier fiscal reflétait cette logique prédatrice : le contribuable devait chaque année se faire rembourser les excédents par l’administration fiscale. Il lui est maintenant possible de réaliser lui-même cette opération, mais le principe reste fondamentalement le même, puisque c’est au contribuable de « corriger » les mauvaises manières du fisc. En outre, la procédure est risquée : le contribuable doit effectuer des calculs complexes qui peuvent se retourner contre lui.

N’oublions pas que la suppression du bouclier fiscal annoncée pour 2012 par François Fillon – et Nicolas Sarkozy – s’inscrit dans une réforme fiscale plus vaste incluant le remplacement de l’ISF par un impôt sur les revenus du patrimoine et la création d’une tranche a 46% pour les revenus supérieurs à 100 000 euros. C’est un kit : le gouvernement renonce à 4 milliards d’euros –  les recettes de l’ISF – mais « récupère » un peu plus d’un demi-milliard d’euros –  le « manque à gagner » du bouclier fiscal – ainsi que les recettes fiscales issues de l’imposition du patrimoine et de la nouvelle tranche d’impôt. A présent, le Parti socialiste dénonce le « cadeau » fait aux grandes fortunes : à quoi bon détruire un bouclier fiscal dont les riches, affranchis de l’ISF, n’auraient plus besoin ? Pour Cécile Duflot, le secrétaire national des Verts, c’est « rendre de la main gauche ce qu’on enlève de la main droite ». En vérité, c’est rendre de la main gauche un peu plus que ce qu’on enlève de la main droite. Toute la question est de savoir à qui l’argent est rendu, et à qui il est enlevé.

Une réforme juste consisterait à maintenir le bouclier fiscal, supprimer l’ISF et abandonner une bonne fois pour toutes le dogme de la fiscalité progressive. Evidemment les socialistes réclament l’inverse : la suppression du bouclier fiscal et le maintien, voire le renforcement de l’ISF, cet ISF dont François Fillon expliquait dimanche qu’il était trop rentable pour être supprimé d’un trait de plume. Pour les partis de gauche, obnubilés par les grandes fortunes, la disparition du bouclier fiscal signifie le retour à la normale, rien de plus. Ils oublient que la réforme fiscale annoncée par le gouvernement, si elle devait aboutir, mécontenterait aussi des ménages modestes. Si les assujettis à l’ISF –  562 000 en juillet 2010 – sont en toute logique concernés par le bouclier fiscal, tous les bénéficiaires du bouclier fiscal ne sont pas assujettis à l’ISF. N’en déplaise à l’opposition, des « cadeaux » fiscaux ont été faits également à des milliers de ménages dont le seul crime est de payer des taxes foncières et d’habitation exorbitantes. En 2007 on trouvait parmi eux des allocataires du RMI (5000 dans le seul département de la Réunion) c’est-à-dire des gens qui selon la vulgate marxisante sont censés se joindre au cortège pour demander du pain, des sous, et la tête du Roi. Pour les envieux, l’intérêt des « petits » écrasés par les impôts locaux n’a aucune importance si les « gros » restent gros. C’est la « justice » et l’efficacité selon l’homme de gauche.

A charge contre le bouclier fiscal, on a pu dire que son instauration n’avait pas eu d’effet réellement décisif sur l’expatriation fiscale : en 2008, le gouvernement comptabilisait 821 départs pour seulement 312 retours. L’inefficacité du dispositif à court terme est compréhensible : créé par une loi, le bouclier fiscal peut être supprimé par une loi, et les expatriés fiscaux ont par conséquent des raisons de craindre que la législation ne leur redevienne hostile, surtout à l’approche des présidentielles de 2012. Les récentes prises de position des députés UMP et la « petite phrase » de François Fillon donnent donc raison aux « émigrés » qui hésitent à revenir en France – et indiquent par la même occasion aux partis de l’opposition que le gouvernement est, comme eux, loin de prendre au sérieux ce fort peu « républicain » droit de propriété.

Nils Sinkiewicz


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