Raymond Queneau (1903-1976)
Photographie de Jacques Haillot (26 avril 1973)
Ce jour, un grand exercice de style propre à fendre les flots, y compris (et surtout) bétonnés, métalliques et souterrains, en tout cas un grand exercice de style (à la Sophie Calle ?) ne manquant le rendez-vous ni avec les mots ni avec les couleurs – c'est la même chose... – eût été l'offrande d'une virée à l'inénarrable Gertrude Stein évidemment flanquée des Barcelonaises Demoiselles d'Avignon (bah oui) et pourquoi pas d'un type déguisé en Arlequin (il en faut pour tous les goûts) - fêtons Halloween à l'envers, bon sang ! -, et ce en montant à bord d'une voiture de la ligne numéro 5 du métropolitain parisien (bonjour Zazie).
La ligne numéro 5 du métropolitain parisien s'élance de la station Place d'Italie (bonjour Italo Calvino, cet autre pape littérateur et ouvrier (et réel) de l'Ouvroir de Littérature Potentielle) pour arriver à la station Bobigny Pablo Picasso, Pablo Picasso dont nous mentionnons, au passage, que ce fut à son retour d'Italie – ah ! la botte en sa lumière et ses paysages, en ses gammes et ses palettes (quasiment) de filiation divine... –, notamment d'un voyage à Naples et à Pompéi, et non pas, comme tout peintre génial qui se respecte, à Rome, à Florence et à Venise, qu'il aura inauguré sa période dite "classique".
Soyons plus clair : quiconque rallie en métro la station Place d'Italie à la station Bobigny Pablo Picasso remarque que la station sise juste avant la station Bobigny Pablo Picasso est la station Bobigny-Raymond Queneau. Aussi bien, dans cette direction, Raymond Queneau précède Pablo Picasso – cela va sans dire mais ça va mieux en le disant : pour le contraire se contenter du seul autre sens (en Europe, tout (re)commence toujours en Italie)...
Quiconque considère à présent que la première station de l'existence est la borne de la naissance et que la dernière station de l'existence est la borne de la mort, ce qui est partiellement vrai, eût alors à cœur, toujours ce 25 octobre, et toujours sur la ligne numéro 5 du métropolitain parisien, de descendre « en marche », par exemple à la station Bastille ou à la station République – tiens, deux noms pour le prix d'un... –, et de se poster sur un quai, soit celui du sens Place d'Italie-Bobigny Pablo Picasso, soit celui du sens Bobigny Pablo Picasso-Place d'Italie, pour, au moment clé de l'arrêt concomitant des deux rames, l'une en route pour la station Place d'Italie et l'autre pour la station Bobigny-Pablo Picasso, engager une réflexion d'au moins une minute, sauf aux heures de pointe et les jours de grève, sur la notion de hasard et son étrange musique... Dès lors, fort de cette médiation développée puis emballée puis pesée en quelque cinquante secondes, il eût été pour le moins curieux de se souvenir que Raymond Queneau s'est embarqué pour l'éternité il y a précisément trente-cinq ans et que Pablo Picasso a débarqué dans l'Eternité il y a précisément cent trente ans, et tous deux un 25 octobre, donc ce jour - ça valait bien quelques lignes très agaçantes à lire, n'est-ce pas ?
Sinon, cet exercice de style, plus justement cette expérience, que tout le monde, ou presque, a fait au moins une fois dans sa vie : vous êtes confortablement assis dans un train à l'arrêt, celui-ci à côté d'un autre, et vous pensez enfin repartir pour toujours quand, en fait, ce sont les voyageurs de l'autre train, et des « voyageurs » parfois innocents, qui repartent pour toujours (là-dessus, voir ma bannière)... Dieu merci, demeurent les artistes pour toujours tenter de prévenir et/ou de soigner, voire de guérir...
Enfin, parce que la vie est belle et parce qu'il n'est jamais trop tard pour jouer, permettez cette invitation en forme de question adressée aux lectorat parisien de ces Carnets : le dernier métro, c'est à quelle heure ?
Pablo Picasso (1881-1973)
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