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État des forces politiques en France

Publié le 26 octobre 2010 par Argoul

Deux intellectuels de bon niveau du centre gauche, Jacques Julliard et Marcel Gauchet, échangent leurs idées sur les forces politiques de la France fin d’année 2010. Le premier est un social-démocrate deuxième gauche, directeur-adjoint du ‘Nouvel Observateur’ ; le second est un social-démocrate centre-droit, responsable de la rédaction du Débat.

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Constat partagé : la crise 2007 et ses suites ont remis en cause le logiciel commun à la droite et à la gauche de gouvernement. Il s’agissait d’adapter la France à la mondialisation libérale, ce qui n’avait pas été fait surtout sous l’ère Chirac. Ce qui voulait dire trouver l’attrait compétitif du pays et compenser les incidences sociales négatives. Or l’Occident, moteur de la mondialisation, se trouve déconcerté par le retournement : le capitalisme mondialisé joue désormais contre lui, en faveur des pays émergents. Nous ne sommes pas dans les années 30 où chacun allait chercher hors système une alternative : dans l’État organique fasciste ou dans l’État à parti unique communiste. Le rappel par Nicolas Werth dans la revue ‘L’Histoire’ d’octobre des émeutes ouvrières 1962 en URSS est une anecdote édifiante. L’Etat a augmenté les prix alimentaires et les syndiqués d’une usine de locomotives manifestent. Pan ! L’armée tire sur la foule, 23 morts et tout est réglé. Les procès qui suivent dénoncent des hooligans anti-populaires. La CGT, si accrochée au modèle des soviets, devrait réfléchir à deux fois avant d’accuser le sarkozysme de fouler aux pieds la démocratie : il y a pire !

D’où la démobilisation des forces sociales qui ne savent pas à quel saint de vouer. Le combat symbolique se concentre… sur les retraites – vous parlez d’un projet d’avenir ! Les jeunes ont bien raison de se révolter. Car il reste à inventer du neuf et là, il n’y a pas grand monde sur le pont. Nicolas Sarkozy retrouve le bon vieux gaullisme autoritaire pour qui la politique mène l’économie, sauf qu’il ne s’agit que de discours, pas grand chose dans les faits. La gauche n’a rien à dire, « la panne d’imagination réformiste ressort cruellement en face de l’importance des enjeux » (Marcel Gauchet). Quant à Jacques Julliard, il s’est amusé à faire un montage des discours de Sarkozy à Toulon et Davos, contre le capitalisme financier : « les gens ont trouvé que mon discours était bien, qu’il était digne d’un socialiste véritable et quand je leur ai dit qu’il n’y avait dans ce texte pas une phrase de moi, pas un mot qui ne soit de Sarkozy, ils ont été ébahis. » Comme quoi le seul ciment de la gauche est l’anti-sarkozysme, pas une idée nouvelle, pas même un désir d’avenir, contrairement au slogan affiché !

Pire, dit Jacques Julliard : « une bonne partie de la fermentation intellectuelle autour de l’écologie vient du fait que tout le monde se jette dessus car c’est la seule manière de proposer des (…) échappatoires au problème de l’heure. On dit que l’écologie est un moyen de relancer l’économie. Pour ma part, je pense qu’elle impose en fait à l’économie une contrainte supplémentaire. (…) Cela rendra la production plus lourde et plus difficile. » Au contraire des pays émergents qui en profiteront pour augmenter l’écart de leurs coûts et pour assécher ainsi toute industrie digne de ce nom en Europe. On ne risque pas de sortir du marasme en se mettant des boulets aux pieds.

Nicolas Sarkozy en président n’est plus, comme durant sa campagne 2007, l’unificateur de la droite. Sa capacité à imposer son image de gouvernant est affectée par ses discours médiatiques non suivis d’effets. « Il cesse de faire illusion parce que le cynisme incantatoire de son pseudo-volontarisme saute aux yeux » (Marcel Gauchet). Il n’y a de réalité pour lui que dans les médias, or les gens observent aussi les résultats. Ils voient agitation impuissante et incohérence de fond. La politique n’est pas l’efficacité gestionnaire, le chiffre n’est pas la mesure du succès en politique. C’est plutôt la négociation avec les acteurs, pour qu’ils acceptent des compromis, qui vaut. Voilà pour la méthode. Pour le fond, le cœur de son message portait sur travailler plus pour gagner plus. C’est un échec. Certes en raison de la crise, mais aussi parce que sa politique était mal adaptée. Distribuer de l’argent en début de quinquennat, ce n’est pas créer des emplois ; diminuer les impôts, ce n’est pas réformer les rigidités ; nommer des commissions Attali n’est intéressant que si les propositions sont suivies d’effet.

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L’alternative Villepin est-elle crédible ? Guère : l’UMP est tenu solidement et le carré de gaullistes autour de l’ancien Premier ministre ne suffira pas à l’imposer. Marine Le Pen va changer l’image du Front national en lui faisant quitter les rives de l’antisémitisme et du pétainisme, ne permettant sans doute pas à Sarkozy de ratisser ses électeurs comme en 2007. 

Le centre Bayrou reste évanescent. L’électorat centriste existe, qui ne se reconnaît ni à droite ni à gauche et essaie Cohn-Bendit pour voir. « La droite sarkozyste ne l’enthousiasme pas ; le bling-bling lui répugne. La gauche socialiste ne le branche pas davantage, avec son côté rétro-sectaire et son programme inamovible : plus d’emplois publics, plus d’impôts » (Marcel Gauchet). Bayrou en 2007 a rempli la fonction de « test de Rorschach où chacun peut se projeter et lire ce qu’il veut y voir. » Recommencer la performance est peu probable, tant cela tenait aux circonstances.

Reste la gauche. Son seul attrait politique réside dans l’affaiblissement de Sarkozy, mais le personnage est habile et sait se transformer. DSK apparaît comme une sorte de Sarkozy de gauche, permettant à la social-démocratie radicale populiste d’un Mélanchon de grignoter sur le PS comme sur le NPA. Besancenot en Tintin léniniste ne séduit pas : qu’a-t-il donc à proposer de crédible aux électeurs ? L’absence de leader clair au PS et ces primaires décidément à organiser (sans que la masse manifeste ses vrais choix) sont de sérieux handicaps. S’il y a un avantage Aubry, Royal peut surprendre et Hollande jouer habilement sa partition…

Je souscris largement à tout cela, développé régulièrement sur ce blog. Comme toujours en politique, domaine du relatif, rien n’est jamais joué d’avance.

Revue Le Débat n°161, septembre-octobre 2010, Gallimard, 17,50€


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