J'ai déjà eu l'occasion de l'expliquer début septembre : le Pakistan est fils de l'Indus.C'étaient les inondations provoquées par le grand fleuve qui avaient suscité ce billet.
Au-delà de cette intuition (ou plutôt de ce raisonnement), il manquait une vérification sur le terrain. Nous la voici donnée par Frédéric Bobin, dans un passionnant petit article "Les structures de la société pakistanaise remises en cause par les crues de l'Indus" (accessible seulement aux abonnés). On s'y aperçoit de l'importance de ces inondations.
Que dit cet article ? Il constate trois évolutions profondes :
1/ Émergence de la société civile. "La première de ces évolutions est l'émergence de la société civile comme force de solidarité se substituant à un Etat dysfonctionnel". En effet, "secteur privé, ONG et partis politiques ont pris en charge cette assistance". Et l'auteur ne le dit pas mais le suggère, les talibans ont finalement un rôle marginal dans cette solidarité. C'est probablement dû au fait que les inondations ont surtout touché le Sind méridional.
2/ L'exode rural. Il y a eu quatre millions de personnes déplacées. Or, "une bonne partie de ces sinistrés ne retourneront pas dans les villages d'origine, accélérant un exode rural déjà bien engagé" . Alors qu'à Karachi notamment, les rivalités entre les différents groupes ethniques font rage : Mohajirs (réfugiés d'Inde lors de la partition de 1947), Sindis autochtones et Pachtounes. L'arrivée des nouveaux ne devrait toutefois pas provoquer une rupture, estime l'auteur.
3/ Redéfinition du lien féodal. Certains des réfugiés retourneront dans leur village, ce qui pourrait remettre en question la relation quasi féodale avec les wadero (les propriétaires fonciers) qui n'ont pas montré, lors des inondations, le rôle de protecteur qui justifiait leur position. "De surcroît, les paysans déplacés en périphérie des villes ont été exposés à une nouvelle réalité sociale, moins oppressive".
4/ Ainsi, le débordement de l'Indus a-t-il des conséquences profondes sur l'équilibre pakistanais : il convient d'en prendre conscience, alors que le pays nous intéresse à plusieurs points de vue (guerre en Afghanistan, prolifération, lien avec la Chine et l'Asie centrale, rivalité avec l'Inde, ...).
5/ Surtout, ce cas illustre le thème de la géopolitique des ressources : comme je l'ai déjà écrit, elle lie la géopolitique, l'économie et l'écologie. Ici, un débordement "naturel" provoque une crise suffisamment profonde que l'équilibre de la société en est altéré, ce qui l'amène à de nouvelles considérations géopolitiques. Dans le cas présent, les deux premiers points sont valides, il convient encore d'examiner le troisième.
Mais la géopolitique, comme les évolutions sociales ou écologiques, requiert le temps long.... Nous aurons donc le temps d'y revenir. Mais plus que jamais, il faut considérer le Pakistan comme le fils de l'Indus, et non comme le fils musulman de l'Inde.
O. Kempf