Bonjour à celles qui se prénomment Jade
Bonjour à leurs grand-mères
Bonjour aux zotres
Ce roman choisi par Liliba fait partie de la sélection française du Prix Qd9 2010. Je profite lâchement de son éloignement bloguesque pour cause de tourisme parisien pour publier ce billet. Ames sensibles s'abstenir, ce qui suit est pour le moins catégorique.
Le sujet
Jeanne est octogénaire. Suite à un malaise, elle est recueillie par Jade, sa petite fille, journaliste parisienne et trentenaire. La cohabitation des deux femmes est d'emblée placée sous le signe de la littérature : celle lue en cachette par la grand-mère pendant des années et celle que tente d'approcher la petite fille à travers l'écriture de son premier roman.
Mon avis
Lorsque je n'aime pas un livre, généralement, je prends la peine de contextualiser ma critique, de rappeler ce qui, dans mes goûts et dans ma personnalité peut expliquer mon avis au delà de la qualité (ou non qualité) d'un texte. Ainsi, il y a des livres que je déteste, qui ne sont fondamentalement pas faits pour moi mais dont je comprends parfaitement ou au moins dont je peux tenter d'imaginer pourquoi d'autres les ont aimés. Je pense notamment à La maladie de la mort de Duras ou au Guide de Mongolie qui m'est tombé des mains au bout de 20 pages.
Je suis loin d'avoir détesté La grand mère de Jade, c'est bien pire que ça, j'ai trouvé ce livre insipide, ennuyeux, plat, long, répétitif, soporifique et, comme disait un de mes ex "à classer dans le domaine du hard to believe" (copyright). Très franchement, même en tournant la question dans tous les sens, je suis très étonné de l'enthousiasme qu'il a suscité dans la blogosphère.
Premièrement, il est iiiiiiinteeeeeermiiiiiiinaaaaaableuh !
Pfeuhhh ! Quel ennui ! Mais alors quel ennui avec un baillement majuscule ! 400 pages pour en arriver là ? Le hasard de mes lectures fait que j'ai enchaîné avec Le Canapé Rouge de Michèle Lesbre et j'ai l'impression qu'en quelques bribes allusives, cette dernière en dit plus (et beaucoup mieux et avec 1000 fois plus de vérité et d'émotion) sur la vieillesse et les relations inter-générationnelles que Frédérique Deghelt au fil de pages convenues, pétries de bons sentiments gnan-gnan et de clichés sur la gentille mamie et l'hydillique cohabitation vachement riche d'enseignements réciproques et de compréhension mutuelle.
Deuxièmement, Frédérique Deghelt n'a hélas suivi aucun des judicieux conseils que la grand-mère donne à sa petite fille afin d'améliorer la qualité du texte qu'elle cherche à publier. De mémoire, elle lui dit notamment de couper et de couper encore et de ne dire que des choses essentielles. Hélas, je n'en ai guère lues et j'ai plutôt soupiré devant les platitudes, les invraisemblances, les répétitions, multipliées au fil des pages.
Troisièmement, l'écriture est un peu vieillote, plutôt scolaire, appliquée, lisse, sans aspérités. A un moment donné la grand mère confie qu'elle n'aime pas les auteurs contemporains car ils donnent dans la banalité de phrases telles que "(page 358)". Eh bien franchement, je préfère de loin la banalité du quotidien à l'emphase du passé et si je veux lire de la prose sentant les années 50 voire la naphtaline, j'ouvre un Mauriac, un Genevoix, un Morand ou un Sagan (au moins ce sera magnifiquement écrit et un minimum profond) mais ce n'est pas ce que j'attends d'une auteure publiant en 2007 (surtout si son roman se déroule de nos jours) !
Quatrièmement, le roman regorge d'invraisemblances, de coïncidences plus que curieuses, de rencontres improbables, de relations qui le sont plus encore à tel point que ça en devient ridicule.
Cinquièmement, le livre est d'une superficialité renversante si bien qu'on ne croit pas plus à ce que l'auteure affirme et remâche à longueur de pages : la soit disant érudition de la grand mère (s'il suffisait de lire des bouquins pour être érudit(e) ça se saurait), le prétendu intérêt littéraire du roman de Jade, la pseudo magie de sa rencontre amoureuse, etc., etc. Tout est plaqué, tout sonne creux et faux et un brin de name dropping à base d'Austen, Joyce ou Némirovsky n'a jamais suffit à prouver la culture et la profondeur (ça aussi ça se saurait).
Autre conséquence malheureuse de cette superficialité : le livre est dénué de la moindre analyse et les personnages sont totalement désincarnés, lisses, factices et on ne sait toujours quasiment rien de leur personnalité au bout de 400 pages. La encore le contraste est saisissant avec le roman de Michèle Lesbre dont une bribe suffit parfois à faire jaillir un contexte, à susciter la compréhension voire l'identification.
Sixièmement, c'est dégoulinant de bonsentimentude et, s'il y a bien une chose que j'ai retenu de Gide, c'est que "Les bons sentiments font la mauvaise littérature". J'adore cette phrase. C'est un de mes "repères et, j'avoue, c'est un truc que j'ai du mal à pardonner à un(e) auteur(e). Quand je lis un livre, je n'ai pas envie d'avoir l'impression d'être en visite au pays des bisounours, plongée dans une pub Kinder ou de regarder le JT de 13 heures sur TF1.
Je vous passe les détails concernant la kyrielle de clichés éculés qui ne sont qu'un corrélaire de ce qui précède pour me concentrer sur deux petits ou gros détails qui m'ont hérissé le poil dès les premières pages : d'abord ce surnom ridicule de Mamoune répété 20 fois par page qui exaspère vite et ensuite (et surtout) le fait que le point de départ du roman repose sur un postulat d'un sexisme apparemment inconscient et cependant manifeste.
Il est dit que suite au malaise de Jeanne, ses 3 méchantes filles (dont l'une est médecin), décident de la faire admettre dans une maison de retraite tandis que le gentil fils artiste refuse qu'un sort aussi injuste soit réservé à sa douce maman. Ben voyons. Il a beau jeu de jouer les sauveurs outragés le gentil fils vu qu'il s'est exilé depuis des lustres en Polynésie ! Bien facile à des milliers de kilomètres de distance de dire ce qu'il convient de décider ou non. Mais l'auteure fait l'économie de se demander où se situe le véritable égoïsme et pourquoi de nos jours encore on attend d'une femme qu'elle assume les vieux jours de ses parents alors qu'on ne l'attend pas d'un homme (voir les statistiques sur la question et sur l'éloignement géographique des adultes des 2 sexes par rapport à leur lieu de naissance). Il est clair que cet élément n'a pas contribué à me faire apprécier le livre et, hélas, c'est loin d'être le seul préjugé sexiste du livre.
La grand mère de Jade m'a plongée dans une léthargie tellement molle et passive que le livre ne m'est même pas tombé des mains. Cela dit, il fut pour moi l'occasion d'une grande première et c'est sans doute le seul aspect intéressant de notre rencontre : après avoir lu les 200 premières pages avec un ennui aussi entêté que profond, pour la toute première fois de ma vie, j'ai accepter de suivre les conseils bruxellois d'Yspaddaden : lire la fin (soupirs affligés... sans commentaires) et survoler plus qu'en diagonale la seconde partie du livre. J'ai donc décider de chercher les points d'interrogations dans l'espoir (naïf) qu'ils soient suivis de réponses apportant un minimum de fond.
Ben... non.
Quelques liens
Chez George : je partage totalement son avis en moins nuancé...
Leiloona a aimé et cite cet extrait :
"On peut passer sa vie à ne voir que l'écume sans jamais plonger dans les profondeurs qui président aux mouvements de la surface mais dans un vrai livre on n'a pas le choix. Il est d'une traite cette nage en surface, ces descentes dans les grands fonds, ombre et lumière en alternance et jusqu'à l'essoufflement."
Qui me ramène illico au 2e point de ma critique : ce qui est écrit ci-dessus est exactement le contraire de ce qu'on ressent à la lecture du roman. La grand mère de Jade n'est pas une plongée essoufflante dans les grands fonds mais un bain de pieds tiédasse dans une bassine.
Pour faire bonne mesure et montrer que mon avis tranché est loin d'être partagé, voici quelques liens vers des critiques élogieuses... Clarabel - Martine - Marie - Cuné - Laure - Anne - Michel
Conclusion
Combien d'arbres abattus pour la publication de ce livre ?