Dés les années 1980, plusieurs économistes mettent au point des méthodes d'estimation de valeur de la biodiversité. Il s'agit de déterminer la valeur économique des services rendus par les écosystèmes ou la valeur intrinsèque de la biodiversité en tant que bien public, afin de la rapporter aux indices préexistants tels que le PIB, la richesse d'un pays ou d'une région.
L'économiste indien Pavan Sukhdev vient de rendre les conclusions du projet TEEB, "The Economics of Ecosystems and Biodiversity", à ce sujet à Nagoya. Fervent partisan de la comptabilité verte, il a été chargé d'éclairer la communauté internationale sur les conséquences de l'érosion de la biodiversité sur l'économie mondiale.
En octobre 2006, le rapport de Nicholas Stern chiffrait, pour la première fois, le coût économique de l'autre visage de la crise écologique, le réchauffement climatique. Celui-ci avait été évalué à 5 500 milliards d'euros dans les vingt ans, soit une récession comparable à celle de la crise de 1929. Le rapport dirigé par Pavan Sukhdev préconise d'évaluer de la même façon les services que les écosystèmes rendent à l'homme et les pertes associées à leur dégradation.
Les chiffres de son rapport sont sans appel : la pollinisation des plantes par les insectes, essentielle à l'agriculture et donc à l'alimentation humaine, est estimée à 153 milliards d'euros, les services rendus par les coraux, qui abritent des milliers d'espèces, entre 21 et 123 milliards d'euros par an, l'actuelle érosion des biotopes terrestres (forêts, océans, sols etc.) coûterait elle entre 1 350 et 3 100 milliards d'euros chaque année.
Ces chiffres édifiants montrent combien l'érosion de la biodiversité et la disparition de certaines espèces essentielles pèsent et pèseront sur l'économie mondiale.
Pour Pavan Sukhdev, interviewé par un journaliste du Monde : " L'invisibilité du capital naturel contribue gravement à la dégradation des écosystèmes et à la perte de la biodiversité. " Malgré une opinion généralement favorable envers la biodiversité, la volonté de payer pour sa préservation reste très limitée. L'idée s'impose donc progressivement qu'un chiffrage des services rendus par Dame Nature permettrait d'ouvrir la voie au paiement des services environnementaux.
Certains pays envisagent déjà, sur le modèle du principe pollueur-payeur existant afin de diminuer les émissions de gaz à effets de serre, un paiement pour les services environnementaux. C'est le cas du Costa Rica, précurseur en la matière, mais aussi des Etats-Unis et de l'Australie. Dans une majorité d'États australiens, les autorités locales ont interdit la destruction de la végétation indigène au nom de leur valeur économique. En revanche, dans certains espaces non protégés où la pression immobilière est forte, les entreprises peuvent détruire cette végétation à condition de compenser ailleurs, par des investissements en faveur de la biodiversité équivalents au coût de cette destruction.
Toutefois, cette vision rationalisée de la biodiversité ne fait pas l'unanimité et peut faire craindre une " marchandisation " de la nature. On peut déplorer que seuls des arguments chiffrés permettent une prise de conscience alors que la nature possède une valeur intrinsèque qui n'est pas liée à son utilité pour l'homme. Les sceptiques craignent également que le paiement direct pour la biodiversité ne réinstalle une barrière entre protection de l'environnement et développement alors que les deux processus doivent être combinés.
La vision monétarisée de la biodiversité ne doit pas transformer les ressources naturelles en de quelconques objets financiers. Si elle doit faire l'objet d'un paiement (ou plutôt d'un remboursement) lorsqu'elle est détruite ou endommagée, elle ne doit pas faire l'objet d'une appropriation quelconque. La généralisation des mécanismes de compensation pour la biodiversité, loin de remettre en cause la stratégie de développement économique actuelle de certaines entreprises, pourrait au contraire la pérenniser... Ainsi, donner une valeur à la nature où chercher à estimer, en valeur monétaire quelle est sa contribution à l'économie, ne doit pas aboutir à la création d'un marché de la biodiversité.
Alicia Muñoz
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