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Prix Nobel, marché du travail et palmarès du bonheur

Publié le 27 octobre 2010 par Jblully

Comme chaque année, la Banque de Suède a décerné en octobre son prix d’économie « à la mémoire d’Alfred Nobel ».

Passons sur la controverse habituelle – mais aucunement indispensable – sur le fait que ce Nobel n’en serait pas tout à fait un, étant donné que le testament d’Alfred Nobel ne l’avait pas instauré.

Passons aussi sur le fait que le prix, instauré en 1969 seulement, n’a pas pu récompenser un certain nombre des grands talents du 20ème siècle.

Passons enfin sur le paradoxe qui voit récompenser trois économistes principalement pour leurs travaux – faisons très simple – sur le chômage « frictionnel » (à un moment donné, beaucoup d’offres d’emploi peuvent rester insatisfaites alors que le nombre des demandeurs d’emploi peut être important). C’est un fait que la proportion des phénomènes frictionnels dans le chômage total a beaucoup diminué depuis les débuts de la crise actuelle… Mais après tout, exiger d’un prix aussi éminent qu’il colle à l’actualité est sans doute trop demander – et du reste inopportun.

Plus important, et il y a de quoi rester perplexe : dans le concert de protestations qui a accompagné, comme souvent, l’attribution du prix, l’accusation a été maintes fois entendue selon laquelle MM. Diamond, Mortensen et Pissarides sont des économistes « orthodoxes », comme une majorité des prix Nobel d’économie. C’en est même devenu un poncif – parmi d’autres – de la critique du Nobel d’économie. Mais tout de même, qu’on y pense : les économistes, dans leur majorité, sont par définition « orthodoxes »! Il est donc statistiquement inévitable que soient récompensés davantage de prix Nobel orthodoxes. Sauf à imaginer, bien sûr, que les analyses les plus originales soient par principe préférées, quelle que soit leur utilité réelle …ce qui serait totalement contraire à l’intention d’Alfred Nobel.

Reformulons donc la critique : nos lauréats seraient des « néo-libéraux ». Mais le problème n’est pas résolu : l’étiquette n’est-elle pas réductrice ? Après tout, Keynes a, lui aussi, postulé des rigidités d’ajustement sur le marché du travail. Il est vrai qu’il postulait des rigidités à la baisse du salaire nominal – d’ailleurs souvent vérifiées, ce qui n’a rien d’anormal – alors que nos auteurs, allant plus loin, postulent des rigidités plus multiformes : sur les conditions de travail, le lieu de travail, les qualifications etc.  Plus généralement, peut-on reprocher à des économistes – Keynes ou d’autres – de chercher à affiner les logiques « standard » de leur profession en faisant entrer dans leur raisonnement des données factuelles tirées de l’expérience ? Voudrait-on que, loin des réalités, ils se nourrissent exclusivement d’équations périmées ?

Lorsque Peter Diamond fait observer que les allocations chômage permettent un meilleur ajustement de la demande et de l’offre d’emplois, en accordant davantage de temps aux salariés en recherche d’emploi, et que la qualité de l’appariement entre le salarié et son poste est un investissement utile, source de productivité, il fait une analyse logique, claire et  convaincante. Avec une conséquence concrète : on ne peut pas réduire à l’excès l’indemnisation du chômage sans perte économique pour la collectivité. A l’inverse, il est intuitif et confirmé par l’observation qu’une indemnisation généreuse dans un contexte de mobilité géographique faible ou de formation continue insuffisante favorise le chômage de longue durée.

Ah, mais voilà qui nous conduit tout droit à réfléchir au fameux « modèle » danois ! Il associe une très bonne indemnisation du chômage – les sommes consacrées au chômage sont proportionnellement beaucoup plus fortes qu’en France – et un taux de chômage inférieur à la moyenne. Il est vrai qu’au pays de la « flexisécurité », l’incitation est très forte à reprendre un emploi. Et que le dispositif a été mis en place en pleine concertation avec des syndicats de salariés puissants.

Il n’empêche : nous sommes là sur un terrain jugé très prometteur par l’Union Européenne. La Chambre de commerce et d’industrie de Paris reprenait d’ailleurs récemment cette recommandation dans le rapport de M. Karpeles sur une nouvelle croissance durable.

Mais la France peine à avancer suffisamment sur ce sujet. Rappelons l’un des principes majeurs recommandés au printemps par le rapport Morange sur la « flexisécurité à la française » (commission des affaires sociales) : mettre en place une véritable assurance professionnelle pour le salarié, notamment en développant la portabilité des droits. En bref, il s’agirait de construire un « filet de sécurité » pour accompagner une mobilité accrue des salariés – une évolution indispensable à nos systèmes économiques devenus hyper-concurrentiels.

Bien. Que toutes ces idées prospèrent et nous nous en porterons sans doute mieux.

Au fait, je ne sais toujours pas si nos nobélisés sont « orthodoxes » ou pas… Oui et non, sans doute.

Et puis, après tout, le prix Nobel d’économie mérite t-il tant d’attention ? Il y a eu beaucoup plus de prix Nobel d’économie aux Etats-Unis qu’en France (le seul Français, Maurice Allais, vient de nous quitter). La règle se confirme de nouveau cette année : deux américains sur trois lauréats. Et pourtant, la crise a sévi encore plus durement de l’autre côté de l’Atlantique…

Mais alors, qu’est-ce donc qui compte vraiment ? Non, vous ne trouvez pas ?

Voici la réponse : les Danois, selon toutes les enquêtes spécialisées, sont l’un des peuples les plus heureux de la planète (sans parler du Bhoutan !).

Même avec, somme toute, assez peu de prix Nobel…

P. Bouwyn

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