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Gilles n’est plus…

Publié le 27 octobre 2010 par Philippejandrok
Il est ici, trois heures du matin et en relevant mes mails j’apprends que mon vieux camarade de lycée Gilles D est décédé, j’ai eu un choc, tout d’abord je n’y ai pas cru, puis en lisant le courrier, j’ai commencé à être bouleversé et mes larmes ont coulé involontairement sur mes doigts. De grosses gouttes chargées d’une tristesse indescriptible, inattendue, imprévue.
Gilles était un être lunaire, tellement différent des autres et tellement inadapté, il l’était depuis toujours, déjà au lycée avec une tignasse à la Beethoven, une totale aversion des choses physiques, Gilles était un intellectuel brillant, littéraire, féru de culture musicale et artistique, Gilles était Gilles et je n’ai jamais rencontré un garçon aussi différent de la majorité environnante. Nous le voyions déjà lauréat du prix Goncourt ou musicologue brillant, il nous parlait de Dimitri Chostakovitch à 16 ans, et qui connaissait le musicien Russe à cet âge et qui le connait aujourd’hui à part les spécialistes ? Il me faisait découvrir la musique classique et des auteurs dont je n’avais jamais entendu parler, de mon côté je lui apprenais les rudiments de la photo qu’il aimait mais qu’il ne saisissait pas, Gilles était un être d’esprit, il aimait le dessin et il avait développé son style que je n’aimais pas, mais ce n’était pas à moi de juger, il avait sa particularité et elle était louable. Il écrivait également, Gilles avait de nombreux talents, il était parti au Sri Lanka pour enseigner le Français aux Bengalis, mais il était hypersensible et un jour il a pété un plomb, et ce dysfonctionnement psychiatrique ne l’a plus jamais quitté. À force, Gilles est devenu invalide, bourré de médicaments divers, suivi par des psychiatres en permanence il devait, il rêvait de s’en sortir, mais il était prisonnier d’une spirale impossible.
Il me téléphonait une fois par semaine, ou par mois, il ne voulait pas m’importuner, souvent je le rassurais, du moins j’essayais, mais Gilles ne pouvait plus entendre, drogué, par tant de médicaments pour contrôler son tempérament qui pouvait brutalement et d’un seul coup exploser, il vivait plus dans un monde que dans un autre. Il était parfois très dur, et même désagréable, il pouvait dire des choses horribles sans le moindre tact, sans se rendre compte combien il faisait mal, un jour je le lui avais dit et je m’étais fâché avec lui, mais un moment seulement, comment lui en vouloir, il souffrait tellement.
J’avoue que parfois il me faisait peur, car je le savais incontrôlable et je crois qu’il se faisait peur également, c’est pourquoi il espaçait ses appels.
Gilles était dangereux pour lui et pour les autres, alors, il vivait seul, isolé, rencontrant souvent ses médecins et rarement ses amis. Il avait gardé contact avec notre camarade François W, avec lequel ils étaient inséparables durant nos années de Lycée, mais François était parti enseigner en Allemagne, et puis marié, deux enfants, les copains de lycée étaient désormais des adultes avec des obligations d’adultes, et à nouveau, Gilles vivait péniblement sa solitude, il avait tellement besoin de parler, de communiquer, de partager ses idées, ses passions, ses désirs...
J’étais de mon côté très occupé, mes devoirs familiaux mes recherches, l’agence de communication, les cours à la Fac, les écris, les recherches plastiques, enfin, une quantité de choses différentes à gérer, je ne pouvais pas m’occuper de Gilles qui s’ennuyait, qui ne parvenait pas à se concentrer à cause des médicaments qui le rendaient docile, alors qu’en lui brûlait un foyer constant. Mon pauvre ami était bien seul mais il se battait, il rêvait de rencontrer l’âme sœur, mais dans son état il faisait peur et trouver une jeune fille qui puisse le comprendre et accepter son handicap relevait de l’exploit. Je ne cessais de lui dire :
- Seule une femme mure, une femme d’expérience pourrait te comprendre.
Mais il avait fait une fixation sur une idée bien précise, qui ne pouvait malheureusement pas fonctionner.
Nous en parlions de longues, très longues minutes, j’ignore si ce que lui disais l’aidait, je crois que le simple fait de pouvoir échanger lui faisait du bien, il parlait librement avec un ami qui n’était pas un praticien hospitalier et ça au moins ça lui changeait de l’ordinaire. Il aimait toujours autant la musique, l’art et les échecs et il vivait dans le rêve de retourner là-bas, dans son paradis des tropiques, il ne pouvait voyager seul et personne ne souhaitait vraiment l’accompagner, d’ailleurs il ne le souhaitait pas vraiment, enfin, je crois qu’il aurait aimé que je l’accompagne, mais je ne le pouvais pas, car il aurait fallu s’occuper de lui comme d’un enfant, lui qui savait tant de choses était perdu comme un chiot dans cette société qui lui échappait.
Ses parents sont toujours restés proches de lui, malgré les conflits qui touchent tous les enfants et leurs parents, au moins, il se savait aimé et entouré, et c’était très important.
Ce soir, cette nouvelle me bouleverse, car quand on perd un ami, c’est un peu de soi qui s’en va avec lui, c’est un peu de son passé, de son adolescence qui disparaît à jamais. J’espère que là où il est il a enfin trouvé la paix et qu’il est entouré de musique, de beauté, et de jolies balinaises, comme il en a tant rêvé.
- Tu vois mon vieux, en écrivant ces quelques lignes, je pleure en écoutant le Stabat Mater d’Alessandro Scarlatti en pensant à toi, toi, tu aimais des musiques complexes, quasi mathématiques et ma sensibilité me porte et m’a toujours porté vers le Baroque, tu étais dans la logique structurée et moi dans l’ellipse et pourtant nous partageons le même amour pour la beauté. J’irais prier pour toi demain dans un temple Bouddhiste et je porterais des fleurs et des bâtons d’encens pour honorer ton souvenir et dire qui tu étais et comment tu as vécu.
On nous parle toujours du décès de personne connues, comme dernièrement celui de la chanteuse Joan Sutherland, qui était certes une grande dame, mais moi j’ai voulu vous parler de celui de mon ami Gilles, qui n’était pas connu du grand public, mais plutôt des hôpitaux, il n’a jamais eu d’article dans le journal, on n’a jamais parlé de lui, mais lui et ses parents on fait plus pour le développement de la musique classique par amour dans leur petit village de Wangen en Alsace, que d’autres qui insistent pour laisser des traces en se faisant remarquer et qui, dans le fond, ne sont que peu de choses.
Alors, si en lisant ces quelques lignes vous avez une pensée pour mon ami Gilles, soyez certains qu’il en serait très heureux, ainsi que sa famille.
Aujourd’hui et bien, non, nous ne vivons pas une époque formidable, pardonnez-moi, mais je suis las et bien malheureux car une étoile s’est éteinte dans le ciel.
Un jour, je vous parlerais de mon Oncle Dimitri qui nous a quitté dernièrement et qui était un homme exceptionnel et dont aucun journal n’a jamais parlé, et pourtant…

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