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À l’ouest rien de nouveau

Publié le 22 octobre 2010 par Tnlavie


Serment du Jeu de Paume

C’est une triste journée pour la France.

La colère cristallisée par la réforme des retraites se comprend seulement si l’on perçoit les deux niveaux de lecture de ce mouvement spontané et salutaire du peuple. Et le cynisme consommé avec lequel vient d’être traité ce dossier en utilisant le recours au règlement et les arguments techniques de forme au Sénat pour spolier la haute assemblée d’un débat nécessaire entérine la justesse d’analyse du peuple, une justesse qui vient du coeur.

Procédure d’urgence, vote accéléré, scrutin public, vote bloqué sous l’impulsion d’un conseiller de notre monarque, Claude Guéant(amalgame dans un même paquet soumis au vote des amendements de la majorité et de l’opposition, ce qui paralyse le processus d’amendement)…

Certains sénateurs se sont montrés grands et dignes aujourd’hui, d’autres ne méritent pas la confiance du peuple.

Non, nous ne sommes plus en démocratie. Oui, une oligarchie de dangereux incompétents se croit suffisamment intouchable pour violer la France en toute impunité. Le bien commun a été confisqué par une minorité consanguine, qui au croisement des mondes politiques, médiatiques et financiers se rêve au dessus du peuple, plus compétente, plus clairvoyante, plus à même de décider de son avenir et l’amener là où, sans doute, il n’aimerait pas aller.

Les casseurs ne sont pas seulement dans la rue. Ils sont dans les salons feutrés, sous les ors de la république qu’ils galvaudent.

Parlons de ce qui se passe en France. Parti pris.

Oui, dans le fond, le système de retraite par répartition doit être repensé afin d’intégrer l’évolution démographique. Il est vrai que la population d’actif d’aujourd’hui, dans le système actuel, n’a pas la capacité de financer seule les retraites dorées de la génération des trente piteuses. Cette génération aujourd’hui au pouvoir qui va prendre sa retraite, qui s’est bien gardée de faire des enfants pour pouvoir jouir comme elle le souhaitait en 68, avant de retourner sa veste et se mettre à adorer le veau d’or. Jouissons sans entraves, et les enfants en sont de grandes.

C’est vrai. De même qu’il existe d’autres solutions dont on ne parle pas (la taxation des revenus du capital), et que l’on ne peut dissocier le problème des retraites de celui de l’emploi dans une population ou plus de 10% des travailleurs sont au chômage, où le chômage des jeunes est le plus élevé d’Europe, et où 30% de la classe active est objectivé comme étant dans une situation de mal-être au travail.

Mais si les Français n’avaient appréhendé la réforme des retraites que sur cet unique niveau de lecture, technique, focalisé sur le problème singulier que sont les retraites, jamais la contestation n’aurait pris une telle ampleur. Les jeunes, qui n’ont aucun intérêt à payer plus pour leurs aînés qui leur laissent en outre un monde financiarisé à outrance et déshumanisé à l’extrême ne seraient jamais descendus dans la rue.

Le second plan, celui sur lequel le peuple s’est approprié le mouvement, contrairement au gouvernement qui avait parié sur la compréhension par les Français d’un unique niveau, est celui des fondements mêmes de la démocratie.

À force de briser tous les étayages d’une société juste et paisible, de fracturer la solidarité nationale, de déchirer le tissu social, de démanteler chacune des pierres du temple érigé par le conseil national de la résistance au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le pouvoir en place dévoile son vrai visage.

Et ce visage n’a pas le carmin d’une république vivante, pas plus qu’il n’en a le bleu de l’espoir d’une société solidaire qui s’entraide pour améliorer son sort: il a la couleur cendreuse et maladive de l’argent mal acquis et de l’avidité.

Warren Buffet, le milliardaire américain, dévoilait en mai 2005 sur CNN le programme des classes politiques néolibérales mondiales, converties à cette nouvelle religion par l’appât du gain. Ce programme est simple: « Il y a une guerre des classes, c’est un fait, mais c’est ma classe, la classe des riches, qui mène cette guerre, et nous sommes en train de la gagner. »

Pour être exact, c’est l’oligarchie des « super riches » qui est en train de mener et gagner la guerre. Les autres, qu’ils soient ouvriers, artisans, cadres supérieurs, avocats salariés dans des cabinets gigantesques ou médecins bientôt salariés de cliniques détenues par des fonds d’investissement, tous ceux-là sont dans le même bateau: ils souffrent et souffriront. Les néolibéraux, eux, écrivent les lois, décident de l’avenir des nations.

Sisyphe
Ils veulent de la flexibilité, de l’insécurité, ils veulent des salariés Kleenex, qui les remercient quand ils les jettent: des esclaves à usage unique. Des suicides chez France Télécom ou dans d’autres structures sous tension? Ils ont la réponse: faire passer un cavalier législatif dans la réforme des retraites pour asservir les médecins du travail qui pourraient encore aider les salariés. Il ne faudrait surtout pas qu’ils relèvent la tête. Un salarié écrasé par son travail de perdu, dix de retrouvés. Ils savent créer une foule d’obligés autour d’eux qui en obligent d’autre et tablent sur l’individualisme et l’asservissement pour asseoir leur domination.

Et les exemples sont nombreux de la politique réelle qui est menée, derrière le vernis marketing des stratégies de communication, de l’affaire Bettencourt aux conflits d’intérêts en passant par les frasques des ministres et aux abus en tous genre: jets privés, facture de cigare mirobolante, campagne de santé publique inutile au coût astronomique, etc.

Mais le peuple est loin d’être aussi aveugle que certains en sont venus à le penser. Il a su lire entre les lignes du séduisant discours partisan qui lui est distillé au gré d’un calendrier médiatique rythmé par le chef de l’état. Il a repris le contrôle de son avenir, il est entré en dissidence, il s’est réapproprié son temps et sa démocratie: le pouvoir du peuple. On peut se raccrocher à l’organisation, la hiérarchie, à la lénifiante échelle du pouvoir: ce que le peuple veut, Dieu le veut. Le coeur de la France ne bat pas à l’Élysée, pas plus qu’à Neuilly, il bat dans les écoles, il bat dans les usines, il bat dans nos campagnes, il bat dans la rue. Et avec la contestation actuelle qui dénonce les richesses dilapidées, les inégalités accrues, le chômage qui s’accroit, une société que ses dirigeants cherchent à opposer, l’inquiétude du peuple, les délocalisations, la désindustrialisation, la privatisation des services publics, la braderie du patrimoine de l’état, la mainmise de l’OMC sur la politique mondiale, l’abdication de la souveraineté Française… le coeur de la France raisonne en chacun des nôtres.

La démocratie s’écrit en ce moment sur la page de la rue insoumise, ce mouvement n’est plus une contestation, c’est un referendum vivant.

Il en a été des retraites comme de chacune des réformes depuis le début de ce quinquennat. Les décisions injustes étaient déjà prises avant même que le projet ne soit rendu public. La principale était la privatisation. Cela a été également le cas pour la réforme de la santé, de la justice, de l’éducation… Le gouvernement a vaguement convoqué les syndicats, les a écoutés, n’en a rien retenu, pour finalement proclamer que la négociation avait eu lieu, que le projet était juste, équilibré, réaliste, alors même qu’il était férocement injuste, totalement déséquilibré, désespérément incantatoire.

Cette réforme veut ignorer la philosophie du « droit naturel » qui, depuis le XVIIIe, a galvanisé l’espérance démocratique et sociale : cette idée que l’homme a naturellement des droits, tout simplement parce qu’il est homme et que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Des droits donc, droit au travail, droit à la santé, droit à l’éducation, droit au repos, droit au logement, droit à la libre circulation, droit d’expression et d’opinion… Des droits naturels, et certainement pas des droits conditionnels, soumis au bon vouloir d’une quelconque caste.

Dans la diversité de ses situations, le peuple qui se met en mouvement a compris cet enjeu. La protestation actuelle est vaste et profonde, venue de tous les secteurs mutilés par les dégâts des régressions sociales en cours : non seulement la santé, mais aussi l’éducation, la justice, l’habitat, les territoires, les services publics, le transport, les équipements collectifs, etc. Partout, les revendications enflent, nourries par des conditions de travail dégradées chaque jour. Partout, des colères intérieures menacent de s’exprimer. Partout, des humiliations accumulées approchent de leur revanche.

La France a su être grande dans l’histoire, et son peuple lutter pour sa liberté. L’usurpation de titres, d’avantages, la spoliation de son avenir au peuple, de son sang et de sa sueur, l’instauration durable de nouveaux privilèges sont la signature d’une classe politique de droite comme de gauche qui constitue une nouvelle oligarchie de l’avoir, du paraître, de la possession et du pouvoir.

L’histoire est pleine d’exemples comme celui-là, et l’Histoire nous montre également son dénouement: la nuit du 4 août. Cette fameuse nuit de 1789 qui inquiète tellement nos dirigeants qu’elle en devient un lapsus qui se glisse insidieusement dans leurs discours.

C’est une triste journée pour la France, mais c’est aussi un immense espoir pour la France, car si l’état a affirmé aujourd’hui sa légitimité sur les lois, le peuple dans le même temps a affirmé sa légitimité sur la démocratie.

Nous savons tous ce qu’il nous reste à faire.


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