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Libéralisation du marché de l’énergie en France, une incohérence de plus?

Publié le 21 août 2010 par Tnlavie


Libéralisation du marché de l’énergie en France, une incohérence de plus?

Tout comme d’autres secteurs réglementés, depuis 10 ans, la France peine à libéraliser son marché de l’énergie. Une énième loi va tenter à la rentrée de saboter le monopole d’EDF, sous la pression de Bruxelles et des fournisseurs alternatifs autorisés à la concurrencer.

Cela aura pu vous échapper pendant vos congés mais comme tous les 15 aout, les tarifs réglementés de l’électricité ont de nouveau augmenté. Bien au dessus de l’inflation. De 3% cette année. Justifié par le groupe pour l’entretien de son parc nucléaire et l’investissement dans des parcs hydrauliques. 

Accrochons nous car d’ici 5 ans, les prix pourraient même s’envoler et atteindre jusqu’à 25% de hausse!

Pourtant, le marché de l’énergie s’est ouvert à la concurrence il y a plus de 3 ans. En toute logique, l’arrivée de Poweo ou de Direct Energie aurait dû tirer les prix vers le bas.

Cela n’a pas été le cas pour plusieurs raisons. D’abord parce que les prix de l’électricité en France sont déjà très bas : après la Finlande, la France est en effet le deuxième pays de l’Union où l’électricité est la moins chère. Le parc nucléaire, dans lequel la France a énormément investi, lui permet en effet de produire de l’électricité à très bas prix. Les 58 centrales françaises produisent près de 80% de l’électricité consommée dans le pays et 95% des foyers de particuliers français. Elles sont toutes exploitées par EDF, ancien monopole public, et encore détenu par l’Etat à 85%. EDF établit ses tarifs réglementés avec le gouvernement, et parvient à les maintenir en dessous des prix du marché européen.

En revanche, les nouveaux fournisseurs sont obligés d’acheter leur énergie sur le marché européen et ne peuvent pas par conséquent s’aligner sur les tarifs d’EDF. Néanmoins, certains fournisseurs commencent à produire une partie de l’énergie qu’ils commercialisent, comme Poweo, qui dispose d’une centrale thermique. Ce mode de production reste cependant beaucoup plus couteux que le nucléaire.

Moins cher, EDF conserve donc une situation que l’on pourrait qualifier de quasi-monopolistique. En effet, seulement 5% des foyers français ont cédé aux sirènes de la concurrence en signant chez ces opérateurs alternatifs.

Un eldorado pour la concurrence?

Lorsque les fondateurs de Direct Energie créent en 2003 leur entreprise, ils imaginent avoir trouvé l’idée du siècle. S’engouffrer sur le marché de l’électricité, au moment même de sa libéralisation, quel eldorado ! Ils pensaient alors séduire au moins 1 million de clients en 3 ans. Aujourd’hui, ils n’ont réussi à convaincre que 500 000 abonnés, leurs pertes se comptent en plusieurs dizaines de millions d’euros et ils viennent de diviser par deux leurs équipes commerciales (et font dorénavant appel à des petites sociétés pour « rabattre le client », vous promettant de gagner des sommes « indécentes », jusqu’à 6000 euros si vous devenez un chasseur de contrat hors pair…).  

Poweo n’a pas fait mieux. En 2009, il accusait près de 100 millions d’euros de perte. « Depuis sept ans, c’est le cauchemar », déclare le fondateur de Poweo qui a cédé juste à temps quasiment toutes ses parts l’an dernier. A la veille de l’ouverture des débats parlementaires le 8 juin dernier sur la loi NOME (nouvelle organisation du marché électrique) le cofondateur de Direct Energie, Xavier Caïtucoli ne mâche pas ses mots  « aujourd’hui, la concurrence est à l’arrêt, on perd trop d’argent ».

La loi NOME examinée à la rentrée

Cette « fausse concurrence » a bien entendu le don d’énerver la Commission européenne, qui critique depuis plusieurs années les tarifs réglementés mis en place par la France et fait pression sur elle. La faute à l’exception énergétique française, où la prépondérance du nucléaire ne permet pas aux nouveaux entrants de concurrencer EDF sur le secteur de la production.

Si bien qu’à la rentrée, le Parlement examinera un nouveau  projet de loi, la loi NOME (nouvelle organisation du marché électrique) qui pourrait obliger EDF à vendre à la concurrence, à prix préférentiel, 25% de sa production nucléaire.

Si l’on omet de considérer comme tout à fait anachronique pour une entreprise de subventionner ses concurrents en vendant sa production au dessous de son prix de revient, au risque qu’EDF n’y survive pas, l’application de cette loi aurait pour conséquence directe d’amener EDF à compenser ce manque à gagner par une augmentation de ses tarifs plus rapides : ainsi, en 2011, si la loi NOME était ratifiée, les tarifs d’EDF pourraient grimper de 7% à 11%, pour un total de 20% sur 3 ans, selon la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Cette augmentation porterait principalement  sur le tarif des heures pleines « afin d’encourager la consommation d’énergie la plus vertueuse ».

Bienheureux les français insomniaques, l’électroménager programmable va faire fureur, un concert de rotation de tambour essoreur va hanter vos nuits…

;-)

Le gouvernement français est donc une nouvelle fois pris  au piège : entre Bruxelles lui imposant la dérégulation et l’impérieuse nécessité de protéger le monopole d’EDF, vital pour l’indépendance énergétique de la France, sans compter le futur et juste courroux du consommateur-électeur, qui verrait d’un fort mauvais œil les tarifs s’envoler à l’approche de 2012…

Mais n’est ce pas le principe fondateur de libre concurrence qui est surtout mis à mal ? Une équation somme toute simple puisque la seule justification pour accroitre la concurrence sur un marché économique est de faire baisser les prix pour les consommateurs…qui dans ce cas précis (mais nul doute que nous pourrions trouver d’autres exemples) va voir sa facture drastiquement augmenter, et ce quelque soit le fournisseur choisi.

Plus singulièrement, nos impôts ont contribué à financer le développement du parc nucléaire français, et EDF devrait à présent vendre à bas prix des kWh à des opérateurs privés européens (rappelons que devant la déconfiture, le PDG de Poweo a préféré revendre son entreprise à une société autrichienne…) qui n’ont le seul mérite que d’arriver sur un marché de l’énergie libéralisé.

Les atermoiements de la France ont fini par vraiment agacer Bruxelles, qui a lancé plusieurs procédures à son encontre, assorties comme d’habitude de milliards d’euros d’amendes potentielles si la France ne s’appliquait pas à correctement transposer la dite directive européenne.

« La France a un problème avec l’ouverture de son marché de l’énergie », résumait en février dernier, Wulf Bernotat, ex président du directoire de l’allemand E.ON, qui avait, lui aussi des vues sur l’Hexagone. Contrairement à la Grande Bretagne, l’Allemagne ou l’Italie, pays ayant aboli les monopoles historiques, la France a préféré conserver un seul acteur dominant. Un choix qui n’avait pas à l’époque effrayé les fournisseurs alternatifs qui achetaient leur kWh sur Powernext, la bourse de l’électricité. La situation s’est dégradée lorsque les cours de l’énergie ont grimpé vertigineusement, suivant ceux du pétrole. Afin que ces opérateurs puissent conserver leurs nouveaux clients, l’Etat français a du inventer en catastrophe le Tartam (le tarif réglementé transitoire d’ajustement du marché) afin de pouvoir refaire bénéficier provisoirement aux audacieux ayant quitté EDF du tarif réglementé (la différence étant payé par l’Etat français, qui ne brille déjà pas par son excédent budgétaire…).

Ou comment libéraliser en étatisant, ce conflit en est une nouvelle illustration : les bénéfices sont privatisés, les pertes sont au contraire supportées par la collectivité toute entière.

La question de fond reste et c’est toute l’absurdité de l’Europe, en permanence instrumentalisée par les multinationales : à quoi cela sert il de susciter une concurrence lorsqu’un pays affiche déjà le taux le plus bas de vente de l’unité énergétique en Europe ? La France ne pouvant produire pour l’Europe entière, ces opérateurs devraient en toute logique s’attacher à développer l’offre énergétique plutôt que de chercher à la commercialiser, d’autant qu’EDF assure déjà les deux services pour ses abonnés…

 Banquer des bénéfices, en se contentant de pénétrer des marchés en voie de libéralisation et sans rien produire d’utile pour les consommateurs. A l’image des investisseurs lorgnant de plus en plus sur le secteur de la santé…

Un mal qui ronge de plus en plus notre société moderne.


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