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Le web documentaire invente l’écriture de l’intimité

Publié le 28 octobre 2010 par Eric Camel @AgenceAngie

Entretien avec Cécile Cros, co-fondatrice de Narrative avec Laurence Bagot.

Cécile Cros par Artus
©Artus de Lavilléon (représenté par Nicolas Lévy / Le Joker)

Qu’apporte de nouveau le web documentaire ou documentaire multimédia, terme que vous préférez pour ce nouveau genre ?

Le mariage de l’audiovisuel et de l’interactivité c’est une opportunité extraordinaire pour raconter des histoires de manière plus riche, plus émouvante, plus intéressante. Nous avons aujourd’hui pratiquement tous un ordinateur qui nous est personnel, à la différence du téléviseur qui est un objet familial. Quand vous êtes devant l’écran de votre ordinateur, vous en êtes physiquement très proche et généralement seul. Cela crée une relation directe et un sentiment d’échange avec la personne qui semble s’adresser à vous comme dans une conversation privée. Si vous êtes devant un écran multimédia dans un lieu public, l’usage d’un casque va reproduire le même sentiment d’intimité.

Cela change la manière de filmer et le mode d’écriture?

Pour des interviews, on utilise généralement des cadres rapprochés et plutôt fixes, qui privilégient le « regard caméra », qui renforcent l’effet proximité et le sentiment d’intimité. Quand une personne vous parle, elle va vous regarder directement, à la différence du reportage télévisé où le regard est généralement tourné vers la personne qui interroge et où le discours généraliste s’adresse au plus grand nombre. Cela milite pour un récit à la première personne. Le son aussi est très important car il permet de rattraper l’attention de l’internaute qui s’échappe. Chez Narrative, on mixe aussi de plus en plus séquences vidéo et images fixes. La fonction de la vidéo est de mettre dans l’ambiance d’un lieu, d’une rencontre. Mais on raconte une histoire beaucoup plus vite avec des images fixes. Passer d’une séquence en mouvement à quelque chose qui s’arrête, à une image qui permet de plonger dans un univers et de tenter de saisir en quelques secondes toute  la complexité d’une situation, c’est un  moment extraordinaire. Une seule photographie transporte beaucoup d’information et d’émotion. Et ce media met très bien cela en valeur, même quand la photo n’est, pour un professionnel, pas extraordinaire. Nous travaillons beaucoup avec des photographes car nous voulons faire venir sur tous ces nouveaux medias des auteurs qui interprètent le réel.

Le documentaire multimédia c’est aussi l’interactivité…

C’est l’autre grande différence avec l’audiovisuel traditionnel, où on vous raconte les choses d’une manière assez linéaire à un rythme qui vous est imposé. L’interface autorise de nouvelles formes de récits. Par exemple, le « splitscreen », où l’écran est coupé en deux, permet d’accéder à deux réalités qui sont à priori séparées. Vous pouvez entrer par un personnage ou par un autre. Vous êtes dans une démarche active, vous pouvez choisir entre plusieurs chemins dans la narration ainsi que le rythme auquel vous aller naviguer, vous pouvez réagir sur cette narration : je peux l’interrompre, la reprendre mais aussi ne rien faire. Pour l’auteur du documentaire, le fait de pouvoir penser une histoire avec cette liberté élargit le champ des possibles en termes d’interprétations du réel. L’interface va aussi accueillir l’internaute sur son écran, « accueillir l’homme face à la machine », idéalement, dans son individualité : quand je reviens, on va ainsi me reconnaître, mon parcours se crée en fonction de mes choix précédents, on anticipe l’information dont je vais avoir besoin.

Vidéos, photos, sons, textes, cartes.. mais aussi réactions des internautes, l’interactivité de ce media semble sans limites?

C’est un media où beaucoup de choses sont possibles, avec au fond assez peu de contraintes mis à part celles du temps et de l’argent. C’est génial pour les esprits créatifs, c’est fabuleux mais en même temps épuisant. Chacun a sa représentation, parfois très fantasmée, de ce nouveau media. On est encore dans le temps des défricheurs, un temps où tout s’invente et où il serait bien difficile de fixer des règles. Ce qui était vrai il y a six mois ne l’est plus aujourd’hui. Je me méfie cependant pour l’instant des interfaces trop complexes. On n’est pas obligé de déployer tout l’arsenal de l’interactivité et du participatif. Un des pièges serait de se laisser complètement happer par l’interface et d’oublier le fond de ce que l’on veut raconter.

Découvrez le web docu Portraits d'un Nouveau Monde, co-production Narrative / France Télévisions

Cet article est extrait du dernier numéro du Média, le magazine de l'agence Angie, disponible sur simple demande ([email protected]).

Texte : Jean-Léon Vandoorne


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