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Quand le sexe (s’) embête

Publié le 28 octobre 2010 par Les Lettres Françaises

Quand le sexe (s’) embête

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Les homos qui veulent et revendiquent le mariage à tout prix, comme symbole d’émancipation et de reconnaissance sociale confondent tout. Les enjeux que le mariage gay, le pacs, l’union civile mettent au jour sont doublement paradoxaux. D’une part, ils révèlent une curieuse volonté de ramener l’État dans la chambre à coucher, une ironie étant donné que le but des premières luttes pour les droits des gays a été justement de sortir l’État de la chambre à coucher ; pensons ici aux lois antisodomies par exemple.

D’autre part, ils renforcent une culture publique et politique dans laquelle la majorité des citoyens ainsi que ses représentants croient encore que le salut passe par la confession publique d’une vie vertueuse. Hors de tout doute raisonnable. Le projet de société que l’on dit un projet familial ou de couple devient ainsi une manière d’être et de vivre qui, loin de s’opposer aux configurations hétéros traditionnelles au contraire, les réénergisent d’une façon dangereusement et extraordinairement efficace. En d’autres termes, ce n’est pas parce qu’on introduit la donne « homo » qu’on change une institution et c’est pourquoi il faut dénoncer la généralisation d’une économie de citoyens ordinaires que renforce le mariage gay. Ce qui fascine dans le débat actuel sur le mariage gay, l’homoparentalité et aux autres droits familiaux, c’est le niveau d’énergie dépensée par nombre de groupes et lobby queer pour convaincre la planète et les politiciens que les queers caressent des aspirations somme toute bien modestes : former des couples normaux, avec des enfants normaux et se fondre dans un système de parenté bétonné depuis des siècles. Tout le discours sur la différence, si-important dans les années soixante-dix et quatre-vingt, se retrouve maintenant escamoté pour faire place au discours du même. Ce qui me trouble profondément ici, c’est que jamais personne ne semble questionner cette idéologie, voire cette économie du même. Passe encore que la stratégie du même soit le bouclier de l’État et de la nation contre les invasions barbares, pardon bestiaires, mais là où les choses se compliquent, c’est lorsque ce sont les « queers » eux-mêmes qui mettent en œuvre des stratégies de contrôle destinées à discipliner, ou devrais-je dire dompter ses éléments les plus sauvages pour permettre à une certaine classe d’augmenter sa cote sur le marché boursier des droits et de la citoyenneté.

Quand le sexe (s’) embête

Tom de Pékin

Avez-vous remarqué que chaque fois que des queers pro-mariage parlent de leur désir d’union reconnue c’est pour mieux dénoncer les « excès » des queers qui refusent la monogamie, le couple traditionnel, l’hétéro normativité de la sexualité et des relations intimes, voire même dans certains cas un rapport au corps, qui n’est pas dans la logique binaire des genres ? Si les Gay Pride, rave queers, etc. fusent encore de part et d’autre, c’est d’abord et avant tout parce que ces grands rassemblements sont perçus par la gente « straight » et gentil gay comme des zoos, des parcs humains queers qui se déploient dans un contexte sous haute surveillance et toujours dans des limites spatiales et temporelles bien définies. On ne parade pas tous les jours, mais on se marie pour toujours. En fait, et cela m’amène maintenant à mon deuxième point, soit l’idée que le mariage des queer s’arrime parfaitement à une logique nationaliste qui carbure aux liens de sang (le mariage gay et l’homoparentalité révèlent au législateur comment la filiation queer fonctionne) et aux clivages ethniques. Je vois dans le mariage gay un passeport pour un modèle de citoyenneté qui perpétue un système d’alliances fondé sur l’autocontrôle (« self monitoring ») et l’exclusion ; et je serais presque tentée de dire «délation» des éléments indésirables. Ce n’est pas un hasard si parmi les pays occidentaux qui ont adopté des dispositions juridiques favorables vis-à-vis les couples de même sexe et familles gaies (France, Belgique, Danemark, Allemagne, les Pays-Bas, le Canada, l’Australie, et les États-Unis), ils ont dans un même souffle renforcé leur politique d’immigration et de droit d’entrée dans leur pays. Car la nation est d’abord et avant tout un espace domestique, aux frontières fermes.

Les couples gays liés par l’union civile, le pacs, voire le mariage, ne le savent que trop peu, eux dont le mariage n’est valide que sur le terrain national. En ce sens, il faut réfléchir davantage sur l’idée que les droits des gays et lesbiennes sont aussi des droits « nationaux ». Le double – geste- de l’État envers les queer et réciproquement des queer qui veulent la reconnaissance étatique de leur « homonormativité » à tout prix s’inscrit dans cet idéal de conformité qui consiste à publiciser la famille et ses liens – naturels au tissu social, et cela, au nom du sacro- saint bien-être national et de la sécurité nationale. Il faut donc dans un avenir rapproché se pencher sérieusement sur les rapports entre droits des gays et lesbiennes et le nationalisme.

Comme le remarque si judicieusement Laurent Berlant, une historienne queer américaine, ce qui fait carburer nos démocraties en voie d’extinction et toujours vulnérables aux vagues migratoires, c’est l’intense croyance que la citoyenneté, celle-là même qui engendre des communautés de sang, est un droit privé, un privilège réservé exclusivement aux membres de la famille, voire aux membres invités d’honneur à la noce. Ainsi, les alliances entre le citoyen queer et la nation ne se matérialisent pas tant sous le couvert de liens de sang, que de boucliers de sang, formes d’écrans humains et institutionnels qui ne laissent filtrer aucune forme d’expression ou d’action susceptible de troubler l’ordre social hétéronormatif. Dans une économie des droits ou la loi du plus offrant établit la valeur d’une requête d’égalité, il importe de revoir comment les revendications des gays et lesbiennes pour 1′ « égalité » à tout prix (c’est-à-dire le mariage, SVP) peuvent aussi participer d’un modèle de citoyenneté à deux vitesses. Un projet qui va non seulement profondément à rencontre de la tradition critique queer, mais qui dans le contexte actuel signifie l’abêtissement des politiques sexuelles et la création d’un zoo national d’animaux domestiques.

Chantal Nadeau ; Université Concordia de Montréal



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