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Affaire Bettencourt : un contrat d’assurance-vie un peu trop «béton» ?

Publié le 29 octobre 2010 par Kamizole

Nous restons ici dans le cadre de l’affaire Bettencourt proprement dire, à savoir la plainte de Françoise Bettencourt-Meyers contre François-Marie Banier pour «abus de faiblesse» dans le cadre du supplément d’enquête diligenté – jusqu’à présent – par Isabelle Prévost-Desprez au Tribunal de grande instance de Nanterre. Ceux qui s’opposent au dessaisissement de la magistrate ont bien raison de le souligner, tel Christophe Régnard, président de l’Union syndicale des magistrats (USM, modérée) dans une interview recueillie par François Koch pour Le Point le 22 octobre 2010 Isabelle Prévost-Desprez est visée car son enquête avance”. J’y reviendrais.

C’est à nouveau Le Point qui nous livre cette information sur des éléments pour le moins curieux ayant entouré la cession d’un contrat d’assurance-vie – d’un montant rien moins que négligeable - à François-Marie Banier EXCLU-SIF - AFFAIRE BANIER-BETTENCOURT - La lettre qui valait 262 millions d’euros (27 oct. 2010) Tiens ! Hervé Gattegno a retrouvé son ordinateur

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Le changement de bénéficiaire en faveur de Banier – jusqu’alors il était stipulé dans ce contrat souscrit auprès de la société Arcalis, filiale du groupe Allianz que les fonds seraient attribués à son décès selon des instructions laissées à son notaire – a eu lieu (par simple lettre) le 14 septembre 2006. Or, il n’est pas du tout certain que Liliane Bettencourt ait eu pleinement conscience de la portée financière de ce qu’elle signait.

En effet, elle était en convalescence, ayant été hospitalisée 4 jours début septembre à la suite de malaises et d’absences et «Toutes les personnes entendues dans le cadre de cette enquête ont constaté qu’elle se trouvait alors dans un état physique délicat, caractérisé par une désorientation spatio-temporelle, des pertes de mémoire, un état confus et des troubles du comportement» selon un rapport de synthèse établi par les policiers en 2008.

L’on remarque que ce changement de bénéficiaire a eu lieu dans une certaine précipitation, au cours d’un déjeuner. Banier aurait-il voulu profiter de l’état de faiblesse de Liliane Bettencourt ? Possible. Mais sachant que la fameuse lettre a été tapée par la secrétaire de Banier, avouez qu’il n’est pas commun de se rendre à un déjeuner amical accompagné de sa secrétaire. Je ne sais pas, n’ayant jamais eu de secrétaire ni d’autres personnes à mon service, mais je trouve cela quand même des plus curieux. Il y faut une certaine préméditation.

Or donc, Liliane Bettencourt aurait – le conditionnel s’impose - signé cette fameuse lettre tapée lors de ce déjeuner et la même secrétaire a, dans la foulée, tapé une autre lettre par laquelle François-Marie Banier acceptait cette donation. Elément capital car une fois une donation – fût-ce par le biais d’une assurance-vie - acceptée par son bénéficiaire, elle est en principe irrévocable.

C’est la secrétaire qui a mis sous enveloppe et expédié les deux courriers adressés à la société Arcalis, son écriture sur les deux enveloppes en témoigne et elle l’a reconnu quand elle fut interrogée le 20 septembre 2010 à ce sujet par les policiers chargés de l’enquête judiciaire. Selon ses propos, «Liliane Bettencourt n’avait pas confiance dans sa propre secrétaire et c’est pour cette raison qu’elle lui aurait demandé – directement ou indirectement – de taper les deux courriers».

Dans la mesure où elle ne précise pas ce qu’elle entendait pas «indirectement», je suppose que c’est Banier qui aura convaincu Liliane Bettencourt de plutôt recourir aux services de sa secrétaire. Il est désormais assez connu que François-Marie Banier et Xavier de Maistre ont tout fait pour discréditer et écarter les anciens employés de Liliane Bettencourt.

Mais il y a nettement mieux. Le fait qu’il manque un “t” à Bettencourt me semble assez accessoire. Il en effet des plus courant de ne pas s’apercevoir d’une faute de frappe quand on lit ou relit un texte en s’attachant plutôt au contenu. Est-on certain qu’elle l’ait lu avant de signer ? Parce qu’une hypothèse nettement plus trou-blante serait avancée par les policiers dans une autre note : «la signature de Mme Bettencourt aurait-elle pu être “scannée” et ensuite reproduite par montage sur le courrier suspect ?»

Enfin, dans le courrier adressé par Liliane Bettencourt, figure in fine cette bien curieuse consigne : «Pour des raisons de confidentialité, j’insiste pour que tout le courrier concernant ce contrat d’assurance-vie soit envoyé à mon nom sous couvert de Me Normand [son notaire] et en aucun cas à mon adresse à Neuilly», la secrétaire de Banier se disant incapable de se souvenir qui lui a dicté ce paragraphe ni si c’est à partir d’un brouillon que lui aurait donné M. Banier…

Force est donc de se demander pourquoi et à qui il fallait cacher ces dispositions. N’ayons garde d’oublier qu’à l’époque André Bettencourt – mort à la fin 2007 – vivait encore. Sans doute chacun des époux gérait-il sa fortune indépendamment l’un de l’autre et la donation était-elle (en principe) irrévocable. Mais il aurait pu s’inquiéter à bon droit de telles largesses et demander qu’elle fût placée sous curatelle et tutelle et invoquer une manœuvre dolosive – «l’abus de faiblesse» - pour faire annuler la donation.

Quant bien même Liliane Bettencourt aurait-elle déclaré «Si on m’abuse, c’est que je me laisse abuser, tant mieux pour moi. Qu’on me laisse vivre !» dans une interview donnée à Europe 1 le 22 octobre 2010 : “Quand c’est plat, je m’emmerde !”. En effet, “l’animus donandi” – l’intention de donner – est un élément essentiel des contrats unilatéraux, dont les donations. Qu’elle ait eu l’intention de gratifier François-Marie Banier ne fait point de doute. Mais que celui-ci ait pu largement dépasser les bornes est non moins évident comme elle l’admettait elle-même : ne déclarait-elle pas “C’est quelqu’un qui en veut toujours plus, toujours plus gros…” ?

Ceci dit, nous ne sommes pas dans le domaine du droit des contrats et d’un procès civil où les juges n’auraient qu’à sonder l’intention de la donatrice mais dans le cadre d’un procès pénal introduit par une plainte de la fille de Liliane Bettencourt et où Banier est mis en examen pour abus de faiblesse, le photographe paraissant bien être un manipulateur de première bourre.

Qui plus est, M° Kiejman aura bien du mal à défendre la thèse selon laquelle sa cliente aurait eu “toute sa tête”, si je puis me permettre cette triviale expression, quand sa cliente comblait Banier de largesses. Le poids des témoignages contraires ne doit pas être négligé et les juges en tiendront d’autant plus compte que très bizarrement le médecin expert (expertise privée) aura détruit le dossier médical (Le Point 23 sept. 2010) avant de se rendre à une convocation de la police et que, par ailleurs, Georges Kiejman lui-même avait soustrait des documents médicaux au nez et à la barbe des enquêteurs (Le Monde du 15 oct. 2010). Je doute que les magistrats apprécient !

Enfin, s’il devait être avéré par une expertise que la signature de Liliane Bettencourt ait pu être scannée sur la lettre adressée à la compagnie d’assurance Arcalis, nous quitterions le domaine du simple abus de faiblesse pour celui du faux et usage de faux – délit pénal. La cause serait définitivement entendue. Nul doute cependant que dans ce cas, M° Kiejman interjette appel et si la Cour d’appel confirmait la condamnation, se pourvoirait en cassation. Gagner du temps ? Lui-même (78 ans) et sa cliente (88 ans) seront peut-être morts quand l’affaire sera définitivement réglée.

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