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Prix Europa, XIIe édition

Publié le 29 octobre 2010 par Les Lettres Françaises

Prix Europa, XIIe édition

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À première vue, on peut légitimement penser que les organisateurs du Prix Europa pour le Théâtre (saluons ici le travail, essentiel, de son secrétaire général, Alessandro Martinez) dont on célébrait cette année la XIIe édition, une fois les prix attribués (le Grand Prix est, depuis la troisième édition, accompagné d’autres récompenses décernées sous le label de « nouvelles réalités théâtrales »), ont la tâche relativement facile pour prévoir la programmation de leur manifestation. C’est sans doute une fausse idée. Car encore faut-il que les lauréats aient un spectacle en cours d’exploitation. Encore faut-il trouver des spectacles qui aient un rapport quelconque avec les heureux élus…  Bon an mal an les choses finissent toujours par se caler. Surgit alors une autre difficulté : que les lauréats acceptent de venir retirer leurs prix. Un premier accroc eut lieu l’année passé lorsque le metteur en scène allemand Peter Zadek déclara forfait ; le petit monde théâtral venu des quatre coins de la planète pu néanmoins, après quelques péripéties, se régaler de la vision de son travail sur Peer Gynt d’Ibsen, un grand spectacle que l’on pourra revoir cette année au festival d’Almada (au Portugal). Pour Patrice Chéreau, couronné cette année, il fallut si l’on ose dire, se contenter de deux lectures. On sait en effet que depuis sa mise en scène de Phèdre, le metteur en scène français s’est quelque peu éloigné du théâtre traditionnel, préférant le cinéma. Il eut beau, durant le symposium à lui consacré (c’est la coutume) expliquer avec conviction que tout cela ressortissait d’un même et unique travail, il n’empêche. Bref on eut droit à deux lectures, l’une du beau texte de Marguerite Duras, La Douleur, où Dominique Blanc lui donnait la réplique, l’autre d’un extrait de Coma de Pierre Guyotat. On sait l’extraordinaire présence de Patrice Chéreau sur un plateau (lui aussi le sait et en joue), on sait qu’il lui suffit d’apparaître pour que nous soyons emportés ; il n’empêche, et même avec tout le génie qui le caractérise, nous sommes là dans une sorte de « service minimum » du théâtre. Et à tout prendre Pierre Guyotat lisant ou improvisant  sur un plateau est, théâtralement, bien plus intéressant.

Mais là, au cours de la cérémonie célébrée pour la deuxième année consécutive à Thessalonique, n’est peut-être pas l’essentiel. Le prix qui a couronné les plus grands artistes d’Europe, d’Ariane Mnouchkine à Robert Lepage, un québécois, en passant par Giorgio Strelher, Lev Dodine ou Luca Ronconi, Peter Brook ou Harold Pinter depuis 1986, l’année de sa création, se devait, bien sûr, de désigner Patrice Chéreau, et personne ne trouvera à redire à cela. Le constat que l’on peut toutefois faire est que le prix Europa ne saurait se dégager de toute emprise politique (il semble même que ce soit tout le contraire). Quel théâtre pour quelle Europe ? titre très justement pour une fois Le Monde. En effet, de quelle Europe s’agit-il ? Celle de Patrice Chéreau, de ses amis socialistes, Catherine Tasca avec qui il travailla aux Amandiers de Nanterre et qui vint dire tout le bien qu’elle pensait de son ami, comme bon nombre d’autres proches,  Jack Lang, président du Prix et qui œuvra tant pour sa création ? Cette Europe-là, bon nombre d’artistes venus des ex-pays de l’est viennent frapper à sa porte, y voyant sans doute une aubaine ou une planche de salut, en jouant éventuellement sur notre mauvaise conscience. Et le Grand Prix Europa est une vitrine idéale permettant une éventuelle promotion des productions, comme en atteste par exemple le cas du très surfait Alvis Hermanis présenté l’année dernière et qui se retrouve, comme par hasard, cet été, dans la programmation du prochain festival d’Avignon. Cette année, Vaclav Havel, Harold Pinter, Tom Stoppard, incitèrent les organisateurs du Prix à distinguer une troupe venue de Biélorussie, cette « zone de silence », la Belarus Free Theater. Ce fut chose faite. Et l’on vit trois productions de ladite troupe, qui s’est déjà produite à Alfortville en France sous la houlette de Christian Benedetti. Sauf que leurs spectacles, théâtralement, sont également plus que surfaits… Quand le politique vient brouiller les cartes… Ou comment le Prix Europa pourra-t-il résister aux pressions si « humanistes » ?

On en oublierait presque de citer les autres lauréats et leurs spectacles (réussis ou pas), le collectif germano-suisse Rimini Protokoll, Krysztof Warlikowski moins à l’aise avec l’incontournable Sarah Kane qu’avec Tony Kushner dont le théâtre de Rond-Point programme le saisissant Angels in America, et Sasha Walz malheureusement absente de la fête…

Jean-Pierre Han

Mai 2008 – N°48



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