Lettre ouverte à un lecteur (ou désolé, je suis pôvre)

Par Eric Bernardin

Il y  a quelques jours, un lecteur du blog m'a laissé ce commentaire (public, je précise) :

"Lecteur de votre blog, je suis très ennuyé pas le fait que vous fréquentiez les supermarchés. Cela va à l'encontre de votre éthique.
Après vous allez me dire: il faut rester accessible ....
mais la qualité du produit n'est pas la base de tout ??
du moyen , même bien cuisiné restera TOUJOURS MOYEN.
Désolé mais chez L.....C, je ne m'y suis jamais retrouvé en qualité et même rapport qualité prix.

C'est dommage de ne pas mettre les produits plus en avant.
Après les conseilleurs ne sont pas les payeurs.
Bonne continuation dans vos activités.
"

Cher Dominique,
Lorsque j'ai démarré mon blog en 2005, j'étais responsable d'un magasin bio, et en couple. D'une part, j'avais une remise conséquente sur ce que j'achetais dans mon magasin, profitais de produits frais périmés, et nous gagnions à deux 4 000 euros (sans enfant).
Cela me permettait de me nourrir bio à 90%, et d'acheter des beaux produits par ailleurs, dont de nombreux vins. Mais aussi d'aller le WE dans des hôtels et des restaurants de luxe.
Et puis, la vie change. Nous avons perdu tous les deux notre travail en 2006. Nos revenus ont sérieusement chuté, la vie est devenue beaucoup plus difficile, ce qui a mené à terme à la séparation.
Je vous passe les divers jobs que j'ai pu avoir entre 2007 et 2009. Il y a un an, je me suis retrouvé de nouveau au chômage, avec une allocation de 1000 € par mois. Avec celle-ci, je devais payer mon loyer (450 €), mes assurances diverses (110 €), l'électricité (70 €), le téléphone + internet (40 €). A cela se rajoutait pas mal de frais d'essence, car je suis allé faire des entretiens en Savoie, à Paris, à Caen, dans le Roussillon, les Pyrénées, à Arles... mais aussi de nombreuses réparations pour une voiture en bout de course...
Je ne veux pas faire de misérabilisme, mais c'est pour dire que j'ai dû faire très attention pour acheter mes produits alimentaires sans mettre en  danger mon budget global. Alors oui, je suis non seulement allé en supermarché, mais aussi chez pas mal de discounters, où en cherchant bien, on trouve de très bons produits (j'avais fait d'ailleurs un article à ce sujet). Par ex, le chocolat 81 % de Lidl est pour moi supérieur à ce que j'ai pu trouver chez des chocolatiers réputés mondialement.
Malgré ces difficultés économiques, j'ai continué mon blog, et réussi à faire rêver des gens qui ont pour la plupart des budgets plus conséquents que le mien. Il est certain que s'ils peuvent remplacer dans leur recette mon boeuf de L...C avec celui d'Hugo Desnoyers (grand boucher parisien NdA), ça n'en sera que meilleur.
Je souligne tout de même que j'avais la chance à Bergerac d'avoir un marché avec un choix superbe et des prix bas pour les fruits et légumes (super frais + souvent meilleur que dans le bio du coin).
Aujourd'hui, ma situation s'améliore un peu, mais je ne peux me permettre de faire de folies. Pour l'instant, j'ai toujours mon appartement à Bergerac avec les frais sus-mentionnés qui continuent, et j'ai un meublé à côté de Fécamp. Je suis sensé toucher une aide de Pôle Emploi pour financer ce "double logement" mais elle tarde à venir (heureusement, j'ai un employeur sympa qui m'a fait une avance sur salaire).
Par ailleurs, j'ai des horaires de commerçant : je travaille pile-poil au moment où les autres sont ouverts. Et le lundi, quand je ne travaille pas, beaucoup sont fermés. Le L...c dont j'ai déjà parlé a le mérite  d'avoir des horaires plus larges, de ne me faire faire aucun détour pour y aller (il est au bord de la route qui mène à mon domicile), alors que si je dois aller à Fécamp, cela me fait faire des kilomètres en plus, avec d'importantes difficultés de stationnement.
Je pense que vous comprenez mieux pourquoi mes choix d'achats se font plus au gré des promotions d'un supermarché, que de coups de coeur chez mon petit commerçant. Comme vous le dites, les conseilleurs ne sont pas les payeurs. Actuellement, le problème d'éthique (ou non-éthique) ne se pose même pas. J'ai un "budget repas" de pauvre et ne peux pas me permettre trop d'écarts. Malgré les difficultés que j'ai pu avoir, j'ai toujours réussi à ne pas être à découvert à ma banque, et je compte bien continuer aussi.
Certains trouveront que j'aurais pu me contenter d'écrire cette lettre en privé à ce lecteur. Mais quelque part, je pense qu'elle permet de mieux comprendre pourquoi je parle plus de dinde que de veau sur mon blog. Ce dernier réussit toutefois à ne pas me faire tomber totalement dans la "junk food", car je pense chaque jour à réaliser une recette qui soit "blogable".
Bon week-end,
Eric
 

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