Sarkozy à Bruxelles, 29 octobre 2010
Pour sa 182ème semaine à l'Elysée, Nicolas Sarkozy s'est montré tel qu'il est. Il a gâché ses chances de réformes internationales par son comportement brouillon et provocateur. Le minable compromis européen obtenu à Bruxelles n'y changera rien. En France, il prétexte un calendrier diplomatique chargé pour ignorer la contestation sociale... après 4 jours de vacances dans une villa marocaine. Il paralyse son équipe dirigeante par le mauvais suspense d'un remaniement jusqu'à l'UMP. 2012 approche, et l'heure des comptes aussi.International : le gâchis
Nicolas Sarkozy plaçait de grands espoirs dans l'organisation prochaine des G20 et G8 par la France. Il comptait profiter de ces tribunes internationales pour redorer un blason abimé par sa gestion nationale, se placer comme un réformateur généreux et préoccupé des injustices du monde. Il espérait parler gouvernance mondiale, régulation des marchés de matières premières et de la finance internationale. Il pouvait croire qu'il trouverait hors de France les succès qu'il a peine à concrétiser en France. Les Français s'intéressent peu à l'actualité étrangère, et il suffirait de quelques formules et communiqués triomphants pour faire passer une image positive de l'action du chef de l'Etat. Il y a 10 jours en Suisse, profitant d'un sommet sur la francophonie, Nicolas Sarkozy avait déroulé son programme présidentiel. Certes, l'homme posait davantage de questions qu'il n'apportait de solutions. Le Sarkozy 2010 préférait l'incantation aux promesses de résultats.
Ce scenario écrit à l'avance par quelques stratèges présidentiels pour les médias et l'opinion a quasiment perdu de son potentiel avant même que cette nouvelle séquence internationale ne débute. Et le grand responsable de ce gâchis des chances françaises de réforme est Nicolas Sarkozy lui-même.
Préoccupé par sa réélection en 2012, il s'était empressé l'été dernier de tomber dans l'excès insécuritaire. Il s'est mis à dos le reste de l'Europe, a inquiété nos partenaires, choqué nombre d'opinions étrangères. La France à l'étranger a désormais l'image d'un pays reclus dirigé par un président instable. Le violent clash avec Viviane Reding, après les mensonges éhontés du couple Hortefeux/Besson sur la discrimination des Roms fut exemplaire. Mme Reding s'est calmée, Sarkozy s'est couché, mais les stigmates de cette altercation sont toujours là. Ainsi, jeudi, le commissaire européen aux droits de l'homme taclait à nouveau la France et la stigmatisation de l'Islam. Le même jour, la Commission européenne taclait le bouclier fiscal et l'ISF au motif que ces deux dispositifs seraient discriminatoires à l'encontre des Français résidents à l'étranger. Cette fois-ci, la critique risque de produire un résultat inattendu : elle encourage Nicolas Sarkozy a faire passer sa funeste idée, acquise depuis l'été, de modifier voire supprimer un bouclier fiscal devenu boulet électoral et... l'ISF, pour le plus grand bonheur de quelques fortunés.
Il y a 15 jours à Deauville, le président français a réédité l'exploit en s'affichant précipitamment avec Angela Merkel pour annoncer une réforme du Traité de Lisbonne et l'introduction de sanctions disciplinaires à l'encontre des pays européens aux finances publiques défaillantes. En pleine crise séculaire, quelle idée fumeuse ! Ce Traité, négocié pendant 10 ans, en place depuis une année, serait donc déjà obsolète. La réaction européenne s'est faite attendre ... 8 jours. Mercredi, à quelques heures d'un nouveau conseil européen, Viviane Reding, Jean-Claude Trichet et Jean-Claude Junker ont dégainé coup sur coup leur critique contre ce coup de force franco-allemand. Le Financial Times relate d'ailleurs l'altercation entre Trichet et Sarkozy.
Vendredi, Nicolas Sarkozy voulait afficher sa satisfaction. Le conseil européen décidait 4 « avancées absolument majeures ». Il fallait montrer que son coup personnel deauvillois n'avait pas été vain. Dans les faits, les résultats sont plus mitigés, un « compromis » mesuré comme le souligne la presse allemande : le traité de Lisbonne sera amendé à la marge pour permettre aux Etats d'aider financièrement un Etat défaillant, via le Fonds européen de stabilisation financière (FESF) mis en place au printemps dernier pour « sauver » la Grèce. En coulisses, Jean-Claude Trichet avait qualifié d'inconscient toute mesure de soutien automatique. Il fut rejoint par Angela Merkel qui, comme toujours, refuse que son pays paye pour d'autres. Mais la suspension du droit de vote d'un pays au conseil Ecofin en cas de non respect du pacte de stabilité a été refusée.
Mercredi, Nicolas Sarkozy recevait le dictateur du Kazakhstan, Noursoultan Nazarbaïev, autoproclamé leader de la Nation. Elu en 1991 après des élections contestées, ce dernier a reçu un accueil plus que cordial en France. Il faut avouer qu'il venait commander pour 2 milliards d'euros de matériel et technologie françaises (295 locomotives Alsthom, 45 hélicoptères Eurocopter, une co-entreprise de fabrication de combustible nucléaire avec Areva, etc). Les génuflexions indignes de Sarkozy et Guéant (« Jamais le dialogue politique entre le Kazakhstan et la France n'a été aussi soutenu. ») avaient quelque chose de gênant. Le communiqué officiel saluant cette rencontre soulignait l'accord franco-kazakh sur « le droit légitime et imprescriptible de tout État partie au TNP au développement et à l'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire ». Le soir même, Patrons, stars du show-biz et politiques ont dîné avec l'autocrate. « Je soutiens monsieur Sarkozy de tout mon cœur dans toutes ses réformes ! » a conclu Nazarbaïev. On comprend sa joie.
Retraites, la réforme des Riches
La réforme fut « enfin » votée, mardi au Sénat, puis mercredi à l'Assemblée. Depuis lundi, la Sarkofrance tentait de nous faire croire que le dialogue social était relancé grâce à la proposition de la CFDT de discuter de l'emploi des jeunes, acceptée par le Medef.
En abordant le sujet des retraites en début d'année, contrairement à ses promesses précédentes, Nicolas Sarkozy avait une occasion unique : la « cause » de la rigueur, pour peu que cette dernière soit juste, aurait pu être acceptable par une large fraction de l'opinion. La dégradation des comptes publics est telle que la quasi-totalité des leaders de la gauche dite de gouvernement revendiquent désormais le redressement des finances de l'Etat. Sarkozy pouvait donc rallier une large fraction du corps politique, ou, à défaut, prendre l'opposition à revers.
Mais il préféra procéder autrement, obstiné qu'il est à épargner son clan des Riches. Sa réforme est injuste, et, pire, elle est inefficace. Injuste, car des semaines de mobilisation sociale ont permis au plus grand nombre d'en dévoiler les impacts: ouvriers et employés devront cotiser plus longtemps que les cadres, pour une espérance de vie plus courte et une probabilité d'incapacité physique plus forte. Le recul du départ en retraite augmentera le nombre de « sans-emploi-mais-pas-encore-retraité » : depuis 2003, malgré la précédente réforme Fillon, la sortie d'activité est toujours de 58 ans. Les femmes, davantage à temps partiel (29% contre 5%), aux salaires moins élevés, et aux carrières plus morcelées par le chômage que les hommes, seront également perdantes. La pénibilité est confondue avec l'invalidité physique. Et, pire, les régimes de retraite ne seront pas à l'équilibre même en 2018. Pour couronner le tout, le rôle, discret, de Guillaume Sarkozy, l'un des frères du président, dans l'assurance retraite privée, ne cesse de provoquer débats et interrogations. Malakoff-Médéric, la société qu'il dirige, a créé une filiale commune avec CNP Assurances, spécialisée... dans l’épargne retraite l'été dernier, au moment même où divers amendements UMP étaient adoptés en commission parlementaire pour soutenir la retraite par capitalisation, c'est-à-dire privée.
Vendredi, Sarkozy voulait s'abstenir d'apparaître trop heureux, soulagé et triomphant, après la plus faible mobilisation syndicale de la veille. Entre 600 000 et 2 millions de personnes avaient encore défilé, en pleine vacances de la Toussaint, dont, évidemment, quelques centaines de policiers infiltrés. Lors de sa conférence de presse à Bruxelles, il la jouait sérieux et grave, presque méprisant malgré lui : à l'amertume populaire que ni les sondages ni les commentateurs pour une fois ne contestent, il invoqua son « calendrier international extrêmement chargé » pour prévenir qu'il prendrait « le temps de réfléchir sereinement, calmement, profondément. » Circulez, j'ai autre chose à faire ! De samedi après-midi à mardi soir, le Monarque était en vacances ... au Maroc. Travailler moins pour ignorer plus est un vrai job en Sarkofrance !
Affaires sous contrôle
Vendredi, le procureur de Nanterre Philippe Courroye a lancé plusieurs instructions judiciaires sur l'affaire Woerth/Bettencourt. Mercredi, son supérieur hiérarchique, le procureur général de Versailles, lui avait ordonné de lâcher ses 4 enquêtes préliminaires. Un vrai désaveu, obtenu sous la pression d'une polémique médiatico-judiciaire du weekend dernier. Initialement, le procureur de Versailles souhaitait simplement dessaisir la juge Isabelle Prévost-Desprez de son instruction, au motif que l'ambiance au tribunal de Nanterre était pourrie. Courroye, qu'il était juridiquement impossible de dessaisir en parallèle, aurait eu les coudées franches. Las, le voici contraint à abandonner le dossier. Vendredi, il s'essayait à démontrer que son travail avait été « un modèle du genre.» D'abord dans les colonnes du Figaro, puis ensuite sur Europe 1, il justifia l'immense travail accompli en 4 mois (3500 feuillets rédigés, 353 scellés confectionnés, 37 perquisitions, etc), et prévint qu'il avait de toute façon quasiment terminé : fin novembre, il aurait été en mesure de clore ses enquêtes, après une visite en Suisse - sur la fraude fiscale reconnue de Liliane Bettencourt - et une audition d'Eric Woerth, à propos du soupçon de financement politique illicite. Philippe Courroye, vendredi, était un homme vexé. Le plus frappant est qu'à aucun moment, il ne se soit interrogé sur les raisons de l'emballement médiatique à son encontre, comme, par exemple, l'absence d'enquête indépendante...
Vendredi à Bruxelles, Nicolas Sarkozy fut interrogé par Arnaud Leparmentier du Monde sur trois étranges cambriolages, où les ordinateurs de journalistes du Point, de Mediapart et du Monde qui enquêtaient sur l'affaire Woerth/Bettencourt furent dérobés. Personne, absolument personne, ne croit à une coïncidence. Après quelques interminables secondes de silence, Sarkozy eut cette réponse incroyable : « j'vois pas en quoi ça me concerne.» La liberté de la presse... ne le concerne pas. Ah bon ? On sait déjà que le pouvoir a violé le secret des sources en obtenant les fadettes téléphoniques d'un journaliste du Monde, Gérard Davet, à deux reprises. Faut-il qu'il soit inquiet ...
Gouvernement paralysé
L'attente du remaniement n'en finit pas de faire des victimes. Jean-Louis Borloo, donné grand favori et quasiment nommé en remplacement de François Fillon, a été sévèrement critiqué pour sa gestion calamiteuse de la crise des transports et du carburant . On le traite désormais de poltron ou de dilettante ! Vendredi, Rama Yade déclenche une nouvelle micro-polémique comme elle en a le secret. Dans une interview diffusée sur RFI, elle se démarque du discours de Dakar en des termes qui ont fait rugir Dominique Bussereau, son collègue des Transports : « Je suis pas son professeur. Qu'est-ce-que vous voulez que je fasse que je saute sur la tribune et que je gifle le président de la République ? » En promettant un remaniement il y a 4 mois, Sarkozy a paralysé l'action de ses ministres. On applaudit.
A l'UMP, on attend la reprise en main de Jean-François Copé. L'avocat d'affaires, maire de Meaux et député UMP, piaffe d'impatience depuis cet été. La conquête de l'UMP est une étape obligée pour sa propre candidature présidentielle en 2017. Copé est un Sarkozy en miniature, plus brouillon, autant manipulateur, franchement bord-cadre. Un exemple a été donné cette semaine avec le bilan de l'action de l'ANRU, l'Agence nationale pour la rénovation urbaine. On célébrait un triste anniversaire, la mort des jeunes Ziad et Bouan électrocutés en fuyant la police le 27 octobre 2005 à Clichy-sous-Bois, qui déclencha trois semaines d'émeutes inédites dans les banlieues françaises. A Clichy, le maire se plaignait toujours du faible soutien de l'Etat pour rénover ses quartiers. Copé, à Meaux, n'a pas eu autant de difficultés à convaincre l'ANRU de lui filer quelques dizaines de millions d'euros pour rénover jusqu'aux immeubles cossus de son centre-ville historique.
Mercredi, le Monarque a nommé une quarantaine de proches au Conseil économique et social. Un job sympathique, 5000 euros bruts mensuels, une belle retraite, dont Raymond Soubie (futur ex-conseiller social), Pierre Charon (toujours conseiller ès people et rumeur) et divers notables de l'UMP pourront profiter paisiblement.
Qu'ils s'en aillent tous, disait Jean-Luc Mélenchon... Et vite, devrait-on compléter.
D'affaires en polémiques, on oublierait presque l'essentiel : la contestation sociale de ces dernières semaines a réussi à positionner Nicolas Sarkozy à sa juste place : l'ennemi social public numéro un.
En 2012, rappelez-vous 2010.