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Substitutions…

Publié le 30 octobre 2010 par Philippe Thomas

Poésie du samedi,12 (nouvelle série)

 Je suis fan d’une émission de divertissement du samedi soir intitulée Mot de passe. Il s’agit pour les candidats de faire deviner plusieurs séries de mots à une personnalité invitée puis l’inverse. Comment ? En énonçant à chaque fois pas plus de trois mots pour suggérer le « bon » mot, moyennant certaines contraintes (pas de mots de la même famille, pas de mots commençant de la même manière, pas de mimiques, etc…), on peut ainsi arriver à décrocher quelques sous en jouant à la devinette.

En fait, il s’agit de donner un mot pour en obtenir un autre. En quelque sorte de substituer un mot à autre. Pas un password , un mot de passe au sens propre, puisque le mot de passe sert littéralement à «passer », c’est-à-dire qu’il confère un droit de passage à qui le prononce au bon endroit et auprès du bon « gardien ». Stricto sensu, l’émission devrait plutôt s’appeler « mot pour mot » ! Mais faire deviner à son partenaire le bon mot permet de passer à une autre devinette pour finalement gagner jusqu’à 50 000 euros. Finalement, on ne fait pas que se payer de mots sur ce plateau télé. On y démontre tout l’aspect performatif du langage qui est de faire ou d’obtenir des choses avec des mots…

Convaincu d’avance que tout procède du langage au moins depuis le commencement où était le verbe, je ne sais plus quelle devinette m’a fait penser à cette question du pouvoir du langage. J’ai alors pensé à Ritsos, déjà cité ici à propos d’architecture … Un court recueil paru en 1988 s’intitulait Substitutions. J’y ai trouvé les principes cachés et je suis content. J’ai cru voir en ce petit vieux affable un curieux avatar du Bon Dieu qui a fait son trou dans la page, capable singulièremet de tousser ET de s’entendre tousser… Surtout, s’il a troué la page, cela voudrait dire alors que tout n’est pas écrit et même que tout n’est pas possible à écrire… Mais l’essentiel n’est-il pas que les mots soient libres, aillent leur propre chemin et mènent vers quelque source secrète ?

L’essentiel est aussi de pouvoir dire ou écrire quelque mot comme on lancerait les dés, sans savoir à l’avance le résultat. C’est pourquoi j’aime ces Vacances selon Ritsos , cet état de vacuité, ce mot dont ne sait s’il atteint son objectif ni même s’il y avait un objectif… Cet espace verbal est celui d’une liberté pas forcément consciente d’elle-même et où roulent en retour des fruits aussi inattendus que savoureux… Est-ce alors la poésie de la réalité qui se substitue à la réalité du poème ou bien l’inverse ?

Les principes cachés

Il revient souvent sur le même sujet. La répétition

est d’avance un changement. Et de toute façon les mots

vont leur propre chemin, plus loin que notre volonté,

vers des sources secrètes qui sont celles de l’amour. Même ce

   petit vieux affable

a fait un trou dans la page blanche avec son petit doigt,

l’a amenée sous la lampe et murmuré dans un sourire :

moi je sais à la fois tousser et m’entendre tousser

Vacances

Tu trouves encore le temps utile sans même y penser,

tu coupes une feuille avec gravité, tu jettes un mot

dans le puits ténébreux et tu ne sais pas du tout

s’il va flotter ou passer de l’autre côté. Des gens

traversent les rues à la hâte, achètent de la viande,

des chemises, des fruits, des enveloppes, des allumettes.

Les femmes

essaient devant les glaces des chapeaux d’été,

elles ont souvent mal à la tête, mangent de gros raisins,

un grain tombe sur le plancher ; - ne marche pas dessus ;

le poème.

Yannis Ritsos, Substitutions, éditions de L’échoppe, 1988. Traduit du grec par DominiqueGrandmont, dessins d’Assadour.


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