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Max | Immobiles sont tes cils ainsi que ton coeur

Publié le 01 novembre 2010 par Aragon

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"Immobiles sont tes cils ainsi que ton coeur"

Uxbal (à lui-même)

"Biutiful" d'Iñárritu m'a bouleversé. Presque un demi siècle que je vais au cinéma. La première fois que je vais voir le même film, en salle, trois jours en suivant. Javier Bardèm y est extraordinaire.

Raconter ? "Qu'est-ce qu'il y a là-bas ?" Dernière phrase prononcée par l'homme. Uxbal. Barcelone que je devine dès les premières images. Ville tentaculaire et glauque. Barrio chino. Je sais qu'il existe un barrio chino. Un quartier chinois. Un homme y vit et se débat dans des affaires glauques comme l'atmosphère de cette ville. Travail au black avec des blacks justement. Des chinois aussi qui vont mourir indirectement de froid, mais en douceur. Dans la quiétude d'une nuit empoisonnée et cet homme Bardèm - Uxbal - inoubliable à mon sens, va mourir aussi à petits feux. Il a une femme, qui est femme, qui est fêlée dans le vrai sens du terme, qui est pute, qui est mère, qui l'aime, qu'il aime. Qui lui a donné deux enfants extraordinaires de beauté infantile et d'instincts. Et cette ville Barcelone crache et fume la fumée de cheminées qui apparaissent régulièrement. Tout comme apparaît en filigrane, à plusieurs reprises, la Sagrada Familia, définitivement contaminée par l'existence,  par tout le poids du temps...

Et les blacks sont tabassés, exploités, expulsés (Rien de nouveau au royaume de France du prince Nicolas et de son shériff Brice de Nottingham), toujours sur le qui-vive en vendant leurs pacotilles dérisoires que des chinois, ces chinois justement qui vont mourir, fabriquent dans des caves pourries, entassés, où ils dorment aussi à même le sol, entassés, oui, comme dans un camp de concentration moderne où le kapo chinois sans âme sonne impitoyablement le réveil à six heures et trente minutes, sept jours sur sept en déverrouillant les portes fermées de l'extérieur, pour une journée qui doit obligatoirement durer jusqu'à épuisement de la moindre substance humaine.

Crasse omniprésente. Partout. Dans les chambres, les appartements sordides, dans les rues, dans les coeurs défaits, déconstruits, meurtris, humiliés, ruinés. Alors ? Film désespérant ? Il tient dans les seules interrogations sereines et positives des enfants de cet homme. Dans une merveilleuse séquence d'anniversaire des dix ans de la petite Ana. Et son frère, ce minuscule et malicieux Matéo qui interroge lui aussi, qui découvre plein de choses sur ce qu'il se passe dans l'espace. Des lois de la gravité et de l'explosion possible de cosmonautes si par inadvertance ou malheur leur combinaison venait à se déchirer. Et lui, toujours, de demander à sa soeur et à son père s'ils connaissent un pays commençant par la lettre "D"et un animal qui commence par un "I" et eux de répondre immédiatement, comme moi (à voix haute, j'étais tout seul le premier jour dans la salle à cette séance d'onze heures) : Danemark et Iguane... et l'enfant de nous dire qu'il était sûr qu'on allait répondre ça...

Les enfants cherchent dans une nuit noire qu'ils connaissent depuis leur naissance, ils trouveront obligatoirement la réponse à cette question que l'on ne peut pas poser. Qu'est-ce que la vie ? Où mène-t-elle ?

Une bague de diamant transmise de génération en génération est le fil conducteur. L'étoile qui brille dans la nuit. La petite fille la passe à son doigt au moment ultime et Uxbal, lui, passe de l'autre côté le regard transformé. Lui qui ne savait rien mais pourtant tout de la mort pour la connaître - en don - par le commerce subtil qu'il menait avec et les défunts et leurs familles. Lui qui la redoutait tellement. Lui qui ne voulait pas mourir. Lui qui, vaincu, voyait au plafond écaillé de sa piaule sordide se poser et se multiplier à chaque nouveau plan des papillons de nuit, noirs comme cette nuit, noirs, naturellement comme la mort.

Me laver ensuite, à la pluie, au soleil,  sortir, marcher dans les rues, jusqu'au port. Après toutes ces souffrances, toutes ces infinies douleurs, toute cette vie qui avait été jetée à ma face pendant plus des deux heures trente que dure ce film. Ce film qui commence et se termine dans des paysages de bois et de champ de neige ou Uxbal va poser l'ultime question : "Qu'est-ce qu'il y a là-bas ?"

Je sors du cinéma. Je m'asseois sur un banc. J'attends, il me faudra attendre longtemps avant de pouvoir me lever. Voir des gens passer. Des gens manger, dans le bistro d'en face. Des gens, encore des gens, des enfants heureux d'être en vacances. La vie, côté pile, déroule son tapis d'ombre et de lumière. La mort rôde. Elle est là. Elle remplit tout le côté face du monde.

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