Dans un monde parfait il n'y aurait pas de pays, donc pas d'étrangers, il n'y aurait pas de frontières, donc pas de contrôles des personnes, pas de criminels, donc pas de prisons. Les pays ne se feraient pas la guerre et il n'y aurait pas besoin d'armées. Les hommes ne se feraient pas de mal et il n'y aurait pas besoin de polices. Bref tout le monde il serait beau, tout le monde il serait gentil. Mais peut-être tout le monde il serait emm....
Seulement voilà : le monde est imparfait. Il n'est pas toujours beau ni toujours gentil. Des croyants y voient la marque du péché originel. Des incroyants se contentent de constater. Les uns et les autres cherchent alors à s'adapter à leur niveau et à leur échelle. Ils agissent sur les choses qui sont à leur portée et qu'ils peuvent changer. Ils n'ont pas la prétention de changer le monde dans son ensemble. Ils tentent de l'améliorer vaille que vaille dans leur environnement immédiat, par leur action.
Mais il en est qui nient cette imperfection du monde et qui essaient de le changer ou de le corriger pour le plus grand bien de tout le monde. S'il le faut, par la force. Ils se croient investis d'une mission. Même s'ils ne l'avouent pas, ou s'ils ne se l'avouent pas, ils ont un complexe de supériorité par rapport aux autres. Ils sont parfois sincères quand ils disent qu'ils veulent le bien des autres, éventuellement contre leur gré. Mais ce déni de réalité les conduit inévitablement à imposer la servitude aux autres et à leur refuser la parole.
L'Etat devrait se cantonner dans ses fonctions régaliennes, autrement dit il devrait seulement assurer la sécurité des biens et des personnes, à l'intérieur du pays comme à l'égard de l'extérieur. Sans sécurité il n'est pas d'exercice possible des libertés individuelles dans un pays donné et d'un pays donné à un autre. Au lieu de cela, les Etats s'occupent la plupart du temps de tout autre chose. Ils créent même souvent par leur intervention dans d'autres domaines les conditions de l'insécurité.
Par exemple, en se développant, l'Etat social met en péril le droit de propriété. La redistribution des richesses, qui s'opère en prenant ce qu'il faut dans la poche des uns pour remplir celle des autres, met en danger la création de richesses puisque leur propriété n'est plus reconnue à leurs créateurs, puisqu'elle leur est confisquée en partie, une partie, qui plus est, à géométrie variable, suivant l'humeur des gouvernants. C'est l'insécurité liée à l'incertitude.
Plus l'Etat social se développe dans un pays, plus il favorise l'idée chez certains, les moins entreprenants, que les richesses tombent du ciel, et, du coup, il freine leur création : à quoi bon se fatiguer, se disent certains, puisque ce sont les autres qui en profitent; à quoi bon se fatiguer, se disent d'autres, puisque certains sont bien forcés de pourvoir aux besoins d'autrui, sans que ce dernier n'ait à lever le petit doigt.
Il est sur la planète des pays plus ou moins riches. Les plus riches sont encore ceux où la liberté des échanges se conjugue avec une moindre dimension étatique. Mais, comme le monde n'est pas parfait, même les Etats de ces pays succombent à la tentation de l'intervention et développent leur dimension sociale. Ces richesses redistribuées exercent une attraction certaine sur les plus humbles du pays et, également, sur les habitants d'autres pays qui, même en travaillant dur, ne pourraient pas bénéficier d'une telle manne, de surcroît bien souvent gratuite, ou quasiment.
Qu'est-ce qui différencie un citoyen d'un pays et un étranger ?
Un citoyen peut l'être de naissance ou par acquisition de la nationalité. S'il l'est de naissance, il a baigné dans une culture, une histoire et une manière de vivre, qui caractérisent son appartenance à une communauté, celle des habitants de son pays. S'il l'est par acquisition il a dû adhérer - ou aurait dû devoir adhérer - aux droits fondamentaux qui régissent son nouveau pays; il doit dès lors se couler dans son moule et en épouser les contours, devenir délibérément un citoyen à part entière, comme ceux qui se sont contentés d'y naître. Ce n'est pas juste ? Peu importe. C'est ainsi.
Quant à l'étranger, il est un hôte qui doit se comporter comme tel dans le pays qui l'accueille, en en respectant les règles même s'il n'adhère pas à ses valeurs. Alors que je me trouvais en Thaïlande, je me souviens d'avoir lu, il y a quelque trente ans, dans le Bangkok Post un article relatif à un étranger qui avait été mis en prison pour sacrilège. Il avait pris en photo le Bouddha d'Emeraude du Wat Prakeo, alors que des panneaux interdisaient formellement de le faire sous peine d'emprisonnement. Cet étranger savait donc ce qui l'attendait. Il est pourtant passé outre...
Le citoyen d'un pays a des devoirs et des droits, qui ne peuvent donc être que différents de ceux d'un étranger. Les devoirs d'un citoyen sont bien plus grands et ses droits également, notamment ses droits civiques. Parmi les plus grands devoirs, pour les hommes, il y a souvent, par exemple, l'obligation de servir un temps dans l'armée. Un étranger n'a pas de tels devoirs. Il s'agit d'un invité et il doit se comporter comme tel. Quand dans une maison un invité se comporte mal, on le réprimande, on le met dehors et on lui demande de rentrer chez lui. Quand il s'agit d'une personne de la famille, on le réprimande aussi et on lui demande seulement d'aller dans sa chambre pour se calmer.
Après ces quelques rappels, que dit l'initiative populaire de l'UDC "Pour le renvoi des criminels étrangers"[la photo provient d'ici], lancée à l'été 2007, déposée en février 2008, munie de 210'919 signatures valides et objet d'une votation le 28 novembre prochain ici ?
"I
La Constitution fédérale du 18 avril 1999 est modifiée comme suit:
Art. 121, al. 3 à 6 (nouveaux)
3 Ils (les étrangers) sont privés de leur titre de séjour, indépendamment de leur statut, et de tous leurs droits à séjourner en Suisse:
s'ils ont été condamnés par un jugement entré en force pour meurtre, viol, ou tout autre délit sexuel grave, pour un acte de violence d'une autre nature tel que le brigandage, la traite d'êtres humains, le trafic de drogue ou l'effraction; ou
s'ils ont perçu abusivement des prestations des assurances sociales ou de l'aide sociale.
4 Le législateur précise les faits constitutifs des infractions visées à l'al. 3. Il peut les compléter par d'autres faits constitutifs.
5 Les étrangers qui, en vertu des al. 3 et 4, sont privés de leur titre de séjour et de tous leurs droits à séjourner en Suisse doivent être expulsés du pays par les autorités compétentes et frappés d'une interdiction d'entrer sur le territoire allant de 5 à 15 ans. En cas de récidive, l'interdiction d'entrer sur le territoire sera fixée à 20 ans.
6 Les étrangers qui contreviennent à l'interdiction d'entrer sur le territoire ou qui y entrent illégalement de quelque manière que ce soit sont punissables. Le législateur édicte les dispositions correspondantes.
II
Les dispositions transitoires de la Constitution fédérale sont modifiées comme suit:
Art. 197, ch. 8 (nouveau)
8. Disposition transitoire ad art. 121
(Séjour et établissement des étrangers)
Dans les cinq années qui suivent l'acceptation par le peuple et par les cantons de l'art. 121, al. 3 à 6, le législateur définit les faits constitutifs des infractions en vertu de l'art. 121, al. 3, il les complète et il édicte les dispositions pénales relatives à l'entrée illégale sur le territoire visée à l'art. 121, al. 6."
Les initiants partent du constat que les étrangers sont très nombreux en Suisse, pas loin de 22% [21.7% en 2009] de la population totale. Or dans toutes les catégories de crimes la proportion de criminels étrangers est largement supérieure à ces quelque 22% . Sont commis par des étrangers :
- 59% des homicides
- 54% des lésions corporelles graves
- 57% des cambriolages
- 62% des viols
- 91% des trafics d'êtres humains
- 56% des séquestrations et des enlèvements.
Du coup, en 2009, 70,2% des détenus étaient des étrangers ici.
64% des étrangers résidant en Suisse proviennent de l'Union européenne et, donc, 36% de pays tiers. Or la population carcérale est composée de 20% de citoyens de l'Union européenne et de 80% de personnes originaires de pays tiers...
Par ailleurs les étrangers perçoivent 44,2% de l'aide sociale et plus de 34,5% des rentes AI (assurance- invalidité).
Enfin les réfugiés ne représentent que 1,5% de la population étrangère résidant en Suisse et leur renvoi éventuel est de toute façon conditionné par l'article 25 de la Constitution fédérale alinéas 2 et 3 :
"2 Les réfugiés ne peuvent être refoulés sur le territoire d’un Etat dans lequel ils sont persécutés ni remis aux autorités d’un tel Etat.
3 Nul ne peut être refoulé sur le territoire d’un Etat dans lequel il risque la torture ou tout autre traitement ou peine cruels et inhumains."
Dans un rapport sur la criminalité et le droit pénal, l'Office fédéral de la statistique, OFS, observe ici:
"Le nombre des condamnations prononcées en vertu du code pénal (CP) est resté pratiquement constant jusqu’en 2001; rapporté à l’effectif de la population résidante, il a même enregistré une baisse. De 2002 à 2004, on a observé pour la première fois une forte progression du nombre des condamnations par rapport à la population résidante. Ce nombre est resté inchangé depuis lors (environ 28 000 condamnations par année)"
Ce qui veut dire que la criminalité s'est établie à un niveau qui s'est stabilisé mais qui reste élevé, du moins pour la Suisse, réputée pour être un pays sûr.
Parmi les objections faites à cette initiative il y a :
- "L'initiative instaure un droit pénal où la double sanction, prison plus expulsion, ne dépend guère plus de l'acte, mais de l'appartenance à un groupe social" [Jacques Neirynck, L'Hebdo du 28 octobre 2010 ici].
Il n'y aurait plus égalité en droit. Or comme nous l'avons vu il n'y a ni égalité en droits, ni égalité en devoirs entre citoyens et étrangers.
- "De deux choses l'une : ou bien la prison constitue un lieu de réinsertion sociale et tout condamné ayant purgé sa peine redevient un citoyen apte à vivre en société; ou bien la prison ne remplit pas cet office et l'individu irrécupérable doit être retiré de la circulation"[Jacques Neirynck, L'Hebdo du 28 octobre 2010 ici].
Il s'agit d'un faux dilemme. La peine de prison est avant tout une punition, qui s'applique aussi bien aux citoyens qu'aux étrangers. L'expulsion permet de retirer de la circulation non pas quelqu'un d'irrécupérable mais quelqu'un qui n'a pas respecté les règles de l'hospitalité. Cette mesure n'est donc pas applicable aux Suisses qui sont chez eux dans leur pays ...jusqu'à plus informé.
Les initiants ont voulu que la menace de l'expulsion ait "un effet préventif" et renforce la sécurité. Ce sont choses qui ne peuvent se mesurer qu'à l'usage. Il est cependant vraisemblable que le fait que le renvoi soit systématique puisse avoir cet effet. Car, sans avoir été votée, l'initiative a déjà produit un premier effet selon L'Hebdo du 28 octobre 2010 :
"Anticipant les critiques, les cantons ont multiplié les décisions de renvois".
D'après l'hebdomadaire romand ici elles seraient passées de 438 en 2007 à 664 en 2009. Certes on est loin des 1'500 que vise l'initiative de l'UDC et que simule l'OFS ici , mais cela prouve que l'initiative répond aux préoccupations du peuple suisse, puisque les autorités cantonales se sentent obligées d'emboîter le pas. Sauf retournement improbable l'initiative pour le renvoi systématique des criminels étrangers sera donc votée le 28 novembre 2010, ce qui constituera en même temps un fort signal.
Comme le soulignait le 19 octobre 2010, ici, Philippe Barraud sur son site, Commentaires.com, encore faut-il que les autorités helvétiques fassent le nécessaire pour que la Suisse signe des accords de réadmissions avec les pays tiers dont des criminels étrangers sont originaires. L'initiative ne sera inapplicable que si on fait tout ce qu'il faut pour qu'elle le soit.
Or on fait bien tout pour qu'elle soit inapplicable, comme le soulignait Pascal Décaillet, le 10 octobre 2010, sur son blog ici :
"Venir nous annoncer, à ce stade du débat, clairement dans l’arène citoyenne, que l’initiative torpillerait le droit européen parce qu’elle serait contraire aux accords de libre-échange. Concrètement, Messieurs les juristes, ça veut dire quoi ? Qu’on arrête la campagne et qu’on va se coucher ? Ou qu’on laisse voter, et qu’en cas (bien probable) de victoire du texte, on annule tout ? Dans les deux cas, déni total de démocratie. Le seul fait de tenir ce genre de discours apporte des voix supplémentaires à l’UDC.
Et puis, la démocratie n’est pas affaire de juristes. Mais de citoyens. Chaque voix, le jour du vote, a le même poids, que le votant soit riche ou pauvre, clerc ou inculte, fin connaisseur des lois ou non."
Francis Richard