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L’image de la France à l’étranger sous l’ère sarkozyenne

Publié le 02 novembre 2010 par Les Lettres Françaises

L’image de la France à l’étranger sous l’ère sarkozyenne

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Les démocraties libérales, c’est bien connu, n’ont guère recours aujourd’hui, en matière de spectacle vivant, à la censure. Pourquoi le feraient-elles d’ailleurs, puisqu’il existe mille et un autres moyens pour rendre inefficace toute parole quelque peu dérangeante ou non conforme à la morale officielle ? Lors d’un récent forum du théâtre européen qui s’est tenu récemment à Nice, l’ineffable Bernard-Henri Lévy, invité à faire la synthèse des interventions et des discussions, conclut sans rire que « la production n’est en rien soumise aux pouvoirs de l’argent, et que le pouvoir n’intervient que peu ou pas dans les contenus du théâtre » (1)… De là à déduire, comme cet autre ineffable « penseur », chroniqueur à France-Culture, Alain-Gérard Slama, qu’ « il est difficile de contester que la création culturelle, en tant qu’elle est universelle est mieux protégée et trouve plus d’espace où se développer dans le système libéral que dans aucun autre », il n’y a qu’un pas que tout ces beaux analystes franchissent allègrement.

Tout le monde, en Europe, heureusement, ne fait pas forcément preuve d’un tel angélisme (ou d’un tel cynisme). À preuve les propos tenus lors d’un colloque qui s’est déroulé en novembre dernier à Gijon en Espagne où le sujet imposé était « l’économie de marché et la liberté de création »… On comprendra néanmoins qu’en France, cette fois-ci, notre ministre des Affaires étrangères se soient récrié lorsque les responsables de 47, Jean-Luc Raharimanana, l’auteur (dont les Lettres françaises s’honorent d’avoir publié un inédit au mois de novembre), et Thierry Bedard, le metteur en scène, l’ont interpellé, parlant de « censure d’état » concernant leur spectacle. Leur œuvre, créée non sans quelque souci à Antananarivo en septembre dernier, s’est retrouvée lors de la réunion annuelle des responsables culturels français de la zone de l’Afrique australe et de l’Océan indien à Addis-Abeba, et alors que certains engagements avaient été pris, brusquement mise de côté, c’est-à-dire retirée de l’ordre du jour. Explication d’un fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères : « La pièce est toujours présente dans notre catalogue, et n’importe quel responsable de salle de spectacle peut demander à le programmer ». Simple problème : le catalogue n’existe pas ! Même air entonné dès le 9 décembre par le ministre en personne, en réponse aux deux intéressés : « les centres culturels ayant chacun une programmation qui leur est propre et qui est établie conjointement avec les services culturels des Ambassades, vous avez en outre tout loisir d’adresser directement des propositions aux directeurs de ces établissements », sachant que le budget 2009 « oblige à établir de priorités », et que bien sûr 47 n’est pas une priorité ! Conclusion : « Il ne peut donc être ici question, comme vous l’affirmez, d’interdiction ou de ”censure d’État” ». Beau tour de passe-passe…

Comme personne, ou presque, ne parlera – « devoir de réserve » oblige – comme le directeur de CulturesFrance, organisme qui soutenait le projet au départ, et quelques autres hauts fonctionnaires, n’ont strictement rien à dire – pas d’avis sur la question – on en restera donc là.

Mais de quoi parle donc 47 ? (2) Simplement du plus grand massacre perpétré dans une colonie française (entre 80 000 et 100 000 morts), à Madagascar donc, en 1947. Événement, on en conviendra, peu reluisant, et donc passé sous silence, pour qui entend donner une image « positive » de notre pays à l’étranger. Car il s’agit bien de cela : puisqu’au théâtre tout se passe désormais comme dans la vitrine d’un supermarché sur les rayons duquel sont alignés des produits, il faut bien que tout soit propre, reluisant, attirant. La « révolte des sagaies » comme on a appelé cet événement tragique fait évidemment tache, même si l’auteur ne fait pas montre de sectarisme et évoque bien le partage des responsabilités… 47 n’est pas interdit dans l’hexagone (deux représentations ont été données au festival des francophonies en limousin en septembre dernier), il doit encore tourner dans quelques trop rares lieux. C’est bien le regard de l’étranger, et notamment de l’Afrique, qui pose problème.

Or nous sommes, plus que jamais – toute l’agitation de notre président le prouve (S’agite et se pavane, un spectacle qui se donne en ce moment et dont nous parlons par ailleurs, est un titre on ne peut plus adéquat) – dans une ère où le spectaculaire l’emporte sur tout autre considération, seule l’image (plate) compte. C’est le temps de la visibilité à tout crin, celle de la télévision.

Le problème c’est que l’écart entre l’image et la réalité grandit de plus en plus. Sur le terrain en effet les choses vont de mal en pis, et la France qui possédait naguère un formidable réseau mondial de coopération et d’action culturelle voit son influence diminuer de jour en jour. La francophonie ? Ce ne sera bientôt plus qu’un mot vide de sens. D’ailleurs, et l’on peut dire que l’acte est emblématique du désengagement de l’état en la matière, le festival international des francophonies en limousin a vu pour sa dernière édition, sa vingt-cinquième, le ministère des Affaires étrangères réduire son enveloppe de 135 000 euros à 100 000 euros, (manque à gagner compensé par le ministère de la culture), avec annonce de suppression totale pour 2009. De 135 000 euros à zéro, cela fera près de 15% du budget artistique de la manifestation que dirige Marie-Agnès Sevestre… Ce n’est pas vraiment une surprise si on veut bien considérer que la politique de ce ministère consiste en un retrait général de toutes les opérations culturelles par mesure d’économie (selon le vœu présidentiel) et de redéploiement vers la diplomatie (selon le vœu du ministre de tutelle). Désormais d’ailleurs c’est bel et bien Bercy qui a la haute main sur toutes ces questions. Un exemple : Bercy a décidé de diminuer l’aide à l’Afrique et aux pays émergents de 5 millions d’euros par an. Cette aide fait partie d’un des deux principaux programmes d’intervention dont s’occupe la DgCID (Direction générale de la Coopération internationale et du Développement), « chargée d’une mission de rayonnement international pour la France ». On se retrouve loin du compte… Pour être tout à fait juste, il faut préciser que ce mouvement de désengagement ou de laisser-aller existe depuis une vingtaine d’années déjà : il prend aujourd’hui une allure plus radicale. Ce retrait n’a guère été « pensé », il a été réalisé sans aucune consultation, ni expertise, au contraire de nos voisins anglais et allemands qui d’ailleurs, aujourd’hui, ont compris l’enjeu de la bataille et ont donc fait machine arrière. L’Allemagne a ainsi augmenté son budget de 14%, suivi par le Royaume-Uni, alors qu’arrivent l’Espagne et la Chine (qui a ouvert 6 centres Confucius en France avec l’aide financière des institutions locales). De ce point de vue nous sommes parfaitement à contre cycle. Amputée de 20% en 2008, notre budget baissera sur trois ans de 45%. Le résultat au bout de la chaîne est impitoyable : il n’y a plus guère de demande étrangère de présence française.

Les caisses sont vides, et l’heure est à la recherche de financements privés. Et ce ne sont pas les promesses électorales du candidat Sarkozy qui vont arranger les choses. Il avait en effet promis d’instituer la gratuité des écoles françaises à l’étranger. Le manque à gagner se chiffre aux alentours du milliard… Comment désormais financer ces écoles que fréquentaient les élites étrangères ? Ce ne sont là que quelques signaux plus qu’inquiétants ; le pire est à venir.

Jean-Pierre Han


1)  J’emprunte la formule à ma consœur du Figaro, Armelle Héliot (19 décembre 2008).

2)  Le texte de la représentation de 47 a été intégralement publié dans la revue frictions, théâtres-écritures, n° 13, automne-hiver 2008. Dans le même numéro Jean-Luc Rahariomanana publie un autre texte,  47, Rano rano, et Thierry Bedard, le metteur en scène, est interviewé par J.-P. Han.

Janvier 2009 – N°55


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