Symboles de la dernière chance pour certains ou sommet de l'humiliation pour d'autres, les assistantes sociales communiquent peu. Et pourtant en ces temps de crise économique et de précarité accrue, elles sont obligées, suivant la formule du gouvernement, de : "faire mieux avec moins"
C'est le leitmotiv d'une partie de la majorité présidentielle ces dernières semaines : Il faut un Premier Ministre "social" pour calmer des millions de français en colère contre la très injuste réforme des retraites ! Seulement un ministre, et surtout le Premier, c'est tellement loin du terrain que, pour parodier Pierre Desproges, je dirais qu'un ministre qui parle de social c'est un peu "comme si le pape parlait du stérilet de ma belle soeur !"
Le terrain, chez les assistantes sociales on connaît ! Et on est bien loin de l'actrice Véronique Jeannot dans la série "Pause Café" diffusée sur TF1 en 1981-82 dans laquelle elle répondait toujours "présente" pour aider les adolescents en difficulté. Car, l'assistante sociale ce n'est pas seulement devenir l'amie des élèves d'un lycée de banlieue en leur offrant son écoute autour d'une tasse de café ! Les compétences qui leur sont demandées et leur champs d'intervention, vont bien plus loin comme l'explique le site Studya
En bref pas de quoi chômer ! Surtout que ceux qui leur demandent d'intervenir sont souvent au bord de la rupture et ne peuvent comprendre la notion de délai ou même de refus (voir forum "À quoi sert une assistante sociale" sur Au Feminin.com )
Valérie Agha est l'une d'entre elles. Elle est aussi blogeuse et a baptisé ironiquement son blog "Pause Café". Depuis 2008, elle a pris l'habitude d'y écrire son quotidien et depuis peu d'en réunir une partie dans un vrai livre papier. Et un blogueur qui parle de social et qui se retrouve dans les librairies, ça m'a donné de me le procurer. Ce que j'ai fait. Puis, je l'ai contactée pour lui proposer de répondre à mes questions et le plus simplement du monde, elle accepté.
Slovar : Vous évoquez dans votre livre un manque de moyens financiers, de personnel et d'implication de la hiérarchie. Pensez-vous, par rapport à vos débuts dans le métier que ces moyens et cette implication se dégradent ?
Valérie Agha : En ce qui concerne les moyens financiers, les budgets d’action sociale sont réduits d’année en année. En polyvalence de secteur (service social de « quartier »), mes collègues me rapportent que le manque est encore plus criant. A l’époque où j’y travaillais, on disposait déjà de très peu de moyens pour soutenir les familles en difficulté. Aujourd’hui, les aides financières sont octroyées au compte-goutte.
La mise en place de barèmes financiers (auparavant, l’évaluation de l’assistante sociale primait sur les considérations purement mathématiques du budget familial) excluent du système d’aide sociale les salariés, même les moins bien rémunérés et alimente la problématique des « travailleurs pauvres. » Les prises en charge hôtel (certains conseils généraux prennent en charge tout ou partie des frais d’hôtel des familles sans domicile) se font exceptionnelles et extrêmement réduites dans la durée. Même les départements dont la politique est axée sur le social depuis toujours peinent à alimenter les budgets d’action sociale ; l’Etat leur a confié des missions telles que le RSA ou la MASP sans leur allouer de budget nécessaire à leur mise en place. Je ne parle pas des contingents de logements sociaux, notamment dans la fonction publique, qui se réduisent à une peau de chagrin (actuellement moins de cent logements pour la quasi totalité des fonctionnaires d’Ile de France).
S’agissant du personnel, j’évoque dans le livre les services judiciaires de protection de l’enfance. Ils croulent littéralement sous les mandats et n’ont pas le temps d’exercer leurs missions que la mesure arrive à son terme. Pendant ce temps, l’enfant et la famille qui ont besoin d’aide sont toujours dans la même situation. Les services sociaux (secteurs, hospitaliers, scolaires…) manquent bien sûr également de personnel. Mais je suis de plus en plus surprise de constater que nombre de mes collègues en province peinent à trouver un emploi. Cette situation m’interpelle et j’ai du mal à en saisir la cause : suppressions de postes ? De la même manière, des services tels que les CAF, les MDPH, les sécurités sociales…accusent des retards tels qu’ils doivent fermer leurs portes plusieurs mois dans certains départements, afin de traiter les dossiers. Une personne handicapée peut attendre un an ou plus en Seine Saint Denis pour voir son dossier aboutir.
Concernant le manque d’implication de la hiérarchie, je suis plus mesurée. Dans mon secteur d’activité (la fonction publique d’état), je rencontre assez régulièrement des responsables de services, des institutions plutôt soucieuses du bien-être des agents qu’ils encadrent. Bien sûr, il m’arrive aussi de croiser des directions plus soucieuses de la « rentabilité » de leurs services que des personnes avec qui elles travaillent, des responsables plus ou moins à l’écoute, plus ou moins ouverts aux difficultés de leur prochain, tout simplement.
Slovar : Alors que la France s'enfonce dans la crise, pensez-vous voir arriver dans vos services des personnes très différentes de celles que vous évoquez dans votre livre ?
Valérie Agha : Cela fait déjà un moment que je constate que le public que je reçois se diversifie. Je ne sais pas si cette situation peut directement être imputée à la crise et je suis prudente quant aux raccourcis à employer pour expliquer ce phénomène. Il y a différents facteurs, notamment celui de la communication : je suis de mieux en mieux connue dans l’institution dans laquelle je travaille et je suis identifiée comme étant à la disposition de tous les types de populations, ce qui est somme toute très positif.
Ce que je constate, c’est une accentuation de la « chronicité » des situations. C’est-à-dire de plus en plus de personnes qui ne réussissent pas à « refaire surface », malgré les aides octroyées, et qui sollicitent très régulièrement le service social. Certaines ne parviennent plus à se loger à Paris et en banlieue. D’autres repoussent d’elles-mêmes leur départ en retraite, faute d’avoir accumulé un nombre suffisant de trimestres ou faute de moyens.
Slovar : A l'aune des mesures de rigueur annoncées par le gouvernement, pensez-vous que vous écririez le même livre dans les mois ou années à venir ?
Valérie Agha : Mon livre raconte en premier lieu des histoires de vies et au travers de ces portraits, mon quotidien d’assistante sociale. Ces personnes qui sont amenées à se rendre au service social peuvent être n’importe qui : vous, moi. La barrière est mince, le décrochage de plus en plus facile. Ce sont avant tous ces aspects que j’avais envie de mettre en valeur. Donc à priori, les mesures du gouvernement ne changeraient rien à cela.
Slovar : Les medias évoquent ces dernières semaines la possible arrivée d'un premier ministre plus "social" que le précédent. Selon vous, cela peut-il avoir une influence sur votre métier ?
Valérie Agha : Je le suppose, et je l’espère. Il est évident que des mesures sociales telles que la mise en place du RSA, des lois d’envergure concernant le handicap, l’accès aux soins, la retraite, l’immigration, ont des retentissements directs sur l’activité des assistants sociaux. Nous sommes en charge de mettre en œuvre, sur le terrain, cette politique. De plus, il ne faut pas oublier qu’en qualité de fonctionnaires nous sommes nous-mêmes des représentants de l’Etat. Ce qui peut parfois nous mettre dans des positions délicates, lorsque les dispositions étatiques ne sont en adéquation ni avec notre vision personnelle de la société ni avec notre éthique professionnelle.
Merci Valérie
Bibliographie
Chronique de vies ordinaires