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Déspistage précoce...

Publié le 05 novembre 2010 par Yann Frat / Un Infirmier Dans La Ville

Une fois n'est pas coutume, psycho vient de faire la note que je voulais faire alors je lui pompe honteusement son texte (remarquable d'ailleurs et puis au fond il s'y connait mieux que moi, non?)

Dans un rapport remis au gouvernement, Jean-Marie Bockel propose de dépister précocement, vers 2/3 ans, les troubles du comportement.
( ici et là )
Ce ne serait pas dérangeant si ce dépistage précoce n’était pas en filigrane mis en lien avec l’idée que ces enfants sont à risque de devenir de futurs délinquants.
Ceci rejoint d’ailleurs la très critiquée étude de l’INSERM sur les troubles de conduites précoces des enfants.
J’insiste cependant, le dépistage précoce est important, voire fondamental pour ne pas se laisser développer des troubles. Il faut sensibiliser les intervenants de la petite enfance, créches, écoles, nounous, et parents, au repérage précoce de troubles psychiques. Et donner de l’information sur les aides et les professionnels qu’on peut trouver. C’est indispensable.
Par contre, là où c’est gênant et très peu éthique, c’est l’aspect PREDICTIF de ces diffèrents rapports, qui laissent sous-entendre qu’un trouble du comportement précoce est signe d’un futur délinquant, en tout cas d’un futur enfant à problème.
Le libre arbitre existe-t-il ? Sommes nous maîtres ou pas de notre destinée ?
Tout est il déjà tracé à deux ans ? La psy serait elle de la pure fumisterie si tout est joué d’avance ?
Evidemment que je ne suis pas d’accord avec cette vision des choses ! On se croirait revenu aux conceptions du XIX ème siecle, où les enfants « à problème » issus des classes modestes étaient forcément de « la mauvaise graine », qu’il fallait rééduquer, et encore, si on avait la chance d’y arriver, parce qu’avec « ces enfants là », le mal est inscrit en eux.
Au XIXème, vous ne deveniez pas délinquant à cause de la misère dans laquelle vous étiez né. Non, on considérait que pour certaines populations, le mal était atavique, ils le portaient en eux dès la naissance, comme une mauvaise graine. Et s’ils étaient misérables, c’était parce qu’ils ne voulait pas s’en sortir. Ils l’avaient bien cherché.
Or, si on nait « mauvais » et qu’on reste « mauvais », on ne considère plus la nécessité de soins psychiques. Puisque ca ne changera rien. Non, on enferme, on punit, on parque, on isole. Comme au XIXème.
Veux-t-on vraiment en revenir là ?….
Je ne sais pas en détail ce que disent ces rapports, cependant il faut toujours se méfier des messages prédictifs par rapport à une population.
Rien n’est plus compliqué que la psyché humaine, et quant à savoir comment va évoluer un individu, cela implique tellement de variables (évènements de vie, rencontres, traits de personnalités, histoire familiale), que cela me semble difficilement modélisable.
Il y a souvent dans là dedans des erreurs conceptuelles, des erreurs de raisonnements.
Quand on dit dans ces études que les troubles du comportements de l’enfant de deux ans sont à risque, susceptibles de devenir délinquants , c’est parce que probablement, on a fait une étude rétrospective : c’est à dire qu’on prend une population de délinquants adultes et on cherche, en arrière dans leur histoire, si ils ont présentés des troubles étant enfants.
Alors, avec cette façon de faire, on peut y aller : oui, on va trouver qu’une majorité de délinquants avaient des troubles étant petits. C’est presque certain. Famille recomposées, difficultés sociales et/ou éducatives, troubles psychopathologiques associés…
Mais il faut faire attention : ce n’est pas parce que des adultes délinquants ont souvent dans l’enfance présentés des troubles du comportement, que TOUS les troubles du comportement chez l’enfant donneront des délinquants.
Ca ne marche pas dans les deux sens.
Je m’explique.
Si je vous dis : la majorité des mécaniciens sont des hommes, vous me dites ok.
Si je prends le raisonnement à l’envers et que je vous dis : donc, ça veut dire que les hommes deviennent en majorité mécaniciens, vous vous dites que ça ne marche plus.
Le groupe des « hommes » impliquent d’autres sous groupes (les boulangers, les policiers, les psychologues – même s’ils sont peu nombreux en tant qu’hommes), c’est un groupe beaucoup plus large que le sous groupe « mécano ». Tous les hommes ne sont pas mécanos, même si la plupart des mécanos sont des hommes.
Ok ?
Donc lorsqu’on dit : la plupart des délinquants ont présentés des troubles du comportement étant enfant, c’est probablement vrai.
Mais si on fait le raisonnement inverse : la plupart des enfants qui présentent des troubles du comportement risquent de devenir délinquants, là c’est de la généralisation abusive.
Dans le groupe des enfants à troubles du comportements, certains s’amélioreront, d’autres pas. Parmi ceux là, certains arriveront tout de même à s’insérer correctement dans la société.
Et ce n’est qu’une petite frange des anciens enfants à trouble du comportement qui deviendront délinquants.
Donc attention aux études rétrospectives…. Ce qu’elle disent dans un sens (qu’un trouble A dans le présent est corrélé à un trouble B dans le passé) ne marche pas dans l’autre sens (ce trouble B aujourd'hui  ne donnera pas toujours le trouble A demain ).
(Les bloggueurs ont tous acheté un ordinateur dans le passé  – Tous ceux qui achètent un ordi deviendront bloggueurs ???)
Il faudrait pour avoir plus d’éléments faire une enquête prospective : c’est à dire dans un grand laps de  temps, suivre des enfants présentant des troubles du comportement. Les suivre pendant 20 ans. Et voir au final, une fois adultes, quelle proportion est devenue « délinquants ». (d’ailleurs il faudra s’accorder sur ce qu’on fait rentrer dans la définition du déliquant, le consensus n’étant pas facile à mon avis)
Or ce genre d’étude, c’est extrêment long et plus compliqué à faire qu’une étude rétrospective où il suffit d’aller interroger une population témoin.
Enfin je terminerai en m’étonnant…. Beaucoup.
Ce gouvernement veut dépister précocement les troubles du comportement. Très bien.
Mais pourquoi dans le même temps, est-il en train de supprimer les RASED (et encore là aussi)  (Rased : les aides psycho-éducatives au sein des écoles).
Les psys scolaires, les rééducateurs scolaires sont en train de disparaître, par volonté gouvernementale.
Or, on veut dépister davantage les troubles.
Ok, mais on en fait quoi des enfants à risques qu’on a dépisté ? On les adresse où alors ?
C’était pourtant bien d’avoir des intervenants au sein de l’école, qui pouvaient eux aussi repérer précocement ET en même temps, prendre en charge précocement.
Si ils ne sont plus là, il faudra se diriger vers les CMPP ou les centre médico-psychologiques, qui sont déjà surchargés à l’heure actuelle.
Ou évidemment, si vous avez les moyens, en libéral.
Mais ceux qui n’ont pas les moyens ? D’ailleurs, l’étude de l’INSERM doit sûrement montrer que les difficultés socio économiques sont corrélées avec les difficultés de comportement…
Les populations défavorisées devraient donc être au cœur du dispositif d’aide !
Or, pour elles, il n’y aura plus rien comme aide à l’école.
Aller au CMPP ?
Mais si vous n’avez pas les moyens, pas de véhicule, aller au CMPP s’apparente à une expédition ! Pour peu que vous habitiez la campagne, il faudra aller consulter à la grande ville. Comment sans voiture ? Mystère.
Et moi même qui consulte dans une grande ville, j’entends quelques fois ces familles sans trop de moyens me dire qu’elles ont fait 45 mn de bus pour venir me voir….
Supprimer les aides à l’école, ça veut dire que ces familles vont galérer pour faire suivre leur enfant, voire ne vont plus le faire du tout s’il faut traverser toute la ville et passer la demi journée en transport pour cela…
Quand je vois certaines collègues, en manteau de marque et voiture de sport, me dire « pfff cette famille là n’a même pas fait suivre correctement son enfant ! »…Ben oui, pétasse…. Quand on est mère seule avec trois enfants, pas de véhicule, qu’on doit traverser la ville pour aller voir le psy, le tout en devant être à l’heure ensuite pour la sortie de l’école des deux autres….
Ben on finit par ne plus le faire. C’est tout.
Et si il n’y pas de psy à l’école, tant pis alors pour le gamin…
Voilà l’ambiguïté de ce dispositif : mieux dépister. Mais en supprimant petit à petit les moyens de prendre en charge….

Alors... On fait quoi ?


Note Perso 1
: On peut aussi ajouter le fameux effet pygmalion qui fait que l'enfant se comporte au final exactement selon l'image qu'on a de lui... Encadrer des trois ans un enfant comme un futur délinquant est donc la meilleure façon de le faire devenir...

Note perso 2
: Je ne perds pas de vue non que le gouvernement ressort à dessein aujourd'hui cette idée. La campagne commencera l'année prochaine en septembre 2011. En attendant, fidèle à son image, il s'amuse à exciter les gauchiste et rouler des épaules (même en sortant un texte qui a déjà été rejeté par le conseil d'éthique). Pour moi donc la ressortie de ce texte n'est pas un hasard : quelqu'un reprend ses grands standards et roule des épaules pour parader sur la frange radicale de son électorat, passer pour celui qui fait ce qu'il dit sans s'encombrer des "idéologies"... A partir de septembre 2010 il fera machine arrière, remettra un col roulé et proposera d'autre solutions plus crédibles... pour 2013 (alors des profs revoteront pour lui?).   


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