Clin d’œil.
A coffee-house in Palestine, auteur inconnu, wikimedia commons, domaine public.
Sur le coup de 17h, les rayons du soleil frappent la vitrine du troquet selon un angle bien particulier.
Détourant les grosses lettes blanches apposées sur le verre épais, les rais inscrivent un message codé sur le zinc patiné par les coudes de générations de joyeux lurons prompts à lever leurs verres en salut déferrent à l’astre solaire.
Le pilier de bar, sans trop se tordre le coup décrypte l’énigme sacré qui renseigne alors l’explorateur du demi-sans- faux-col ou du petit noir encré et bien serré.
« Au rendez-vous - sandwich à toute heur ‘ ».
Le Champollion du ballon, sans pierre de rosette mais avec un peu de beurre et de cornichon, saisit, après moult réflexion, que le « e » final a pris la tangente un jour de grand vent ou de nettoyage un peu trop appuyé.
« Au rendez-vous ».
Un nom banal parmi les platitudes bar-tabaquesques.
Les fées Seita ou Pernod-Ricard auraient pu se pencher indifféremment sur le berceau du débit de boisson nouveau né et lui choisir comme patronyme « le Balto » ou « A la Marquise ».
Mais « Au rendez-vous », c’est bien plus qu’un nom cliché qui dissimulerait un lieu pour individus désœuvrés...
Pendant que je tourne machinalement ma cuillère dans le fond caramel de la tasse « Sucres Richard », je songe avec impatience à ceux qui ne vont pas tarder à pousser la porte du troquet.
Du zinc, nous ferons quelques pas sur le carrelage brun en direction de la table du fond, là où la vue sur la vie mêle la quiétude au tourbillon de la rue.
Nous passerons devant Michel, qui, rivé à son Ricard blanchâtre, nous lâchera un « 'lut » les yeux dans le vague.
Mademoiselle Brigitte, son affreux teckel à la gueule puante sur les genoux, déballera le sucre qui glissera de sa tasse de thé vers les crocs du cabot jappeur.
Nous nous installerons bruyamment autour de la table nue, sous les yeux des habitués qui tendront l’oreille en camouflant gauchement leur curiosité à notre encontre.
Il faut bien dire que nous ne passons jamais inaperçus, enthousiastes et un peu envahissants, passionnés et volubiles tout le temps.
Pat déballera le premier exemplaire de son nouveau recueil, petit frère attendu « Du sang des chaînes » et, un peu inquiet de se livrer à notre critique bienveillante mais sincère, il laissera s’éloigner dans nos mains indiscrètes, son précieux bambin.
Tandis que Will nous expliquera les prodiges de sa nouvelle tablette tactile et nous commentera les délires d’un monde qui tourne souvent à l’envers ou qui dévalent les montées sur la tête, Dédé nous croquera de sa plume alerte et dotera chacun des couleurs qui lui siéront le mieux dans l’instant.
Son cahier de croquis, bientôt rempli de traits serrés ou de larges envolées, laissera dépasser le ramage de l’oiseau mi-taquin mi-attendri dont nous arborons tous les plumes plantées dans le cœur.
Plumes de graphistes, plumes d’écrivains, plumes de poètes, plumetis de la vie nous réunis.
Thierry arrivera nimbé de son manteau neigeux, c’est qu’il fait déjà froid dans sa lointaine contrée et qu’en homme avisé, il aime voyager bien équipé. De sa valise perceront les cris et les bruits furieux des batailles de ses héros. Une chanson enfantine portée par une voix cristalline viendra remettre un peu d’ordre dans son capharnaüm portatif. Silence, là-dedans, vous donnerez bientôt de la voix !
Seb, la câline coquine qui aime à tresser les sentiments de tous les jours pour en faire des parures pour amours suaves, viendra nous susurrer ses « mots d’où », d’ici, d’ailleurs, de-ci-de-là et c’est parfait comme ça. Kiss, kiss !!
Et moi ?
Moi, j’attends leur arrivée, l’œil fixé sur la grosse horloge à pile qui bourdonne au-dessus du comptoir.
J’attends…
17h15, ils ne vont pas tarder…
17h20, j’attends et je me ronge les sangs.
Et s’ils ne venaient pas ?
Mais… au détour des rues intérieures, j’entends déjà le pas décidé de Virginie qui approche…
Ça y est, je les vois ! Ils sont tous là !