Magazine Journal intime
Un ancien coéquipier m'apprend la disparition de Michel Mongeau. J'avais eu la chance de le compter dans mon équipe d'été, il y a de ça une éternité. C'était un magicien, un type bien, un formidable athlète. Tous ceux qui ont joué en sa compagnie en ont gardé un souvenir ébloui.Un soir, je ne l'oublierai jamais, nous avions tellement de joueurs absents que je m'étais retrouvé sur son trio (que je réservais aux talentueux). À la première montée, il me crie « bureau ! ». J'obéis aveuglément et je me poste en plein devant le filet, malgré qu'il soit rendu dans le coin avec quatre maillots noirs occupés à le rudoyer. Comme j'ai du temps, là, tout seul, j'en profite pour regarder la position du gardien. Soudain, je sens un choc lourd dans le ruban de ma palette. Je regarde, incrédule. Bin oui. Je l'ai ! Avant même de commencer à me demander par quel prodige il a bien pu réussir cette passe improbable, j'entends mon tir qui fait résonner la barre horizontale juste au-dessus de l'épaule du gardien. Ce dernier regarde partout, complètement paniqué. Je commence à m'injurier dans mon casque, mais j'entends Michel qui vient de reprendre la possession derrière le but : « pas grave ! pas grave ! »… Je crois bien qu'il m'a fait marquer deux ou trois buts, ce soir-là, chose qui peut être considérée au rang de ses plus incroyables exploits. Il me forçait à compter en m'utilisant comme mur pour dévier ses tirs. Ça devait le changer de ses présences à Saint-Louis lorsqu'il voyait Brett Hull à ma place. Eh, eh, eh.Michel avait accumulé 180 points à sa dernière saison dans le junior. Il a ensuite passé sa vie à se faire dire qu'il était trop petit pour la LNH, malgré sa production monstrueuse. Un certain soir, dans la Ligue Internationale, un morlock lui a détruit le visage. Sept fractures à la figure. Un mois la mâchoire brochée, des centaines de points de suture, 10 mois de convalescence. Un ami commun m'avait dit qu'il accrochait ses patins, que c'était, bien évidemment, fini. Je n'ai pas suivi la suite de sa carrière. Je l'imaginais restaurateur ou proprio d'un bar. J'apprends ce soir, en même temps que l'accablante nouvelle de son décès, que Michel a persévéré dans les mineures jusqu'en 2004. Incroyable. Je m'étais toujours dit que je l'appèlerais un jour, histoire de l'entendre me raconter son incroyable cheminement, lui payer une bière pour tous les souvenirs ébahis, lui avouer que je l'ai suivi comme un fan, la pointe du stylo dans les microscopiques colonnes de stats des Generals de Saginaw ou des Rivermen de Peoria. Le remercier, simplement, parce qu'il fait partie des gens qui m'ont permis de participer durant quelques secondes à ce que je pourrais appeler le grandiose. Quelques mots sur lui, ici, ici, et ici. Repose en paix, Michel.On prendra cette bière, mais ailleurs. © Éric McComber