Magazine Côté Femmes

UNE SEMAINE SANS HIGH-TECH, Marie Claire, XII-10

Publié le 08 novembre 2010 par Caroline Rochet

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Sept jours sans Internet, mails ni téléphone mobile ? Un pari a priori impossible à gagner pour notre journaliste accro aux nouvelles technologies. Cette geekette a pourtant relevé le défi … et légèrement souffert. Récit d'un retour au XX° siècle.

Par Caroline Rochet. Photos Fabrice Guyot

LA VEILLE

Surmotivée, je prépare mon expérience paranormale tel le sportif de haut niveau abordant les J.O. Message explicatif sur mon répondeur, mail automatique d’absence, larmoiements sur Facebook, je respire profondément par le ventre en prévenant mon entourage que je ne serai désormais joignable que sur téléphone fixe. Les réactions fusent : incrédulité (mes meilleurs amis), incompréhension (des copains concepteurs de sites web), perplexité (mon mec), hilarité (mes chefs), envie (mon frère surbooké) … et mauvaise foi (ma voisine) : « Une semaine sans web ni téléphone portable ? Mais il y a plein de gens qui vivent très bien comme ça ! » Vraiment ? Les chiffres disent pourtant le contraire : aujourd'hui en France, nous sommes plus de 35 millions à utiliser Internet, 15 millions à avoir un profil Facebook, et il existe 61,5 millions de comptes de téléphonie mobile (dont 7 millions sur smartphone). Pour travailler, échanger, aimer, ces petites bêtes sont devenues essentielles. Surtout quand on a trente ans et qu'on est journaliste ... Rien que d'y penser, je sens la panique monter. Et, telle une toxico en pré-sevrage, me mets à checker mes mails toutes les 8 secondes, tripoter frénétiquement mon mini lecteur MP3, inonder de messages les profils Facebook de mes amis, tout en promettant solennellement à mon téléphone portable chéri que je l'aimerai toujours. Puis je l’éteins dans un profond soupir. C’est parti pour une semaine préhistorique.

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VIE PRATIQUE

Même si je m’en doutais un peu, cette insoutenable expérience me révèle à quel point je suis devenue une pathétique assistée de la vie, incapable de me débrouiller sans mes petits jouets magiques. Du lever au coucher, je me demande successivement comment me réveiller sans l’alarme de mon téléphone (je ne possède pas de réveil-matin, compte sur le lever du soleil, et arrive donc en retard au boulot), écouter la radio (la pratiquant plutôt en podcasts, j’ignore quand passe « 2000 ans d’Histoire » en vrai), lire la presse (ah tiens, « libé.fr » existe aussi en version papier ?), acheter de la musique (adieu iTunes, bonjour la Fnac, mais j’ignore comment me procurer un single), aller au sport (vous avez déjà couru sans musique ?), essayer un nouveau risotto (mon vieux livre de recettes est légèrement moins fourni que les centaines de sites de cuisine du web), retrouver une copine au concert des Guns’n Roses (« Heu, je serai devant Bercy avec seulement 17 000 personnes, tu me trouveras facilement »), caler une séance de ciné (je redécouvre l’existence des programmes dans les quotidiens locaux), prendre un truc marrant en photo (dois-je vraiment emporter un gros Nikon argentique partout avec moi ?), prévenir que je serai en retard à un rendez-vous (bon, ok, je n’ai pas le choix, et serai donc à l’heure), trouver un itinéraire sans iMap ni GPS (j’avais oublié l’existence des plans de Paris en papier), réserver des billets de train (farceuse, j’ai ressorti un Minitel de la cave**), m’occuper en cas d’attente (les mots fléchés, c’est trop bien), obtenir les coordonnées d’une boutique (hein, comment ça, le 12 n’existe plus ?!), passer un coup de fil urgent quand je suis dans la rue (non, toutes les cabines téléphoniques ne prennent pas la CB, et oui, leur propreté n’est qu’un doux rêve), organiser mon emploi du temps (diantre, un vrai agenda à remplir et surtout raturer avec un vrai crayon), et d’une manière générale, survivre sans l’aide de Google pour les centaines de questions que je me pose par seconde. De vous à moi, je l’avoue sans honte, je suis totalement perdue. Et surtout épuisée.

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AU BOULOT

Nous en arrivons à la pièce de résistance. Très honnêtement, je pensais que le plus difficile dans cette expérience web-free se situerait du côté perso. J’avais tort. Et sachez-le une bonne fois pour toutes : dans certains métiers, il est aujourd’hui strictement impossible de travailler correctement sans Internet. Vous avez besoin d’envoyer une info à 50 personnes ? Privé de mail, vous n’avez plus qu’à passer 50 coups de fil - ce qui ne vous prendra qu’une demi-journée. Vous avez besoin de connaître la bio d’un homme politique ? Pas de problème, galopez donc à la bibliothèque la plus proche, ou attendez deux jours que son attaché de presse vous envoie l’info par la Poste ! Pour ma part, tout ceci est particulièrement excitant dans la mesure où je dois cette semaine travailler sur ma page « Web & High Tech » de la rubrique Culture … Cerise (ou plutôt pomme) sur le gâteau, ma semaine infernale comprend une conférence de presse sur les cybercriminels, alias les pirates du web (qui m’apparaissent alors comme de fieffés veinards …), ainsi qu’un charmant rendez-vous chez Apple, pour « tester les dernières nouveautés iPod ». Je manque défaillir de frustration face à ces diaboliques objets de désir, mais m’interdis de les toucher, attirant la sympathie (ou la pitié) des attachées de presse. Bonne élève, je rentre écrire mes articles au stylo sur carnet Moleskine. Et redécouvre avec émotion ce qu’on appelle la « crampe de l’écrivain ».

MON CHÉRI

Avec l’homme qui a la chance (…) de partager ma vie, nous sommes les plus gros consommateurs de SMS et MMS du monde – c’est bien simple, si ceux-ci étaient encore payants, Bouygues Telecom érigerait certainement une statue en or à notre effigie. Côté mails, heureusement, nous sommes plus modérés – à peine une centaine par heure. C’est donc tout naturellement qu’il a failli sauter par la fenêtre et/ou m’étrangler sauvagement quand je lui ai annoncé la nouvelle de cette semaine off. Pourtant, contre toute attente, nous tenons bon, et réussissons même à trouver des avantages à cette épreuve douloureuse : le soir, nous avons mille fois plus de choses à nous raconter qu’avant, et la journée, nos mots doux fleurissent sur de nouveaux supports (cartes postales kitchs, miroir de la salle de bains, télégrammes romantiques coûtant un bras et demi* …). Bien sûr, poussé par un humour douteux, cet homme cruel me nargue, brâmant joyeusement devant ses news Facebook et envoyant des textos tous azimuts en ricanant. Dans ma grande sagesse, je sais rester stoïque, et jure que la triste fin de son iPhone 4 - malencontreusement passé à la machine avec une lessive de draps - n’est qu’une bête erreur. Totalement involontaire.

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MES AMIS

Durant cette improbable semaine dans ma grotte, c’est bien simple, je ne sais plus qui ils sont, ce qu’ils font, où ils sont. Cette expérience de vie déconnectée m’apprend sans ménagement une vérité fracassante : mes chers copains ignorent comment appeler un numéro de téléphone ne commençant pas par 06 (les 01 doivent leur faire peur), et ne daignent pas me prévenir continuellement de leurs faits et gestes par courrier postal. Sans Facebook, mail ni SMS, mes amis et moi sommes à peu près aussi doués en communication qu’un Chewbacca sous LSD. J’apprendrai finalement avec effarement que durant mon « absence », Mathieu s’est cassé le bras, Tiphaine a quitté son chéri puis trouvé un nouveau, Corinne a accouché (et bizarrement pas pensé à m’en informer par pigeon voyageur plutôt que par texto), une pub virale pour Tipp-Ex a fait un buzz énorme (apparemment, quiconque ne l’a jamais vue sur Youtube mérite la pendaison par la langue), et tout le monde adore un nouveau groupe de rock british dont je ne connais même pas la moindre note. Abattue, je me sens aussi socialement jetlaggée qu’un Kounta de Mauritanie parachuté en pleine Silicon Valley. Une amie me propose des anti-dépresseurs. Je lui demande s’ils sont Wifi ou 3G.

UNE VIE PLUS ZEN ?

Une phrase récurrente à l’annonce de mon expérience a été : « Ah, super, tu vas voir, je suis sûre que ça va te déstresser ! ». Hum. Comment dire. Il y a 15 ans, en effet, l’univers tournait sans mails, quasi sans portables, et tout le monde baignait au même rythme dans une vie moins urgente. Mais quand vous êtes l’exception, la seule à ne pas être ultra connectée, le stress devient votre pain quotidien : tout est plus compliqué, n’importe quelle mission prend dix fois plus de temps, et cette impuissance vous gratifie d’une humeur de chien (je pense avoir plus éreinté mes pauvres collègues au cours de cette semaine que lorsque j’ai arrêté de fumer). Donc non, je ne dirais pas que la vie sans connexion est en soi un havre de paix. Mais reconnaissons-le : cette semaine, j’ai dix fois plus bouquiné que d’habitude, réalisé à quel point mes proches étaient esclavagisés par leur portable, savouré un week-end au calme, et écrit mes articles dans la quiétude d’une bulle étanche (selon une étude récente, il est impossible pour les Français connectés de rester concentrés plus de 12 mn sur leur travail sans être interrompus). J’ai également apprécié de redécouvrir des plaisirs désuets tels que l’odeur d’encre de la presse quotidienne, l’humanité des voix au téléphone, ou la beauté des lettres écrites à la main. Mais, surtout, surtout, j’ai découvert que sans les merveilles de la technologie, mes chefs ne pouvaient pas me joindre en dehors du bureau. Ahem. Je vais peut-être un peu prolonger mon expérience, finalement …

* Un télégramme coûte aujourd’hui la modique somme de 15€56, rens. 36 55.

** Le Minitel compte encore deux millions d'utilisateurs en France ! Mais la moitié d’entre eux utilisent ses services via Internet (… cherchez l’erreur).


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