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Mario Vargas Llosa, La ville et les chiens

Publié le 08 novembre 2010 par Argoul

mario-vargas-llosa-la-ville-et-les-chiens-folio-2010.1288861695.jpgLes chiots de la nouvelle éponyme sont devenus les chiens. Ils ont grandi dans le Lima péruvien des années 1950. Nous sommes en Amérique latine, continent machiste, catholique, hiérarchique et autoritaire (ce pourquoi les Français adorent, aussi bien les touristes sur les sites des sacrifices humains que les gauchistes et la révôlutiôôônnn guévariste). L’Amérique latine a les mœurs de la France, en un tout petit peu plus archaïque, peut-être. Castro a symbolisé ce que Mendès-France n’a pas pu devenir, et Allende ce que Mitterrand pouvait être – sans parler du très gaulliste Perón. Passons…

A 14 ans, les gamins sont happés par les collèges, soit curés, soit militaires. L’idée reçue dans la bonne société est qu’il faut les dresser, ces mômes qui abordent la vie. Ils sont obsédés par les idées de faire comme les grands : fumer, picoler, baiser. Il y a trop de tentations dans la ville, entre l’école, la plage, le cinéma et la maison. Rien de tel qu’une bonne maison pour les mettre en pension. Les parents le disent eux-mêmes : le collège militaire, c’est pour éviter la maison de redressement ou pour empêcher qu’ils soient pédés. Dans une société où le ‘virilisme’ est poussé au paroxysme d’une Méditerranée portée aux rives d’un océan, faire des hommes vaut mieux que frère des hommes.

Alberto est donc envoyé au collège militaire Leoncio Prado de Lima. Il entre l’année de ses 14 ans en troisième année, il devient donc un « chien ». Il doit être dressé et obéir à ses aînés comme à ses supérieurs. Mais la vie de caserne, à l’âge tendre, n’est pas des plus drôles. Comme en meute, il faut établir sa place, se battre, mordre et se palper en meute pour être accepté. Très vite naît le surnom, celui qui qualifie votre originalité. On ne sait pas son nom, mais il y a « le Jaguar » parce qu’il est aussi souple, vif et insaisissable que le félin lorsqu’il se bat. Alberto est vite appelé « le Poète » parce qu’il sait écrire des lettres d’amour aux filles pour les autres, et de petits romans porno qu’il vend à ses copains pour acheter des cigarettes. Il y a aussi « Boa » parce qu’à poil dans les douches on peut voir pendre son long sexe ; il se fait d’ailleurs une poule (une vraie, à plumes !) devant ses copains sur les arrières du collège. « Le Frisé » l’est en raison de ses cheveux nègres en poil de couilles. Et puis « l’Esclave », celui-là parce qu’il répugne à se battre et qu’il se laisse faire.

Tous se soudent lors des premiers jours d’entrée au collège où les brimades des grands sont humiliantes et prolongées. Il s’agit toujours de coups, d’alcool et de sexe – tout ce qui « fait un homme » ma bonne dame, selon les mœurs machistes du temps et de la culture catho-latine. Le Jaguar, parce qu’il n’a pas peur et est le plus rusé, devient chef de la bande. Il les fait se venger, organise les vols pour compenser les affaires perdues ou pour connaître à l’avance les sujets d’examens, ment avec aplomb lorsque son intérêt le commande. Mais il n’aime pas les mouchards. Sa force repose sur l’emprise qu’il a sur les autres et la dénonciation, même par morale ou devoir, casse ce pouvoir personnel. Ce pourquoi le drame va se nouer.

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Poussé par le Jaguar, Cava va voler un soir les sujets d’une composition de chimie. Nerveux, il casse un carreau et l’effraction est découverte. Tout le monde est consigné. L’Esclave devait sortir pour voir la copine Teresa dont il est amoureux, il ne peut pas. Rejeté par les autres qui lui pissent dessus quand il dort, lui collent des morpions dans les poils pubiens, le frottent et le traitent de petite femme, il n’a rien à perdre et tout à gagner. Il négocie donc sa sortie contre une dénonciation. Mais, dans un monde étroit, tout finit par se deviner, sinon par se savoir. La vengeance sera terrible. Cet excès même va retourner Alberto, qui a brimé l’Esclave come les autres. Il a grandi, mûri, est lui-même amoureux. Il s’interroge sur les limites : tout est-il permis au nom de la solidarité de clan ? N’y a-t-il pas des principes supérieurs concernant la vie humaine ? Est-ce courageux de se taire alors qu’une chose très grave a été commise ? Dénoncer le mal, est-ce trahir ?

Ce long roman, le premier de l’auteur, écrit à 23 ans, se déroule par chapitres captivants qui vous laissent en haleine. De fréquents retours en arrière, changement de plans et de personnages qui disent « je » avant d’être repoussés au « ils », composent une trame baroque, accordée à la mentalité du Pérou années 50. La sensualité affleure aux chemises déboutonnées, aux baisers des petites amies ou aux actes gratuits des putes envers les moins de treize ans. Le milieu des garçons entre eux est carrément planté, avec ses défis permanents, son exaspération sexuelle, sa hiérarchie des compétences, ses rêves naïfs et sa camaraderie de panier : les chiots entre eux s’aiment bien, non d’affection mais de promiscuité. Voir un semblable « à poil » des mois durant crée un sentiment, ainsi qu’il est dit dans le roman. Les filles, c’est l’extérieur, la ville, un terrain vierge où se répandre en conquérant. Ce sont jusqu’aux statues érigées des généraux, héros nationaux, qui indiquent la voie de leur sabre brandi ; ils balisent le collège et les places de la ville, symboles du pouvoir mâle dominateur.

D’ailleurs le Poète deviendra ingénieur et le Jaguar banquier…

Mario Vargas Llosa, La ville et les chiens (La ciudad y los perros), 1962, Folio, 530 pages, 7.79€


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