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Lecture (littérature malgache d'expression française).

Par Ananda

Magali Nirina MARSON : JE ME DÉSERTE… (nouvelle), Nouvelles de Madagascar, Magellan Editions, novembre  2010.

Une nouvelle qui prend aux tripes.

Qui ressemble à un témoignage.

Pas d’effets littéraires, pas de souci de peaufiner de « belles phrases » luxueuses .

Une authenticité totale, voulue, pleinement assumée….pour dire le réel d’un pays. Pour coller à sa vérité.

Une jeune héroïne déchirée, dévastée en sa chair, son âme, qui s’exprime comme vous et moi lors d’une banale conversation…et, croyez-moi, cela fait mouche !

Un récit dense, naturel, aux accents volontairement mats. Parfait reflet d’une âme brisée, mais fière. Forte. Et l’on y croit !

On voudrait pourtant, ne pas y croire : l’insoutenable, le sale, le laid.

« le mal de la chair », lié à ceux de la pauvreté et de la violence.

Toutes les réalités sordides qui s’attachent à la vie dans un pays qui compte, ne l’oublions pas, parmi les plus déshérités et les plus instables de la planète.

Sans la moindre concession, Magali Nirina MARSON décrit une Île Rouge encore largement sous l’emprise néocoloniale des Vazahas (Blancs et, en particulier, Français).

Elle insiste de façon répétitive et lancinante sur le pouvoir écrasant, à nul autre pareil, du volo (argent). L’argent fait tout, décide tout, il dresse la barrière, creuse le gouffre : gouffre incommensurable entre les riches Blancs de l’hémisphère nord (qui paraissent si puissants, si libres) et la majorité du peuple malgache qui a tant de peine à survivre ; gouffre non moins irrémédiable entre ce même peuple malgache et « ceux de la Haute », les puissants d’un pays qui ignore encore le concept de classe moyenne.

Phrases au combien révélatrices, qui sonnent comme des écorchures : « Ils ne savent pas la misère », « ça n’intéresse personne, la misère », « C’est les diplômes étrangers qui comptent » , « Ceux qui ont de l’argent ne peuvent pas savoir », « qui a envie de savoir vraiment ? ».

Impuissance de la pauvreté. Solitude de la misère, qui enferme.

La misère, qui salit tout.

La domination qui souille tant le corps social que le corps-même des êtres qui le constituent.

L’archétype : celui qui a « tellement rien ! » qu’il n’a d’autre solution que de s’en aller rôder vers « le coin des boîtes et des hôtels pour Blancs ».

Les maux : le besoin d’autodestruction qui hante la narratrice, le mal de ne « tellement pas s’aimer » qui ronge, gangrène tout un peuple, au point de l’amener à la quasi-obsession de « fabriquer du métis », le malaise métis en lui-même (« Il faut avoir de l’argent pour exister, à Madagascar, mais encore plus si on est demi-blanc »), le mal consubstantiellement lié à la sexualité masculine, tellement entachée de violence, de désir de domination et, en fin de compte, de faiblesse.

On ne peut ressortir que secoué, la gorge nouée d’une telle lecture.

Madagascar, ce pays si attachant, si unique en son genre, méritait-il cela ?

Nous avons bel et bien, ici, affaire à une nouvelle engagée.

Dans les pays riches et repus d’Occident, l’engagement intellectuel et littéraire semble « passé de mode » (sauf, peut-être, pour se poser en arrogants « champions des Droits de l’Homme », ce qui, en passant, ne manque pas d’ironie). Mais dans le Tiers (ou le Quart) – Monde, il ne peut en aller ainsi. Les vertigineuses injustices y sont trop hideuses, trop criantes.

Par cette nouvelle, Magali Nirina Marson se place droit dans le sillage de grandes plumes du Sud, telles Ananda Devi ou Arundati Roy.

Elle possède à coup sûr cet art d’entremêler inextricablement le drame personnel d’un être et la tragédie sociale dans laquelle ce dernier évolue.

Gageons que ce talent en train de poindre de façon si prometteuse nous vaudra, à l’avenir, de grands romans.

Un jeune auteur à ne pas perdre de vue…

P.Laranco


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