Ne me demandez pas pourquoi j’ai eu envie de commencer cette note par les quatre conditions du Bonheur selon Edgar Allan Poe, je n’en sais rien. Peut-être parce que cela me touche, et qu’en même temps je m’aperçois avec horreur que j’en suis encore loin ? Allez savoir…
En tout cas je dédicace cet article à mon ancien collègue Mister Book, qui fut le premier à m’accueillir au pays des cigognes, et qui s’en va à présent goûter la vie en plein air du beau pays breton. Je lui souhaite grand bonheur dans cette magnifique région.
Mais revenons-en à nos considérations cinématographiques du jour.
Je suis allé voir L’Homme qui voulait vivre sa vie.
Cela n’a l’air de rien, mais c’est quand même, en soi, un mini-exploit. Parce que j’ai longtemps eu du mal avec Romain Duris (jusqu’à L’Auberge espagnole, je crois, mais il a fini de me convaincre par son Arsène Lupin, quand bien même le film était assez largement raté), et parce que le nom de Douglas Kennedy me fait autant d’effet qu’un article de Sciences et avenir sur la reproduction des vers à soie dans l’Ariège profonde.
Mais même pas peur. J’y suis allé quand même.
Alors… euh… Déjà ce n’est pas un problème d’interprétation. Elle est bien comme il faut : Duris est à l’aise dans son pétage de plomb, Marina Foïs est d’une ambiguïté redoutable, Niels Arestrup se bourre toujours aussi bien la gueule et je suis content d’avoir découvert l’actrice serbe Branka Katic. Le problème ne vient pas non plus de la réalisation en elle-même. La mise en scène de Lartigau est souvent inspirée. Rien de choquant.
Pourtant, ce film m’a laissé profondément mitigé lorsque les lumières se sont rallumées.
Encore maintenant, en écrivant ces lignes, je ne vois toujours pas où nous mène cette histoire, où l’on veut en venir.
Les ficelles sont pourtant énormes. Elles se nomment Anonymat, Rédemption, Tentation. C’est beau, non ? On dirait la série des Twilight… Mais en-dehors de ça, ce n’est pas clair. Que fait-on de ces trois machins-là ? On les mélange ? Faut-il alors considérer l’anonymat comme la rédemption d’une tentation ou la tentation de l’anonymat comme une rédemption ? (Vous avez quatre heures, et pas de pause pipi avant la première heure…)
Ouais parce que c’est facile, hein, Messieurs Kennedy et Lartigau, de poser des tas de questions en se foutant pas mal de la possibilité d’y apporter ou non une réponse !
Du coup, la seule vraie question qui reste, c’est « Cela valait-il la peine de débourser quelques huit euros pour voir ça ? »…
M’enfin, ce n’est quand même pas si grave. Ce n’est pas comme si Houellebecq obtenait le Prix Goncourt, hein. Ah ah ah, j’aime parler science-fiction !
Comme je ne suis pas homme à ne pas rechercher la plus petite once d’intérêt dans ce qui ne me déplaît, j’avoue ne pas avoir été insensible à l’idée première : celle de disparaître, de devenir une ombre, un souvenir, comme un animal qui abandonne son ancienne peau après la mue.
Entendons-nous bien, ce n’est qu’une tentation. Mais elle est tenace et récurrente.
Je l’ai déjà fait dans ma vie, et j’y ai également souvent cédé sur le ouèbe, en quittant un blog et un pseudo pour recommencer ailleurs. Je me suis d’ailleurs fourvoyé. D’abord parce que, sur la toile, on finit toujours par retrouver votre trace. Ensuite parce que j’ai choisi mes pseudos comme on fait un concours de celui qui pisse le plus loin. Pour essayer d’exister un peu dans ce grand bazar de la blogoprout, il fallait en « imposer », avoir un pseudo qui flashe, qui marque les esprits. Tu parles. Quand tu vois ce que donne la blogosphère à présent, il y a franchement de quoi rire. Les blogs les plus lus ? Ceux de pseudo-journalistes qui étalent leur pensée politique nauséabonde, les recettes de trucmuche, les problèmes d’ongle incarné de telle ou telle « star » du catch, les bobos pas drôles qui exposent leur conception limitée des graaands problèmes de société ou ceux qui pervertissent leur talent pour ne s’occuper que de flatter des commentateurs serviles.
Dans ces cas-là, oui, la tentation d’un retour à l’anonymat est grande. Tout lâcher, puisque je n’ai à présent plus besoin d’un blog pour publier mon travail. Ou tout changer. A commencer par un pseudo que certains – avec qui je dois désormais œuvrer en bonne intelligence – jugent un peu « agressif », voire « violent ».
D’une certaine manière, c’est ce que j’ai amorcé en supprimant les commentaires. Si l’on veut rester intègre, il ne faut pas trop se laisser toucher par les critiques, mais il ne faut pas non plus se laisser trop influencer par les commentaires élogieux.
Devenir une ombre. Un fantôme. Ou mieux encore, dans cette société facebookilisé où chacun pense que son dernier caca a le moindre intérêt pour tous ses « amis », où chaque phrase commence par « Moi je » (quand elle ne finit pas par « Lol », « J’dis ça, j’dis rien » ou « Attention, on frôle le point Goodwin »), ne plus être un individu, mais devenir, je ne sais pas… tiens, juste une lettre ou un numéro ! Ce serait chouette. En fait, il ne s’agirait pas d’être original, car nous sommes tous des codes et des numéros, mais de l’exprimer clairement, en toute conscience, avec cynisme et ironie…
Tenez, ça me rappelle la fantastique série télévisée britannique Le Prisonnier, avec Patrick McGoohan. J’adore. Je me souviens en particulier d’un épisode dans lequel le Numéro 2 essaie de faire croire au Numéro 6 qu’il est le Numéro 12. Pour cela il substitue au Numéro 6 un sosie qui est en réalité le vrai Numéro 12. Dans cet épisode, il y a deux mots de passe : « gémeaux » et… « schizophrénie ».
C’est aussi de cela dont parle L’Homme qui voulait vivre sa vie. De cette société schizophrène qui nous fait croire que nous pouvons mener plusieurs vies de front et substituer une vie (fût-elle virtuelle) à l’autre, au lieu de transformer celle que l’on a déjà pour la rendre le plus possible conforme à nos rêves…
Voilà. Maintenant à vous de me dire qui est « L’Homme qui me pourrit un peu la vie »…
Et le vôtre ? Qui est-il ?
Et… Bonjour chez vous !
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