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L’implantation avortée de Wal-Mart en Allemagne

Publié le 10 novembre 2010 par Infoguerre

wal mart 150x150 L’implantation avortée de Wal Mart en AllemagneWal-Mart est une société américaine créée en 1962. Géant mondial de la grande distribution, ce champion américain réalisait à la fin des années 90 le deuxième chiffre d’affaires au monde derrière la firme pétrolière Exxon-Mobil. A partir de 1991 et sous la pression des actionnaires qui demandent un rendement de 15% par an, la société développe ses activités à l’international. En 1998 elle décide de s’implanter en Europe et plus précisément en Angleterre et en Allemagne qui constituera sa tête de pont pour se développer en Europe continentale. A ce moment, le traité d’Amsterdam organisant le passage à l’Euro ainsi que le pacte de stabilité est négocié par H. Kohl et ses partenaires européens. Huit ans plus tard, sous le gouvernement Merkel, Wal-Mart quitte l’Allemagne sans avoir réalisé un bénéfice. Retour sur l’échec du géant de la distribution.

La stratégie de Wal-Mart
Le fondateur de la société Wal-Mart, Sam Walton, résumait la stratégie de la société en la combinaison de deux points : « every day low price » et un service client de qualité. Pour obtenir de faibles prix deux éléments entrent en jeu : la puissance d’achat de la société dont le fournisseur principal pour tous ses magasins (4000 dans le monde, fin des années 90) est la Chine lui permet de négocier de faible prix à l’unité d’une part et des méthodes de management (absence ou annihilation de toute activité syndicale notamment) lui permettant de réaliser des économies sur la main d’œuvre d’autre part. Concernant le service client de qualité, celui-ci repose sur des attitudes normées telles que les sourires imposés aux salariés, l’aide aux clients pour empaqueter les produits, l’accueil de la clientèle par l’ensemble des salariés du magasin à l’heure de l’ouverture etc. En 1998 Wal-Mart dispose de 85 magasins pour développer son activité en Allemagne.

Menace : la « wal-martisation » des conditions de travail
L’implantation de ce géant sur les marchés locaux est généralement perçue comme une menace par l’introduction d’une guerre des prix et de ses corollaires : diminution des marges et nécessité de soutenir la compétitivité pour les acteurs locaux. La captation de la clientèle de Wal-Mart repose sur de faibles prix sur lesquels les concurrents peuvent difficilement s’aligner durablement. Or le marché allemand de la distribution de détail qui est saturé se caractérise par une guerre permanente sur les prix qui favorise les consommateurs allemands reconnus comme très rationnels (généralement éduqués, informés, sensibles au prix et n’hésitant pas à comparer pour trouver la meilleure offre). En s’implantant sur le marché allemand Wal-Mart n’a pu répercuter les avantages que lui procure sa logistique : peu de magasins d’une superficie moindre en regard de sa moyenne mondiale, des lieux de stockages éloignés   engendrant des coûts de transports plus importants. Dans ces conditions, l’effet discount escompté n’a pas pu jouer en faveur du nouvel arrivant, lequel en huit ans n’a pu atteindre sa masse critique pour être rentable. Ainsi Wal-Mart ne fait pas peur et se classe parmi les derniers acteurs du marché de la distribution de détail.

L’absence de singularité sur les produits
A défaut de pouvoir s’aligner sur les prix, Wal-Mart aurait pu se distinguer sur les produits. Mais les produits commercialisés par Wal-Mart ne se singularisent pas particulièrement sur le marché allemand : les produits d’importations chinoises sont accessibles aux concurrents et ce à des prix comparables ou moindre ;   aucun produit « révolutionnaire » ou « introuvable » par n’est identifié.

De plus, les normes de certifications (qui ne sont pas toutes obligatoires) du Deutsches Institut für Normung (l’institut allemand pour les normes) sont dans l’ensemble suivies par les acteurs du marché. Ce label reconnu et valorisé par les consommateurs distingue les produits allemands et joue à rebours aux regards des produits importés. Cependant, Wal-Mart se trouve pénalisé pour proposer des produits locaux car il ne bénéficie pas de baisse de coût sensible compte tenu des volumes achetés.

Dans ces conditions où se situe la menace et sur qui pèse-t-elle ?
Les méthodes de travail de Wal-Mart reposent sur une exploitation des travailleurs et une très forte dissuasion de toute activité syndicale (passant au besoin par le financement d’activité antisyndicale, de contre grève etc.). Or en Allemagne, pays réputé pour son consensus, les syndicats travaillent avec les entreprises et sont habilités à négocier directement les conventions collectives. La menace porte sur l’américanisation ou plutôt sur la « wal-martisation » des conditions de travail en Allemagne mais aussi dans l’Union européenne et à fortiori à l’international. Ainsi une guerre s’est engagée pour véritablement décourager Wal-Mart dans son projet d’implantation.

Ver.di : le plus grand syndicat du monde
En 2001, cinq branches syndicales allemandes ont fusionné pour devenir die vereinte Dienstleistungsgewerkschaft. Le deuxième syndicat allemand derrière IG Metall et   le plus grand syndicat du monde qui regroupe en 2009 entre 2,1 et 2,4 millions d’adhérents. Il est la branche la plus puissante du syndicat UNI situé à Bruxelles qui intervient en Europe et dans diverses parties du monde. Ce syndicat a livré bataille contre Wal-Mart à tous les niveaux possibles. Organisés localement, au niveau des Länder et au niveau fédéral, l’organisation présidée par Frank Bsirske a apporté conseil, soutien logistique et financier dans la défense des travailleurs de Wal-Mart. En marge des actions de grèves et de la médiatisation, une multitude de procédures judiciaires ont été menées devant l’équivalent allemand de nos juridictions prud’hommales ou civiles : pour le paiement des heures supplémentaires, pour la prise en compte de prestations non mentionnées dans les contrats de travail, pour le respect des jours de congés, pour le respect de la durée légales des heures de travail, pour le respect des jours de fermeture des lieux de distribution, pour le respect du salaire minimum, pour l’annulation des recommandations de Wal-Mart interdisant le flirt entre collègues, contre les test de codes barres intelligents (puce RFID) effectués à l’insu des consommateurs, contre la vente des produits à perte. Pour ce dernier cas, il semble que la puissante HDE (Handelsverband Deutschland, sorte de confédération des distributeurs de détail en Allemagne) ait quelque peu apporté son soutien. Cette entité anime le secteur côté distributeurs (informations, colloques, remise de prix) et couvre toutes les questions relatives à la distribution : de l’actualité des acteurs (tous domaines de distribution confondus), au droit du travail et à la politique en passant par la fiscalité, la réalisation d’études ou la réalisation de statistiques. Ces dernières portent notamment sur l’évolution des prix des produits, ainsi devient-il possible d’identifier quels opérateurs poursuivent une politique de prix déloyales.…  
Dans la mesure où Wal-Mart avait près de 11 000 salariés en Allemagne, on peut apprécier l’impact financier de tels recours. Ainsi la firme américaine qui selon des analyses ne représentait que 2% des parts de marché de la grande distribution s’est-elle toujours refusé à publier ses comptes et ce malgré les injonctions judiciaires et les amendes assorties. Wal-Mart n’aurait réalisé aucun bénéfice en Allemagne, eu égard aux financements requis pour soutenir les actions (souvent défavorables et épuisant tous les recours possibles) en justice. C’est une véritable guerre d’usure entre la firme américaine et le syndicat qui s’instaure.

Une guerre d’usure
Entre 2002 et 2005, le syndicat fait parler de lui et au moins 84 articles sont publiés dans la presse en ligne soit une moyenne de 21 par an presque deux par mois, tous les publics sont concernés aussi bien les lecteurs de la presse généraliste (der Spiegel, Deutschewelle) que ceux de la presse spécialisés pour la grande distribution (Handlesblatt)   ou les financiers (Financial Time Deustchland). Dès 2002, les articles de presse évoquent régulièrement le refus de Wal-Mart de se retirer du marché allemand : « BERLIN (dpa-AFX) – Sonntag 17. November 2002 – Die US-Supermarktkette Wal-Mart will sich nicht aus dem deutschen Markt zurückziehen. » Chaque année la question revient sous une forme ou sous une autre et l’intensité des actions croît car le syndicat participe également à des opérations internationales par exemple en participant aux évènements organisés par un syndicat américain Interfaith Worker Justice.
En outre, la participation de Ver.di / Uni Commerce (ou UNI Handels en allemand) au Forum Social de Porto Allègre (au Brésil) en 2002 laisse songeur car toutes les organisations syndicales (allemandes, sud coréenne, canadienne, américaine) sont présentes. Le cas Wal-Mart aurait-il été évoqué ? Par ailleurs en 2005 United Food and Commercial Workers International Union (UFCW-TUAC)et Service Employees International Union (SEIU) lancent leur blogs complètement dédié à Wal-Mart. Autant dire qu’il s’agit d’une attaque en règle portant sur l’image et les pratiques de l’entreprise de distribution. En 2005, Wal-Mart ferme de manière précipitée son magasin de Jonquière situé au Canada qui a pour caractéristique d’être le premier Wal-Mart syndiqué d’Amérique du Nord (UFCW-TUAC). Si le motif officiel de la fermeture anticipée est la rupture de stock en magasin, une autre version circule : « cette fermeture prématurée du magasin de Jonquière, M. Bellemare l'interprète comme la volonté de transmettre un message choc. «C'est pour démontrer que c'est elle qui mène et faire encore plus peur aux gens. C'est un message de Wal-Mart qui s'adresse aussi aux États-Unis et ailleurs, pour dire: "Si tu veux te syndiquer, on va te fermer".»En 2006, Wal-Mart jette l’éponge et quitte l’Allemagne en revendant les 19 magasins acquis à Metro et en mettant un terme aux 74 autres points de ventes en location.

Conclusion
Wal-Mart n’a pas su séduire le marché allemand ni imposer le mode de consommation qu’il induit. Son activité de distribution ne lui permet pas de se distinguer des autres distributeurs locaux. Sa conception du service client et ses méthodes managériales antagonistes au mode de fonctionnement allemand (qui repose sur une forte tradition syndicale, une très forte régulation et normalisation) ont conduit à l’échec que l’on sait : Wal-Mart quitte l’Allemagne et son retrait lui coûte près d’un milliards d’euros.

Juliette  Joachim


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